Paris, 14h07. Sept adolescents, de milieux différents, chacun de leur côté, entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale. Ils semblent suivre un plan. Yacine, Sabrina et Mika filent en métro depuis la station la Fourche. Ils se séparent. Yacine rejoint David et Sarah pour filer en RER vers La défense. Sabrina file vers l'hôtel Regina, place des pyramides, où elle a réservé une chambre qui domine la statue de Jeanne d'Arc à cheval. Mika prend un paquet dans le coffre d'une voiture; Samir récupère des clés dans le coffre d'un scooter et ouvre les portes des voitures garées devant la Bource. André sort de chez lui habillé en costume et se rend au ministère de l'intérieur où il a rendez-vous avec le ministre, un ami de son père, auquel il fait part de ses projets d'études : L'ENA après science-po.
Sabrina, montée sur une grue, nettoie la statue de Jeanne d'Arc. Elle voit ce qui semble être une larme sur sa joue. Elle se souvient de la rencontre entre André, Sarah puis David dans un café.
André a terminé son entretien avec le ministre. Avant de partir, il ouvre le verrou derrière une porte de la réserve où s'était caché Mika après être entré par une porte dérobée du ministère. Yacine et David tentent d'entrer dans la tour Global de La défense. Leur carte d'accès ne fonctionne pas. C'est Fred, le gardien qui donne l'ordre à un autre vigile d'ouvrir. Au ministère de l'intérieur, Mika a rejoint la grande salle de réunion et prépare le détonateur dans le pain de plastic. Il se souvient. C'est Greg qui avait permis à la bande de se rencontrer. C'était lorsque Fred cherchait un emploi de vigile accompagné de son ami Yacine. Greg avait obtenu le plastic d'une organisation gauchiste qui avait braqué un dépôt militaire. Sur une musique pleine de pulsations et de rythme, la bande s'était unie dans son projet commun d'attentats. Samir et Sabrina sont frère et sœur.
André tente d'entrer dans la banque HSBC, mais il est refoulé dans le sas d'entrée. Greg sort de chez lui marche dans la rue. Il ouvre la porte d'un immeuble sonne chez un homme et l'abat dès qu'il a ouvert la porte. Il ressort en tenant toujours l'arme sur lui sans penser à la cacher.
David Sarah et Fred grimpent dans les étages de la tour Global et investissent l'étage en rénovation. Sarah est décidée. Elle pose la bombe alors que David hésite. Fred repère un occupant dans l'étage. Un homme au téléphone négocie une grosse somme d'argent. Fred s'approche et el tue. David entend un peu plus tard Fred être pris à partie par un vigile. Un coup de feu retentit. Il s'enfuit vers le lieu de rendez-vous.
19h15: les bombes sur la statue de Jeanne d'Arc, au ministère de l'intérieur et au milieu de la tour Global explosent. Sarah semble attendre une deuxième explosion qui ne vient pas.
En partant du ministre de l'intérieur, Mika est renversé par une voiture. Il se relève en se tenant le bras
Dans le grand magasin, les clients sont évacués en urgence suite aux attentats qui ont crée une atmosphère de panique dans Paris. Les vigiles inspectent les étages pour voir si personne ne s'y cache. Bientôt pourtant, les auteurs des attentats s'extraient de sous les lits ou de leur autre cachette.
Il y a là Yacine, David, Sarah, Mika, Sabrina, Samir et André. Il manque Fred et Greg. Ils sont bientôt rejoints par Omar, un vigile du grand magasin, membre de leur bande, qui les rassure sur leurs conditions de sécurité; les vidéos de surveillances sont désactivées sauf au rayon luminaire. Ils n'ont donc rien à craindre. Omar affirme avoir ligoté les vigiles. En réalité il les a tués.
Yacine a du mal à rester en place, il va chanter My way dans un play-back lyrique, jouer avec une voiture de course, prendre un bain et boire du cognac. Comme Sarah, il semble persuadé que tout se terminera bien. André tente de contrôler la situation même une fois qu'il sait le groupe cerné. Il espère pouvoir négocier en faisant tout exploser mais a oublié qu'il n'a pas de détonateur. Mika, une fois remis de sa blessure au bras, fera le rêve du suicide de Greg et avouera à Sabrina son amour secret. David fait entrer un couple de SDF comme si, rassuré d'avoir été capable d'un acte hors norme, il s'en désintéressait pour autre chose. Il téléphone à sa mère, prend une bague pour l'offrir à Sarah dans la boutique des robes de mariés. Lorsque le GIGN s'infiltre par le haut et le bas du bâtiment, il tue systématiquement les adolescents et les deux clochards. Samir espère aller au paradis. Son cri, "aidez-moi", résonne dans le vide mortel.
Il y a comme une fraicheur dénuée de toute culpabilité à montrer en quoi la surdité de la société face aux problèmes des jeunes pourrait les mener à poser des bombes alors que le même acte, certes plus barbare et meurtrier, pourrait être perpétré au nom d'idéologies extrémistes. Ce souci de montrer une action idéaliste de la jeunesse sans se préoccuper d'une récupération possible par d'autres idéologies peut aussi être jugé un peu irresponsable. Car Bonello ne se contente pas de comprendre ses personnages en les suivant de l'intérieur et avec une empathie jamais démentie. Il semble bien aussi justifier leur action avec le personnage de la jeune fille en vélo ou en n'hésitant pas à magnifier les actes de destruction ou les mises à mort.
Structuré en deux parties distinctes, le film prend aussi le risque du désamour du public pour l'une et l'autre de celles-ci. Pourtant, elles sont toutes aussi splendides l'une que l'autre. La première fait l'éloge de la précision dont la jeunesse est capable, de sa possibilité de se mettre en mouvement. La seconde explicite leur désarroi, la formidable réduction de leur personnalité à quoi les a conduit cet acte. Bonello leur fait retrouver la plénitude de leur jeunesse par la bande-son alors que, par l'image, ils sont tués un à un.
Paris est une fête
Le titre initial, Paris est une fête a été changé en raison des attentats du 13 novembre 2015 frappant Paris et Saint Denis. Via la référence au roman d'Hemingway, ce slogan avait servi de mot d'ordre aux parisiens pour protester fièrement après la barbarie des attentats. Le film s'appelle ainsi désormais Nocturama, référence au disque de Nick Cave qui informa par ailleurs le réalisateur que le mot n'était pas une invention de lui mais un lieu spécial prévu dans un zoo pour le repos des animaux sauvages. Le titre initial n'avait pourtant pas été choisi par hasard. Paris est une fête fait écho à cette revendication plus générale de la jeunesse frustrée de ne pouvoir vivre pleinement telle que Bonello la ressentait 15 ans plus tôt dans Le pornographe (2001). Dans ce film, les jeunes gens distribuaient des tracts affirmant :
Nous vivons une époque sans fête et nous y avons contribué. Il faut réfléchir longtemps et alors prendre des décisions radicales et sans appel. Comment pouvons-nous répondre au gouvernement puisqu'il ne s'adresse pas à nous mais à une idée qu'il a de nous ?
Devant le manque de propositions, il faut créer une vraie menace. Créer un groupe d'intervention. Les symptômes d'une nouvelle guerre mondiale sont là mais nous savons qu'elle ne peut exister comme les deux précédentes. Elle sera donc remplacée dans les prochaines années par des guerres civiles au sein de chaque pays conscient. Donc seule l'idée de la guerre civile peut être maintenant raisonnable. Et cette guerre se fera avec les armes du possible.
Nous utiliserons les mots d'une manière radicale. Nous avons décidé de rester imprenables. Plus de grèves, plus de manifestations, plus de contre-propositions, mais plus d'acceptations non plus. Seulement le silence comme ultime contestation. Taisons-nous.
Joseph, le fils du pornographe, choisissait de protester en gardant le silence avant de choisir la voie de l'amour. Il semble bien que la jeunesse d'aujourd'hui ne saurait se contenter d'une action si peu spectaculaire. C'est une sorte d'amitié fraternelle et l'acte violent symbolique qui sont choisis. Le passage à l'acte, si facile et brutal chez les jeunes gens, est favorisé par la rencontre avec un garçon un peu plus âgé, Greg, baroudeur qui a pu se procurer deux kilogrammes de plastic.
Une mécanique de précision pour une mort programmée
Le film démarre à 14h07 et le ballet des voyages-actions ne va pas cesser jusqu'à l'explosion à 19h15. Néanmoins plusieurs flashes-back retracent les rencontres initiales entre ces jeunes gens d'origines géographiques et sociales différentes. C'est le chômage qui exaspère les jeunes et la réponse de Manuel Valls plus encore qui, le voit-on deux fois sur un écran d'ordinateur, annonce défendre un plan envers les PME pour soutenir l'emploi. Sur l'écran d'ordinateur, l'article suivant : les licenciements chez HSBC, banque prospère, suffit à ces jeunes gens pour croire déceler l'inanité d'un tel plan.
A ces justifications internes de leur action, Bonello en ajoute au moins trois. Il y a d'abord l'intervention, d'un personnage tiers, la jeune fille au vélo dont le rôle est pourtant éminemment symbolique puisque interprété par Adèle Haenel, la Léa de l'Apollonide. Or la jeune fille affirme que poser des bombes était logique qu'il ne pouvait en être autrement. Autre intervention directe du metteur en scène, en dehors du cadre d'empathie avec ses héros, sa façon de magnifier les scènes de violence, notamment avec le split-screen montrant les trois explosions simultanées. Il y a aussi deux fois, sous deux angles différents, l'explosion de la bombe de la tour Global. Il y a enfin la mort des enfants reprise plusieurs fois sous des angles différents pour chacun.
On peut voir dans ces répétition l'influence du Elephant de Gus van Sant, avec ses reprises d'un même instant sous des angles différents. Mais c'était plutôt le sentiment de disjonction dans la journée qui était mis en avant. Ces répétions ressenties par les élèves intervenaient avant la tuerie. Ici, la répétition des enfants frappés par les balles du GIGN sur la musique du générique d'ouverture d'Amicalement vôtre les magnifient comme des victimes, presque innocentes de toute faute. Clin d'œil, sans doute aussi au film de Gus van Sant, le teeshirt orange avec un cerf de Samir qui renvoie au teeshirt jaune marqué du taureau de John. Référence commune enfin à Nocturama et au Elephant de Gus van Sant, le Elephant d'Alan Clark, reprise dix-huit fois d'un homme qui marche vers un autre et le tue. C'est avec le même horrible sang froid que sont commis deux meurtres : celui du directeur d'HSBC France et de l'agent immobilier de la tour Global. Le GIGN ne fera pas davantage preuve d'état d'âme lors de l'assaut final et fait feu pour tuer. Bonello revendique des reminsicence de Assaut (John Carpenter) et Zombie (Romero)
La confusion des valeurs s'exprime par l'inévitable fascination pour les produits de luxe du magasin, même pour de jeunes gauchistes qui ne sont insensibles ni aux vêtements ni à la technologie des téléviseurs et des appareils hi-fi. La télévision, habillée aux couleurs de BFM, leur permettra de savoir qu'ils sont cernés. Chacun dans le magasin va rencontrer son double en mannequin, autre face de lui-même qu'il aurait pu être, sans conscience peut-être, puisque ces mannequins n'ont aucun trait de visage dessiné.
Jean-Luc Lacuve, le 26/08/2016