1962, Haïti. Un homme prépare une mystérieuse poudre jaune à partir des entrailles d'un poisson. Elle est déposée dans une paire de chaussures. Clairvius Narcisse marche dans la rue. Il porte les chaussures à la poudre toxique et s'écroule dans la rue, sans respiration. Il est porté au cimetière par sa famille en deuil. Dans la nuit, Clairvius Narcisse est extrait du cercueil, devenu pauvre créature humaine privée de volonté il est exploité avec d'autres zombis dans les plantations de canne à sucre.
2018, Saint Denis. Le professeur d'histoire Patrick Boucheron, cite Le Peuple de Jules Michelet (1846) et professe une histoire « discontinue, hoquetante ». Devant lui une classe de seconde du pensionnaire de la maison d’éducation de la Légion d’honneur en Seine-Saint-Denis. Fanny, l'une des élèves, se languit d’amour pour Pablo avec qui elle a connu une intense histoire d'amour l'été passé. En attendant les vacances de la Toussaint où elle doit le revoir, elle s'intéresse à ses cours et à ses trois camarades de classe, Salomé, Romy et Adèle. Toutes quatre se sont constituées en une "sororité", confrérie amicale intime et littéraire. Fanny propose d'y intégrer Melissa d’origine haïtienne, dont la solitude et l’étrange réserve lui plaisent. Les quatre amies décident de faire passer un test à Mélissa. Fanny est aussi attirée par la belle Lola qu'elle admire jouer au handball et entraperçoit sous la douche. Elle a écrit à Pablo avoir été draguée par elle la veille mais qu'elle n'a pas cédé à la tentation car elle a voulu lui rester fidèle. Mélissa se promène dans le parc et reçoit sur son téléphone un message de Fanny la conviant à passer le test d'entrée dans la sororité : "minuit@fakestatues".
1962, Haïti. Mangeant par hasard un morceau de poulet abandonné par ses maitres Clairvius retrouve un début de conscience, au milieu de sa nuit surgissent des éclats ensoleillés des arbres et du visage de sa femme. L’esprit toujours embrumé, Clairvius Narcisse s'échappe.
2018, Saint Denis. Melissa pour réussir le test doit raconter quelque chose qui lui tient à cœur. C'est le poème de René Depestre : "Écoutez monde blanc Les salves de nos morts Écoutez ma voix de zombi En l'honneur de nos morts...". Pendant que ses amies délibèrent elle danse sur Kalash. Admise dans la sororité, Melissa raconte qu'elle a perdu ses parents dans le terrible tremblement de terre de 2010 et vit chez sa tante, une mambo, prêtresse vaudou. Sa mère a reçu la légion d'honneur pour son implication dans les procès qui ont suivi la terrible dictature des Duvalier. En effet comme vient leur rappeler la surintendante, le lendemain, ne sont admis dans ce lycée que les enfants dont l'un des parents a reçu la légion d'honneur. C'est un lycée d'élites où les trois quarts des élèves obtiennent la mention très bien au bac. Dans le parc, l'après-midi, Fanny recherche sur son téléphone des précisons sur ce qu'est une femme mambo. Le soir, toutes les jeunes filles font leur toilette. Mélissa se démaquille.
1962, Haïti. Clairvius Narcisse se lave dans l'eau de la rivière. Il se cache dans les hauteurs montagneuses de l’île et regarde la ville au loin.
2018, Saint Denis. A la cantine, Romy s'amuse à jouer au zombi avec de la purée verte qui lui sort de la bouche. Des flash de films d'horreurs évoquent ces films vues par les filles. Mélissa téléphone à sa tante dans le parc. Elle est heureuse d'avoir de nouvelles amies. Fanny et ses amis sont éreintées par les cours à quinze jours des vacances. Elles rentrent bien en rang dans la magnifique cour carrée du pensionnat.
1962, Haïti. Clairvius Narcisse contemple sa propre tombe dans le cimetière. Vu par des ouvriers, il regagne les hauteurs et s'allonge dans les feuilles.
2018, Saint Denis. Fanny et ses amies se lèvent au milieu de la nuit pour rejoindre leur salle. Elles se maquillent, plaisantent sur les trois seuls mecs du lycée et sur le fait que puisque aujourd'hui tout va plus vite, il est normal que les zombis ne marchent pas lentement comme avant mais courent. Elles reprennent en cœur "Je m'en fout" de Damso. Alors que la chanson évoque le point G et parle de salopes, Fanny voit Pablo dans la forêt. Lors d'une nuit suivante, Salomé s'inquiète des bruits étranges que fait Mélissa dans les toilettes. Elle s'en ouvre aux autres pendant que Mélissa fait son exposé en anglais sur Rihanna
1962, Haïti. Clairvius Narcisse descend en ville et voit, sans l'approcher, sa femme qui se languit de lui.
2018, Saint Denis. Le professeur de chimie parle des corps purs dans l'indifférence générale. Fanny a reçu un SMS de Pablo l'informant de leur rupture. Effondrée, elle pleure durant les répétitions de Still nacht puis s'effondre en larmes sous un porche désert de l'école.
Kity chez elle, évoque Erzulie et parle aux photos de ses morts, notamment à sa sœur Myriam évoquant la mort de leur père il y a 24 ans. Elle donne un cours particulier d'histoire sur l'empire romain à un collégien. Elle renonce à se rendre à Haïti car le billet coûte 2000 euros. Dans le parc où elle promène les chiens, elle reçoit ensuite un appel de Mélissa qu'elle déculpabilise d'aimer Damso. Elle fume tranquillement chez elle quand on sonne à la porte. C'est fanny qui demande à être exorcisé de cet amour qui va la conduire au suicide. Kity refuse mais Fanny propose 1500 euros dont elle pourrait avoir besoin pour assister aux cérémonies commémorant l'anniversaire de son père. Fanny lui laisse mille euros en acompte, exigeant de revenir le lendemain avec 500 euros de plus
1962, Haïti. Clairvius Narcisse erre dans Palais Sans Souci en ruines et mange de la viande, antidote à la zombification dont il a été victime.
2018, Saint Denis .La nuit, Melissa rêve qu'elle se précipite vers le lit de Salomé et lui mange la joue. Elle se lève pour descendre dans la cache de la sororité et est bientôt rejointe par les trois filles qui lui demandent de s'expliquer sur ses cris dans les toilettes. Elle leur explique alors qu'elle est la descendante d'un zombi. Le lendemain, c'est interro d'histoire. Melissa s'inquiète de l'absence de Fanny dont ses amies lui expliquent qu'elle est à un enterrement.
Chez Kity, Fanny se dit prête pour le désenvoutement mais change d'avis et demande plutôt à ce que Pablo entre en elle ce qui déplait encore plus à Kity qui commence néanmoins la cérémonie alors qu'à Haïti au même moment se déroulent les cérémonies en l'honneur de son père. Fanny psalmodie le nom de Pablo. Kity invoque Ogou et psalmodie "Je suis blessée, blessée". Dans la salle secrète, Mélissa explique que c'est le propre frère de son grand-père qui a demandé l'envoutement pour capter l'héritage. A Haïti, la cérémonie se poursuit. Fanny voit Pablo dans la forêt au cours d'un bref flash mental. Melissa explique que son grand-père ne pouvait plus approcher sa femme car la zombification est une pratique sociale admise et surveillée par une société secrète qui la fait respecter. Seuls les "Guédé", personnification des esprits vaudous de la mort peuvent s'en servir comme "cheval" pour les conduire à la mort. Le plus cruel des Gédés est le Baron samedi. Kity est prise de spasmes quand elle comprend que ce n'est pas Ogou mais Le Baron Samedi qui a pris possession du corps de Fanny. En ventriloquant, il réclame des cadeaux. Kity lui demande en vain de "changer de cheval". Les lampes éclatent, elle meurt pendant que les yeux de Fanny s'obscurcissent. Délivrée, elle rentre hagarde au pensionnat
1980, Haïti. Clairvius retrouve sa femme qui un bref instant d'hésitation passé, l'enlace amoureusement. Clairvius déclare qu'il n'est plus un esclave. Et, en effet, son frère étant mort, la société secrète va les laisser revivre ensemble. Des cartons successifs font état de la seconde mort de Clairvus en 1994 et des zombis qui seraient un millier en Haïti.
Melissa, survivante magnifiquement vêtue de blanc, sort du néant pour apparaitre en gros plan alors que s'affiche "Zombi Child" en incrustation.
Le montage parallèle entre le destin du grand-père zombifié en 1962 en Haïti et celui de sa petite fille en 2018 à Saint Denis donne lieu à deux fois six grandes séquences dont l'une en 1980 pour le volet haïtien. Une première vision peut laisser perplexe quant à la justification d'un tel montage, très rare dans le cinéma contemporain qui préfère le montage alterné qui converge et un même lieu ou dans un même temps pour une conclusion plus facile à percevoir. Qu'est que Bonello cherche donc à mettre en parallèle ici dans le montage proposé ? Probablement pas la permanence de la zombification, à l'image de la permanence de l'intolérance dans le film du même nom de Griffith. Fanny ou Mélissa dans leur lycée d'élite n'ont rien de zombies victimes de leurs études. Une piste est probablement donnée avec l'intervention de Patrick Boucheron au début du film qui analyse l'importance de l'économie dans la politique. Ce poids économique est à l'oeuvre aussi bien à Haïti qu'à Saint Denis et dans les deux volets, elle est intimement mêlée à une histoire d'amour. Que l'un des volets aboutisse à une rédemption et l'autre à une catastrophe est la preuve que la liberté ou le hasard ont leur place. Dans chacun des volets en effet, la beauté plastique magnifie des comportements humains qui aspirent à la liberté. Ils vont se combiner dans une sublime séquence finale mêlant montage parallèle et alterné ainsi que flashes mentaux. Bonello y fait à la fois preuve de virtuosité mais aussi de respect vis à vis des traditions haïtiennes. La dramatisation fantastique propre à ce genre n'est en effet présente que dans les seuls fragments sur le sol français.
Esclavage et libéralisme
Dans son premier cours, Patrick Boucheron, cite Le Peuple (1849) de Jules Michelet. Pour l'historien du XIX, la France est synonyme de révolution et restera pour cela à la fois grande mais aussi honnie de ses partenaires européens qui ne cesseront de la craindre. Boucheron trouve cette analyse exaltante mais demande à ses élèves de s'interroger sur la véracité de cette vision. Peut-on voir un unique trajet révolutionnaire dans l'histoire de France ? Il ne le pense pas. Face à la Révolution se dresse en effet le libéralisme économique qui annihile la force subversive. C'est Napoléon 1er, le fondateur du pensionnat de la légion d'honneur où ce cours est donné, qui, le premier, achève la révolution. C'est à dire qu'il y met fin et la transforme. Le libéralisme amoindrit la vraie liberté qui ne peut ressurgir que dans de rares moments d'expériences collectives. Ainsi, si révolution ne cesse de hanter l'histoire de France ce n'est que par à coup qu'elle remonte à la surface, produisant ainsi une histoire "discontinue, hoquetante".
Ce discours improvisé à la demande de Bonello va se trouver être la matrice du discours politique du film. Clairvius, traumatisé par l'esclavage auquel il a été contraint, possède désormais la force des survivants; celle qui dans l'épilogue de 1980 lui permet de retrouver sa femme et de renouer leur amour. Cette force des survivants, il la transmet à sa fille ainée, la mère de Melissa, juge courageuse des crimes de la dictature des Duvalier qui lui vaudra la légion d'honneur. Il la transmet aussi a sa cadette, la tante de Melissa, toujours à encourager sa nièce et qui survit dignement de petit boulots (cours d'histoire, promenade de chiens). Cette force des survivants, c'est enfin celle transmise à Melissa, rare représentante de la diversité dans ce lycée des élites, jeune fille moderne toute en étant gardienne de sa culture.
Mais les puissances libérales, c'est à dire en premier lieu monétaires sont à l'oeuvre. Si Katy, la tante, accepte en effet de pratiquer le rite vaudou, c'est parce qu'elle espère en tirer le prix du billet d'avion qui lui permettra de se rendre à Haïti voir la nouvelle tombe de son père. Fanny en lui remettant les 1 500 euros, acquis manifestement sans difficulté, se fait alors agent d'une force qui va tuer Katy en faisant apparaitre non le bon sorcier exorciste mais le vénal Baron Samedi, amateur de cadeaux et assassin. En parallèle à cette conclusion contemporaine tragique, il est rappelé qu'en 1980, Clairvius avait retrouvé sa femme. Comme si les conséquences du libéralisme pouvaient être aussi destructrices que celles, terribles, de l'esclavage.
Melissa surgit toutefois au dernier plan comme une apparition magnifique en blanc sur fond noir. Ce surgissement n'est cependant qu'une possibilité. Ce plan final que propose Bonello pourrait ne pas avoir lieu. Une image magnifique de la fragilité de la beauté révolutionnaire.
Magnificence plastique
Cette beauté plastique ne cesse de parcourir le film tant chacun des lieux de l'action (Haïti, le pensionnat et la forêt de Pablo) transporte sa splendeur propre et irrigue les autres. La salle d'art plastiques aux fausses statues où ont lieu les cérémonies secrètes des jeunes filles, semble une forme de vestige ou de trace du palais Sans Souci d'Haïti. Vu dans le dernier épisode de 1962, on le retrouve aussi en photo chez Katy. Sous l'institution créée par Napoléon, l'exécuteur de la révolution, revenu sur son décret de l’abolition de l’esclavage, destinée à former l'élite de la nation, surgissent par contrecoup des cérémonies personnelles et inventives. Au raidissement servile devant le succès prôné par la surintendante succède la danse de Melissa sur la musique de rap de Damso (Kalash), forces moins civilisées et plus naturalistes.
Même puissance de la violence des sentiments adolescents avec le surgissement des extraits des films d'horreur lorsqu'ils sont évoqués par Fanny et Romy en marge d'un cours. Puissance plus douce et plus lyrique des sentiments, notamment grâce à la belle musique électronique composée par Bonello lui-même, sur les séquences en léger ralenti de la toilette collective le soir, ou du match de handball où Fanny admire Lola. Dans le volet haïtien, se succèdent l'apparition du visage de sa femme, ou celle des arbres enfin irradiés de soleil dans la demi-nuit de Clairvius, sa baignant dans la rivière, sa vision de sa femme mélancolique dans maison éclairée vue depuis la rue.
Ethique et virtuosité
Le travail très précis de Bonello s'appuie sur le cas connu de Clairvius Narcisse, documenté par l’anthropologue canadien Wade Davis (The Serpent and The Rainbow, Simon & Schuster, non traduit, 1985) et qui avait déjà donné lieu à L'emprise des ténèbres (Wes Craven). Mais Bonello n'impose jamais la nécessité du fantastique en Haïti. Au contraire, la poudre fabriquée en Haïti est bien réelle et la première séquence s'attarde sur ce que l'on peut connaître de sa fabrication. L'empoisonnement se fait à des fins économiques; c'est le frère de Clairvius qui a demandé son envoûtement afin de récupérer seul la terre familiale et Clairvius sait ne pouvoir revenir à la vie sociale tant que son frère vivra. Enfin le montage parallèle de la séquence de désenvoûtement en France avec les rites contemporains d'Haïti gardent tout le fantastique dans le seul domaine français
La séquence finale de désenvoutement est en effet particulièrement virtuose, inattendue, sauvage. Elle entremêle cinq lieux différents : la maison de Katy, la salle de la sororité où Mélissa raconte les données sociales du rite de zombification, la forêt de Pablo, une courte reprise de l'enterrement de Clairvius en 1962 et les cérémonies contemporain d'Haïti. Le montage alterné des deux premières (même temporalité des séquences qui se rejoindront au pensionnat quand Fanny y retournera) entrelardées de flash mentaux de Fanny et Mélissa est monté en parallèle avec la cérémonie de Haïti qui elle garde son coté joyeux.
C'est la mise en scène en France qui prend en charge, l'héritage des films vaudous quitte à la matiner de quelques plans rappelant L'exorciste de Friedkin tant contorsions, possessions et yeux obscurcis président au désenvoutement. C'est cette position d'un regard européen qui ne prélève d'Haïti que les faits et les images attestées pour les fondre dans un regard de cinéaste qui fait la puissance économique et éthique du film. Les forces archaïques ne sont d'ailleurs pas toujours là où on les attend : le rap de Damso N. J Respect R dont les jeunes filles reprennent en chœur les paroles ont des paroles bien plus crus et sexistes que celles du Baron Samedi.
Jean-Luc Lacuve, le 21 juin 2019.
Cap’tain Zombi de René Depestre