Matthew se souvient qu'à 20 ans, à la fin des années 60, il était venu à Paris pour améliorer son français. Il s'extasiait de voir Shock Corridor (Samuel Fuller, 1963) à la cinémathèque française, un palace. Il faisait partie de la franc-maçonnerie des cinéphiles. Ils s'asseyaient au premier rang, peut-être pour recevoir les images avant tout le monde ; peut-être aussi parce que l'écran était un vrai écran qui nous protégeait du monde. Mais un soir du printemps 1968, le monde finit par déchirer l'écran. C’est devant la Cinémathèque, fermée lors des manifestations de protestation à la suite du renvoi de son directeur Henri Langlois, que Matthew fit connaissance Isabelle et son frère jumeau Théo. Les trois jeunes gens sympathisent immédiatement. Ils aiment Nicholas Ray et Isabelle, en partageant son sandwich la nuit, déclare être née en 1959 sur les Champs-Elysée par la grâce de Jean Seberg dans A bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1960).
Matthew, qui loge dans une petite chambre de la rue Malebranche, est invité par Isabelle et Théo à dîner chez eux avec leurs parents, riches intellectuels de gauche. Theo les fascine en remarquant que le briquet d'Isabelle peut être une unité de mesure de leur appartement. Restés seuls à Paris pendant les vacances de leurs parents, Isabelle et Théo invitent Matthew à rester chez eux. Celui-ci découvre vite que la relation entre Isabelle et Théo est très forte, à la limite de l’inceste. Isabelle vient le réveiller dans sa chambre; il la voit comme Greta Garbo dans La reine Christine (Rouben Mamoulian, 1933) qu'elle cherchait effectivement à imiter.
Dans l’appartement où ils sont livrés à eux-mêmes, ils discutent, sous l'immense affiche tutélaire de La Chinoise (Jean-Luc Godard, 1967) des mérites comparés de Chaplin et Keaton. En analysant la fin des Lumières de la ville (Charles Chaplin, 1931) Théo parvient pour une fois à convaincre Matthew de la supériorité du premier sur le second. Matthew répond sans faillir à la question d'Isabelle à propos de Top Hat. (Mark Sandrich, 1935). Certaine de la cinéphilie de Matthew, elle décide qu'il fera le troisième comparse pour battre le record du monde de traversée du Louvre établi dans Bande à part (Jean-Luc Godard, 1964) à 9'55". En le réalisant en 9"38, Matthew est définitivement accepté dans la bande comme dans Freaks (Tod Browning, 1932). Les jumeaux l’entraînent dans un jeu dangereux ayant pour fond le cinéma. Après que Théo ait perdu à trouver son imitation de Blonde venus (Josef von Sternberg, 1932) Isabelle le condamne à se masturber devant la célèbre affiche de Marlene Dietrich dans L'ange bleu (Josef von Sternberg, 1930). Lorsque Isabelle et Matthew ne parviennent pas à trouver un film évoqué par Théo (Scarface, Howard Hawks, 1932), Théo demande à sa sœur de faire l’amour avec le jeune Américain, qui ignore qu’Isabelle est vierge.
Par la suite, la relation amoureuse entre Matthew et Isabelle perturbe Théo et la tension s'installe dans l'appartement alors qu'au dehors la grève générale paralyse la capitale. Matthew et Isabelle se donnent rendez-vous en amoureux ce qu'elle n'a jamais connu auparavant. Ils vont voir au cinéma La blonde et moi (Frank Tashlin, 1956) en s'installant au dernier rang pour mieux s'embrasser. Théo riposte en invitant une femme dans sa chambre, bouleversant Isabelle. Elle s'éloigne à la fois de Théo et de Matthew, pour les retrouver l'un à côté de l'autre sur le lit de Théo lorsqu'une dispute entre les deux, sur Eric Clapton et Jimi Hendrix, la guerre du Vietnam et le maoïsme, tourne à l'érotisme. Elle les surprend alors en constituant une tente avec un drap de fortune et ils s'endorment dans les bras l'un de l'autre.
C'est alors que les parents d'Isabelle et de Théo rentrent dans l'appartement et découvrent les trois couchés nus ensemble. Ils repartent discrètement en laissant un chèque. Isabelle, en trouvant celui-ci, réalise la scène que ses parents ont vue et, alors que les deux garçons dorment, tente de mettre fin à leur vie en ouvrant le gaz, s'obstinant à se suicider comme Mouchette ( Robert Bresson, 1967). Le bris d'une fenêtre par un pavé lancé de la rue réveille Matthew et Théo, Isabelle a le temps de fermer le gaz. La rue est entrée dans la chambre Le trio descend alors dans la rue pour se mêler à la manifestation passant sous leurs fenêtres. Matthew, foncièrement non violent, tente en vain d’empêcher les jumeaux d'user de la force contre les CRS.
Bernardo Bertolucci a trouvé dans le livre de Gilbert Adair, qui signe le scénario, l’écho de son propre Mai 68, qu’il aborde ici de manière intimiste, cinéphile et régressif.
C'est un Mai 68 en chambre auquel participent les trois adolescents, protégés par les écrans de cinéma et l'appartement des parents. Bertolucci les fait vivre dans un cocon cinéphile et musical, émaillant son film de nombreux extraits de films et d'une B. O. exceptionnelle. Les ébats et débats passionnés disent leur désir d'absolu qu'ils protègent de la rue... qui va bientôt les happer et les sauver d'une enfance prolongée mortifère.