Quelques personnalités attendent l'inauguration d'une statue. Au moment où le maire enlève la toile qui la recouvre, tous ne voient, offusqués, qu'un petit vagabond transi, endormi dans les bras de la statue représentant la prospérité. Perturbant la solennité de l’événement, Le vagabond cherche à s'échapper du monument, non sans que son pantalon soit déchiré par l'épée de La paix. L'après-midi, Le vagabond s’arrête devant la vitrine d'un marchand d'art où il apprécie tout particulièrement les formes d’une autre statue qui représente une femme nue. En reculant, il manque de tomber dans le trou du monte-charge. Il renonce à s'emporter quand il voit la taille gigantesque de l'ouvrier qui le manipule.
Dans une rueencombrée, Le vagabond traverse une limousine à l'arrêt pour rejoindre le trottoir. Sur celui-ci, une jeune aveugle, qui a entendu la porte claquer, l'interpelle et lui tend une fleur. Le vagabond s'approche d'elle, lui achète la fleur qu'il fait tomber à terre. Elle s'agenouille pour la ramasser, il s'aperçoit qu'elle est aveugle. Il lui donne l'argent pour la fleur. Le proprétaire de la limousine s'engouffre alors dans sa voiture et ferme la porte d'un coup sec; la fleuriste tend la monnaie vers ce bruit croyant que son client est l'homme riche qui est parti. Se retirant sur la pointe des pieds, Le vagabond revient silencieusement vers elle pour mieux la voir. Le vagabond est alors arrosé par le seau d'eau que la fleuriste jette sans le vouloir sur lui. Le soir chez sa grand-mère où elle loge, la jeune aveugle, rêveuse à sa fenêtre, se sent à l'écart du bonheur quand un jeune couple qui passe la salue.
La nuit sur les quais, un homme en frac, ivre, s’apprête à se noyer. Le vagabond, qui vient chercher un abri pour la nuit, déjoue son intention. Le suicidaire, qui est millionnaire, emmène son sauveur chez lui et lui explique que sa femme l’a quitté. Ils trinquent à l’amitié et le millionnaire emmène Le vagabond au night-club en Rolls ; tous deux portant le smoking. Le vagabond croit bien faire en protégeant une jeune femme victime de la rudesse de son partenaire mais c’était une attraction. Le vagabond danse avec une femme qu’il souffle à son mari puis, dans le même mouvement, fait tournoyer un serveur.
Au petit matin dans les rues désertes, le millionnaire et Le vagabond, ivres, prennent le volant à tour de rôle. La Rolls se range devant le perron de l’hôtel particulier. Le majordome ferme la porte au nez du Vagabond quand passe, devant lui sur le trottoir, la jeune aveugle. Le vagabond arrache deux billets à son hôte et achète toute la corbeille à la jeune fille. Mieux, il la raccompagne chez elle à bord du coupé du millionnaire. Dans son modeste logis, elle repense à cette rencontre miraculeuse. Le vagabond revient comblé, triomphant chez le millionnaire mais le majordome le jette à la rue. Le vagabond reprend la Rolls. En ville, il se gare pour se jeter sur un mégot qu’il subtilise à un passant qui s’apprêtait à le ramasser et qui reste abasourdi. À son retour, le millionnaire reprend sa voiture, démarre seul, oublie Le vagabond sur le trottoir. Chez elle, la jeune fille se met à rêver tout haut à son bienfaiteur.
Cet après-midi là, Le vagabond rencontre le millionnaire qui sort titubant d’un établissement et qui l’invite à sa fête fortement alcoolisée. Le vagabond avale un sifflet qui lui donne le hoquet et, une fois de plus, dérègle un numéro: le tour de chant d’un interprète ridicule qui se prend au sérieux.
Le lendemain matin, Le vagabond se réveille aux côtés du millionnaire qui, en partance pour l’Europe, boucle ses malles. Le majordome expulse le Vagabond. Il s'étonne que la jeune aveugle ne soit pas à son coin de rue et fonce chez elle. À travers la fenêtre, il surprend un docteur qui la soigne, elle est malade. Il repart, désormais prêt à trouver un travail pour aider la jeune fille. Il est balayeur et ramasse les déjections sur la route... mêmes celles d'un éléphant.
Menacée d’expulsion, la grand-mère doit payer un arriéré de loyer de 22 dollars. Sa petite-fille attend la visite de son charmant protecteur. Distrait, il fait manger un savon à l’un de ses collègues qui le semonce avec des bulles.
Sans l'appui du millionnaire, Le vagabond fait de son mieux. Il rend visite à la jeune fille les bras chargés de provisions. Lisant le journal, il apprend qu’un médecin viennois guérit la cécité. Elle enroule sa pelote de laine sans savoir qu’elle déroule en même temps le pauvre tricot de son visiteur. En retard au travail, il est renvoyé. Eddie Mason, un petit truand convainc Le vagabond qu’il peut gagner de l’argent facilement en montant sur le ring pour être son adversaire; ils se partageront la prime de match. Le soir même, il se prépare dans les vestiaires. Son adversaire désigné se débine, la police est à ses trousses. Son remplaçant ne le rassure guère. Il lui propose une combine. Un boxeur noir des plus solides revient KO. Son grigri fut sans effet. A l'heure du combat, la capacité du Vagabond à refuser le combat fait merveille. Il est néanmoins ramené inconscient dans les vestiaires. Aussi pauvre qu’avant mais espérant toujours trouver de l'argent, il erre dans la ville. C'est alors que par miracle, il croise le millionnaire qui le force à monter dans sa voiture. Ils trinquent et le millionnaire lui donne 1000 dollars pour la fille À leur insu, deux cambrioleurs les espionnent et interviennent. Un enchaînement extravagant de gags va perdre Le vagabond qui s’enfuit en se jouant de la police, accusé d’avoir volé l’argent. Son hôte assommé reprend ses esprits mais ne le reconnaît plus. Comprenant ce qui l'attend, Le vagabond s'enfuit avec l’argent chez la jeune fille sachant qu'il la voit certainement pour la dernière fois certainement. Elle s’effondre en larmes sans se douter qu’on le recherche. Deux flics en civil arrêtent Le vagabond dans la rue. Il se laisse emmener avec le sourire en prison. Les jours, les semaines passent.
A l'automne, Le vagabond traîne au coin de la rue. La jeune fille qui a recouvré la vue possède un magasin de fleurs. Elle rit du tour que les deux jeunes vendeurs de journaux à la criée jouent à ce Vagabond qui la regarde avec insistance. Elle lui offre une fleur, s’apitoie sur son sort, lui prend les mains, le reconnaît par ce contact: «Vous?» Lui dit-elle
Lorsque sort Les lumières de la ville, le parlant existe depuis quatre ans. Chaplin se trouve donc en porte-à-faux vis à vis de l'attente de son public. Tout en refusant la voix pour les dialogues (toujours imprimés sur des cartons), Chaplin propose un film où le son joue un rôle déterminant. Même le toucher s'avère plus important que la vue pour susciter l'émotion. Il n'en reste pas moins que Chaplin, en mêlant comme à son habitude romance et burlesque, dresse une charge sans appel contre le capitalisme ou simplement le monde marchand qui cherche toujours à exclure le vagabond du cadre. Son retour dans celui-ci est la source de nombreux gags et son acharnement à y revenir, du-t-il employer toutes les ruses possibles, son seul moyen d'assurer sa liberté.
Chaplin cinéaste du son
Chaplin refuse le parlant mais il porte une grande attention au son. La scène de rencontre entre Le vagabond et la jeune fille repose sur deux sons secs et brefs qui suffisent à lancer le mélodrame.
La scène qui permet de comprendre que la jeune aveugle prend Charlot pour un millionnaire, commencée vers le début du tournage, ne trouva sa conclusion pas loin de trois ans après le premier tour de manivelle, au 534e jour de tournage.
Le premier son de la porte qui claque est le fait du Vagabond qui vient de traverser une limousine à l'arrêt. La jeune aveugle l'interpelle, lui tend une fleur. En cet instant, elle associe correctement le son de la porte à celui qui l'a provoqué. Le Vagabond s'approche d'elle, lui achète la fleur qu'il fait tomber à terre. Elle s'agenouille pour la ramasser, il s'aperçoit qu'elle est aveugle. Un homme pressé survient à ce moment-là. Il monte dans la limousine et ferme la portière. La fleuriste lui tend sa monnaie. La voiture démarre. Le Vagabond se retire sur la pointe des pieds. À présent, la jeune aveugle s'imagine que celui qui vient de refermer la portière est le même que celui qui la fit claquer la première fois. Son raisonnement est le suivant: mon client n'attend pas la monnaie, il remonte aussitôt dans sa voiture qu'il a fait arrêter pour m'acheter une fleur, il ferme la porte avec vigueur, c'est donc un séducteur aisé.
La scène initiale repose aussi sur le son. Les discours du maire et de la dame patronnesse seraient sans doute beaucoup moins drôles avec de vraies paroles qu'avec les borborygmes qui caricaturent les caractères. De même, la scène du sifflet dans la fête repose entièrement sur les brefs sons émis. Il en est de même pour le gong au moment du combat. Dans celui-ci, la musique rythme aussi le combat de manière bien plus humoristique que dans Charlot boxeur, le moyen métrage de 1915.
Chaplin cinéaste du cadre
Depuis sa première apparition dans Charlot content de lui (1914) Le vagabond n'a qu'une exigence : revenir dans la cadre dont on ne cesse de le chasser. C'est le sens de la scène d'ouverture : chassé d'une statue prétentieuse, il va en trouver une autre plus à son goût; chassé de la grandiloquente statue Paix et prospérité, c'est auprès d'une statue de jeune fille qu'il retrouve une attitude "artistique".
Les efforts déployés, souvent avec ruse, ne lui apportent pourtant jamais de solution définitive. Dans son précédent film, Le cirque, il occupait au dernier plan la place centrale dans le cadre mais les roulottes l'avaient abandonné. Il en est probablement de même avec la dernière scène, aussi bouleversante que tragique. Le vagabond a reconnu la fleuriste et est comme pétrifié sachant qu'il n'est pas celui qu'elle attend, un millionnaire, tel celui qui vient de quitter sa boutique. Il lui sourit, figé pendant qu'elle lui parle et cherche à l'apprivoiser au travers de la vitre puis en lui tendant une rose. Il n'est qu'un mendiant pour elle. Il quitte le cadre, mortifié, épouvanté d'exposer sa vérité sociale devant elle. Alors qu'il s'en va sur le trottoir, elle le rejoint. Il se retourne, elle lui tend la pièce, lui rend inconsciemment la monnaie de sa première pièce qu'elle avait gardée (comme si elle s'acquittait de sa dette contractée lors de leur première rencontre), puis lui donne la fleur (reprise de son premier geste). Il prend la fleur avec distinction. Son demi-sourire est l'aveu qu'il sait devoir de se contenter de si peu. Elle agrippe son bras pour lui donner la pièce. Recadrés en plan rapproché, sa main prend la sienne pour lui glisser la pièce. Et soudain elle comprend, encore inconsciemment. Elle ne le connaît que par ce toucher, établi au moment de leur dernière entrevue. La caméra suit la main de la fleuriste, remonte vers le visage intimidé du Vagabond qui mordille la sienne (tenant la rose), pris en défaut de n'avoir pas tenu ses promesses. Il veut se faire pardonner de ce qu'il ne sera jamais pour elle et qu'il aurait tant voulu être. Elle a compris, porte sa main droite contre sa joue, consternée : "Vous ?" Les sourcils du vagabond en conviennent. Elle semble souffrir qu'il soit de la sorte, il se défausse : « Vous voyez maintenant ? » Larme à l'oeil : « Oui, je vois. » Gros plan déchirant du Vagabond. Dernier plan du Charlot muet.
Le cadre, outre la première et la dernière scène, fait l'objet de toute l'attention de Chaplin comme dans la scène du suicide ou celle du combat boxe, reprise, en beaucoup plus efficace de Charlot boxeur (1915). Là aussi, il s'agit de toujours revenir dans le cadre. Pour cela Charlot s'avère tout autant terriblement accrocheur (scène du suicide, de l'achat de la corbeille de fleurs) que prêt à accepter les pires humiliations : le seau d'eau jeté, le pull détricoté, les crottes de l'éléphant...
L'exigence folle de la mise en scène de Chaplin culmine avec ce film dont le tournage dura presque trois ans. Un métrage de pellicule égal à cent ou cent cinquante fois le métrage du film définitif (2700 mètres) fut impressionné. La scène qui permet de comprendre que la jeune aveugle prend Charlot pour un millionnaire, commencée vers le début du tournage, ne trouva sa conclusion pas loin de trois ans après le premier tour de manivelle, au 534e jour de tournage après 320 prises. Mais le succès allait être au rendez-vous et Orson Welles ou Woody Allen ne se privèrent pas de dire qu'il s'agissait du plus beau film du monde.
Jean-Luc Lacuve, le 8 décembre 2018
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