Chroniques de Téhéran

2023

Cannes 2023 (Ayeh haye zamini). Avec : Bahman Ark (Le père de David), Arghavan Shabani (Selena), Servin Zabetiyan (Aram), Sadaf Asgari (Sadaf), Faezeh Rad (Faezeh), Gohar Kheirandish (Mehri) Farzin Mohades (Ali), Majid Salehi (Siamak), Hossein Soleimani (Farbod). 1h17.

Téhéran se réveille.

Un homme déclare la naissance de son fils. Le fonctionnaire refuse de l'enregistrer  avec le prénom David afin de ne pas promouvoir une culture étrangère. Il suggère Davoo. Le père téléphone la mauvaise nouvelle à sa femme.

Une mère habille sa fille, Selena, pour la rentrée. Selena danse devant la glace. Elle doit mettre un manteau gris, voile beige. Elle accepte tout de mauvaise grâce puis enlève le tout pour se remettre à danser

Une élève, Aram, est convoquée par la directrice. On l'a vu arriver sur une moto conduite par un garçon. L'homme de ménage, très myope, l'a reconnu. Aram nie. Elle doit se découvrir et monter qu'elle se teint les cheveux en bleu. La directrice menace d'appeler ses parents et de convoquer le garçon. Aram sort son Joker. Avec le garçon avec lequel elle se promenait le dimanche, elle a filmé la directrice en compagnie d'un homme dans un parc. Elle ne dira rien mais s'en va sans être davantage inquiétée.

Une jeune femme, Sadaf, conteste une contravention. Elle est chauffeuse de taxi, coupe ultracourte sous la capuche, qui vient contester une amende qu’elle a reçue pour avoir conduit les cheveux au vent. Ce n’est pas elle sur l’image flashée par le radar, dit-elle. Mais son frère qui a les cheveux longs. D’ailleurs, l’habitacle de la voiture n’est-il pas un espace privé ? « Non, car vous êtes visible de l’extérieur », dit l’agente. Mais de la fenêtre de chez moi aussi « alors ce n'est pas un espace privé. Le frère devra venir en personne, signaler que c'est bien lui qui conduisait

Une jeune fille, Faezeh, se présente à un entretien d’embauche. L’employeur lui fait miroiter les avantages de l'entreprise; elle obtiendra tout ce qu'elle souhaite si elle est gentille  avec lui; si elle enlève son voile et vient s'assoir à coté de lui. Elle refuse et s'en va. Il l'injurie

Un jeune homme, Farbod, vient retirer son permis de conduire. Le fonctionnaire l'interroge sur un tatouage qu'il porterait sur le bras.

Siamak, un homme au chômage depuis cinq mois, sollicite un emploi auprès d'un employé tout occupé à montrer sa supériorité en matière de connaissance du Coran et des règles religieuses.

Un réalisateur, Ali, demande une autorisation de tournage.

Une femme, Mehri, cherche à retrouver son chien. Un bureau d'architecte est soumis à un tremblement de terre. Au travers de la fenêtre du fond, on voit des grues et des immeubles s'effondrer

analyseChroniques de Téhéran, s'inscrit dans la suite du mouvement « Femme, vie, liberté », né en Iran au lendemain de la mort de la jeune Mahsa Amini, en septembre 2022, des suites de son arrestation pour un foulard mal ajusté. Plusieurs scènes questionnent ainsi la "police"» de l’apparence féminine. Mais c'est aussi neuf fois la violence "ordinaire" vécue par les Iraniens, à travers des tableaux réalistes, formels, souvent humoristiques et absurdes. Cette réglementation omniprésente s’infiltre dans la vie des individus, éradiquant l’espace privé où la résistance pourrait s’épanouir.

Le film montre comment des individus utilisent les armes réglementaires que leur donne le pouvoir religieux pour humilier ceux qui viennent vers eux pour solliciter quelque chose. La capacité de négociation des solliciteurs en face d'eux est inexistante; seule la fuite ou un compromis dérisoire est possible. Les oppresseurs se cachent ainsi derrière le pouvoir; ils ne sont pas montrés, leur parole se fait entendre off. En face d'eux, les citoyens sont cadrés dans des plans fixes longs où ils se débattent jusqu'à l'absurde face à leurs interlocuteurs. Faezeh cherche à détourner la sollicitation sexiste "you are beautiful" en la masculinisant "vous êtes beau". Mais Siamak, au chômage depuis cinq mois, n'a pas la même possibilité de fuite alors qu'on lui fait rejouer le rite des ablutions. L'effondrement final qui renvoie à cet épisode (la sourate sur le tremblement de terre et les grues à l'arrière-plan) est un peu parachuté et pas très crédible.

Le film fait usage du plan-fixe-long, sorte de parangon de la sobriété au sein de la famille dans la famille des plans-séquence, parangon du maniérisme. Ali Asgari et Alireza Khatami jouent néanmoins avec cette forme : accéléré du premier plan, surcadrage dans une fenêtre de l'épisode un, caméra à la place de la glace, sorties entrée de champ dans les épisodes deux et trois, reflet dans la glace, zoom avant avec trucage, changement de format du cadre. Mais il mettent surtout en évidence le jeu des acteurs pour interpréter des scénettes de la vie quotidienne en Iran qu'on leur a raconté. Il y a jusqu'au personnage d'Ali qui rejoue le calvaire d'Alireza Khatami qui s'est vu refuser, après son premier film, le tournage de "Things That You Kil", l'histoire d'un père violent et machiste qui frappe à mort son épouse.

Asgari reprend la tradition des films politiques à sketchs. Dans Ten (2002) Abbas Kiarostami mettait en scène dix séquences avec ellipse avec un même dispositif très simple pour, au fil des rencontres de la chauffeuse de taxi compatissant au sort des femmes qu'elle convoyait, voyait son fils s’éloigner d'elle pour rejoindre son père, machiste et religieux. Dans Taxi Téhéran (2015) Jafar Panahi se mettait en scène pour huit rencontres avec des personnages interprétant leur propre rôle dans un documentaire de fabulation. Le diable n'existe pas (2020, Mohammad Rasoulof), était structuré en quatre parties, pour quatre personnages liés par une exécution capitale.

Jean-Luc Lacuve, après le ciné-club du 29 mars 2024

Retour