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Ten

2002

Avec : Mania Akbari (la conductrice), Amin Maher (Amin), Roya Arabshahi. 1h34.

dvd chez mk2

La conductrice échoue dans son projet de convaincre son enfant du bien fondé de son divorce et de son remariage. Celui-ci comprend immédiatement où elle veut en venir et la juge puérile d'entamer un dialogue où les arguments sont bien connus des deux côtés. On a dit bien souvent que l'enfant est insupportable. Certes, il est le représentant d'un machisme des plus primaires, reprochant à sa mère son indépendance alors qu'il la voudrait à lui tout seul. Mais l'enfant sait cela, il sait qu'il est normatif et intolérant et demande à sa mère de lui laisser le temps de devenir ce qu'il doit être. Avec une belle lucidité, il découvre le piège que lui tend sa mère et lui demande de ne pas l'abrutir.

Dans la séquence suivante la conductrice, Mania, conduit sa sœur devant une pâtisserie près de chez leur mère où elles ont l'habitude de se retrouver. Sa sœur indique qu'on ne peut forcer cet enfant à une morale qui le rend mauvais et que c'est à lui de tenter l'expérience de vivre avec son père et de juger des deux éducations.

La troisième séquence n'offre ni un piège déjoué ni une discussion d'égal à égal mais filme, hors champ, une veille femme que la conductrice emmène dans un mausolée pour prier. Sans doute parce qu'à ce moment là, Mania est plus forte que la veille femme, confite dans la religion après avoir tout perdu, la caméra ne filme pas cette dernière.

Il en est de même dans la quatrième séquence où la conductrice embarque, la nuit, une prostituée que l'on ne verra que de dos lorsqu'elle sort de la voiture à la fin de la séquence. La prostituée cynique et rigolarde s'est moquée des leçons de morale de Mania.

Dans ces deux dernières séquences, le parti-pris esthétique du hors champ supplée un peu le caractère convenu de la discussion. Toute trace de formalisme va maintenant disparaître du film qui court vers son destin tragique

Dans la séquence cinq, Mania ramène du mausolée une jeune femme qui dit être allé prier dans l'espoir que son ami acceptera bientôt leur mariage. Une ellipse temporelle assez longue est sans doute intervenue car la conductrice dit aller prier également quelques fois en souvenir d'une rencontre (la veille femme de la séquence 3) et que ces prières la consolent de devoir bientôt se séparer de son fils qui préfère aller chez son père.

Dans la sixième séquence, la conductrice récupère l'enfant après un "échange" avec le père dans le 4/4. L'enfant y demeure maintenant régulièrement et il est probable que le père l'a changé d'école car il accepte finalement de lui laisser pour la nuit à la condition express qu'elle se renseigne auprès de lui pour savoir dans quelle école il va. Mais l'enfant refuse de passer la nuit chez sa mère et préfère aller chez sa grand-mère. Il se défie de tout ce que fait sa mère et s'il finit par la croire au sujet d'un raccourci, il ne trouve pas que cela soit une bonne solution. Il demande juste à sa mère de lui ramener une cassette d'Hercule (Walt Disney, je suppose). La mère continue néanmoins d'espérer récupérer son fils.

Elle peut même jouer la femme forte dans la septième séquence avec son amie pleurnicharde qui vient d'être quittée par son fiancé et qu'elle conduit au restaurant.

Dans la huitième séquence, elle semble en effet apaisée. En fait, elle a presque abandonné le combat. Elle vient d'accepter la décision de la juge : l'enfant ira chez son père. Elle trouve dans une forme de bouddhisme désincarné un baume à sa blessure.

Dans la neuvième séquence, cette assurance se fissure, la jeune femme, son alter ego, s'est mutilée en se coupant les cheveux : son ami ne l'épousera pas. Après l'avoir réconfortée, Mania essuie une larme sur son visage. Ce plan n'est pas loin d'évoquer La passion de Jeanne d'Arc de Carl Theodor Dreyer.

La dixième séquence est brève et tombe comme un couperet. L'enfant ne veut toujours pas aller chez sa mère. La brièveté de la séquence finale, l'échec irrémédiable des efforts de Mania atteste bien du projet de Kiarostami qui cache sous la forme d'un documentaire un mélodrame d'une sombre tristesse. Les femmes malgré leur courage seront toujours victimes d'hommes immatures et violents.

Kiarostami prétend refuser la mise en scène et dit s'être contenté d'enregistrer le réel avec deux caméras numériques, une 205 et quelques élastiques pour lier les premières à la seconde.

Il est probable que Kiarostami ait, au départ, voulu adopter un dispositif minimum. La première séquence se compose ainsi d'un unique plan-séquence. On ne comptera en effet pas pour des plans séparés, les sautes dues à des prises certainement nombreuses pour obtenir un coulé du plan. Pourtant il abandonnera bientôt ce procédé artificiel pour utiliser plus classiquement les deux caméras et saisir celui ou celle qui parle. Comme si, tout d'un coup, le sujet était devenu suffisant fort pour que le dispositif ne doive plus être utilisé systématiquement. Comme Hitchcock dans La Corde renonça à son unique plan-séquence, Kiarostami renonce à la performance formelle pour s'intéresser totalement à son sujet : une femme qui essaie de vivre libre et qui devra, pour un temps au moins, renoncer à convaincre son enfant qu'il aura plus de chance de devenir lui-même avec elle qu'avec son père.

La mise en scène n'est pas un dispositif capable de transformer le monde. Tout juste permet-elle de faire éprouver la réalité et d'offrir peut-être (Kiarostami n'est pas plus optimiste dans son film que dans sa vie) un changement possible. Le dispositif n'est pas une fin en soi, seulement une condition pour réunir les conditions du dialogue.

Jean-Luc Lacuve le 25/09/2002

Ten et La Passion de Jeanne d'Arc

Dans la neuvième séquence, la plus émouvante, la jeune femme qui sort du mausolée s'est fait couper les cheveux. Elle et Mania parlent de leurs malheurs respectifs. Mania essuie une larme sur son visage. Le dépouillement de la scène, les cheveux coupés comme une violence symbolique faite par les hommes aux femmes, la larme essuyée, autant de plans qui évoquent La passion de Jeanne d'Arc de Carl Theodor Dreyer.

 

Test du DVD

DVD 1 : Au travers des oliviers - DVD 2 : Le gôut de la cerise - DVD 3 : ABC Africa - DVD 4 - DVD 5 : Le vent nous emportera - DVD 6 : Ten - DVD 7 : 10 on ten

Alalyse du DVD

DVD 6 : Ten - DVD 7 : 10 on ten

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