Projection d'un cycle de trois soirées dont le titre est un clin d'oeil à Peter Kubelka, pionnier du cinéma d’avant-garde autrichien. En 1976, Ponthus Hulten lui demanda de concevoir la collection de films d’avant-garde du Centre Georges Pompidou et d’organiser la rétrospective "Une Histoire du Cinéma" présentée au Centre national d’art contemporain et au MNAM.

Après une présentation des soirées par le directeur de l'ESAM et Didier Anne, directeur du Lux, le responsable de Transat Video remercia la société de distribution Light Cone et reprit la présentation de Peter Kubelka :

"Au public : Voici des films qui ne sont pas à votre service, pour vous distraire comme ceux que vous sert l’industrie. Chaque auteur utilise sa propre grammaire, développée pour ses besoins (…) Ces films représentent ce que le cinéma lui-même a apporté à la pensée humaine et qu’aucun des autres moyens articulatoires, la littérature, la musique, la peinture ou la cuisine n’avaient encore exprimé. Ces œuvres sont nées dans des circonstances difficiles car on conçoit le cinéma comme une industrie et on la réglemente selon les lois de l’économie. (…) Si on veut un cinéma vivant, il faut trouver une place pour le cinéma non-industriel. A l’Etat : Subventionner les auteurs à la place des marchands." (Une Histoire du Cinéma, Quelques opinions et remarques à l’occasion de l’exposition, p. 7).




Séance du Mercredi 13 octobre 18h30 :

Au programme de cette première soirée : Jeux des reflets et de la vitesse de Henri Chomette (1925, 7'30), Anémic cinéma de Marcel Duchamp (1926, 8'25), Thèmes et variations de Germaine Dulac (1928, 9'00) La marche des machines de Eugène Deslaw (1928, 9'00) et, après l'entracte : Vormittagsspuk de Hans Richter (1928, 7'00), Le sang d'un poète de Jean Cocteau (1930, 55')

Anemic cinema
Le sang d'un poète
Anémic cinéma de Marcel Duchamp (1926)
Le sang d'un poète de Jean Cocteau (1930)

La sélection parcourait ainsi la première avant-garde française, dite impressionniste, avec Thèmes et variations de Germaine Dulac, la seconde, dite picturale, avec Anémic cinéma de Marcel Duchamp et de la troisième, dite documentaire, avec Jeux des reflets et de la vitesse de Henri Chomette et La marche des machines de Eugène Deslaw. Ces deux derniers films sont très marqués par Dziga Vertov, le premier étant une sorte de court Ciné-oeil ou d'Homme à la caméra, film majeur qui a pour personnage principal, le frère de Dziga Vertov, Boris Kaufmann...qui est l'opérateur de La marche des machines.

Après l'entracte était projetés Vormittagsspuk de Hans Richter, dont la traduction française du titre, Fantômes avant le déjeuner, ne suffit pas à rendre le côté dada de cette bande de chapeaux melons à la recherche de leur tête et le surréaliste et beau Sang d'un poète de Jean Cocteau.





Séance du Mercredi 17 novembre 18h30 :
Rabbit’s Moon (Kenneth Anger,1950)
Yantra de James Whitney (1957)

Au programme de la seconde soirée : Images d’Ostende de Henri Storck (1929, 0h15), Komposition in Blau de Oskar Fischinger (1935, 0h04), Trade Tattoo de Len Lye (1937, 0h05), Meshes of the Afternoon de Maya Deren (1943, 0h14), Fiddle-de-dee de Norman McLaren (1947, 0h03), Rabbit’s Moon de Kenneth Anger (1950, 0h07), A to Z de Michael Snow (1956, 0h06), Yantra de James Whitney (1957, 0h08), Jamestown Baloos de Robert Breer (1957, 0h05) et Unsere Afrikareise de Peter Kubelka (1966, 0h13).... Le projecteur a rendu l'âme juste avant Notebook de Marie Menken (1963, 0h10).

Images d’Ostende de Henri Storck faisait la transition avec la soirée précédente puisque relevant de la première avant garde impressionniste. La comparaison avec les films de Epstein ou Grémillon n'est pas à l'avantage de ce petit film sans génie.

Komposition in Blau de Oskar Fischinger ouvrait le bal des films abstraits comme on parle de peinture abstraite, dans la continuité de la seconde avant garde dite picturale. Là non plus, le film n'apporte pas grand chose, hormis la splendeur de la couleur, par rapport au Ballet mécanique ou à Anemic cinéma. Fiddle-de-dee de Norman McLaren, avec son travail sur la pellicule, est plus intéressant, et, plus encore, Yantra de James Whitney qui atteint à la splendeur colorée de l'inorganique.

Trade Tattoo de Len Lye qui combine images ouvrières, splendeurs colorées, rythme obsédant et travail sur la pellicule est plus inventif, drôle et stimulant. Même émerveillement, mais d'une autre nature pour le surréaliste Meshes of the Afternoon de Maya Deren qui fait souvent penser, et ce n'est pas rien, à David Lynch.

A côté, le A to Z de Michael Snow, pape du cinéma expérimental, parait bien anodin avec ses chaises faisant l'amour. Bien plus sulfureux le Rabbit’s Moon de Kenneth Anger esthétiquement plus simple et plus réussi que Jamestown Baloos de Robert Breer. Unsere Afrikareise de Peter Kubelka démonte un safari africain. La musique et le montage cut entre blancs avachis et les visages et corps superbes des habitants noirs suffit à porter un discours politique sans appel.

 


Séance du Mercredi 15 décembre :

Hapax Legomena I : Nostalgia de Hollis Frampton (1971, 0h36)


Au programme de la troisième soirée : 6/64 Mama und Papa de Kurt Kren (1964, 3'57), Dog Star Man : Part III de Stan Brakhage (1964, 7'30), All My Life de Bruce Baillie (1966, 3'), My Name is Oona de Gunvor Nelson (1969, 10'), Berlin Horse de Malcolm Le Grice (1970, 9'), Berlin Horse de Malcolm Le Grice (1970, 9'), Piece Mandala/End War de Paul Sharits (1966, 5'), L’Amour réinventé de Maurice Lemaître (1979, 15'), Hapax Legomena I : Nostalgia de Hollis Frampton (1971, 0h36)

Dans Mama und Papa Kurt Kren filme un happening d'Otto Mühl. Le premier film actionniste de Kren. Avec son sixième film, Kren représente un sujet qui à l'époque était considéré comme révolutionnaire autant qu'explosif. Il commença à filmer des actions et des happenings conçus par Otto Mühl (qui serait devenu tout pâle lors de la première du film) et Günter Brus, et par l'Institut de l'art direct de Vienne.

Dog Star Man : Part III de Stan Brakhage comprend les bobines Il, Elle et Coeur. Les images féminines tentent de devenir masculines et n'y arrivent pas et inversement. Dans la bobine Elle, on voit des morceaux de chair en mouvement qui se séparent distinctement pour former une image de femme, tiraillée par le désir d'être homme. Dans un sens c'est très proche de Bruegel, les pénis remplacent les seins dans des flashes d'images, puis un pénis surgit d'un oeil, ou bien encore des poils d'homme se déplacent sur tout le corps d'une femme. A un moment tout cela cesse, et cette chair devient finalement une femme. Dans la bobine Il, c'est le contraire qui se passe ; un morceau de chair est torturé par une inclinaison à la production d'imagerie féminine, en sorte que par exemple ses lèvres se transforment soudainement en vagin. Finalement la forme mâle émerge. Puis bien entendu, ces deux formes dansent ensemble, superposées et l'on obtient un magma de chair homme-femme qui se divise et se réunit selon des mélanges, des distorsions proches de celles imaginées par Bruegel.

All My Life de Bruce Baillie, film d'une seule prise, un vieux chemin avec des roses rouges, au début de l'été à Mendocino. La chanson All my life est interprétée par Ella Fitzgerald avec Teddy Wilson et son orchestre.

My Name is Oona de Gunvor Nelson qui, par son intimité avec la nature, évoque des légendes qui puisent, par-delà d'une existence individuelle, au large réservoir du mythe féminin. Chevauchant à travers une forêt sombre, emportée dans le tourbillon de ses cheveux blonds, elle fait penser à ces autres cavalières blondes de la mythologie nordique, les Walkyries. Cette image, peut-être suggérée à Gunvor Nelson par son propre héritage scandinave, nous rappelle que, pour la femme primitive, il n'existait pas de contradiction entre la beauté et la force, ni entre la féminité et le pouvoir.

Berlin Horse de Malcolm Le Grice est une synthèse de travaux qui explorent la transformation de l'image en refilmant à partir de l'écran, et en utilisant des techniques complexes de tirage. Il y a deux séquences originales: une vieille page d'actualités et une partie d'un film 8mm tourné à Berlin, un village de l'Allemagne du Nord. À partir de l'écran, et de plusieurs différentes façons, le 8mm est refilmé en 16mm de façon à utiliser, lors du tirage, une superposition permutative et un traitement de couleur. La musique du film est composée par Brian Eno et, comme tous les éléments de l'image, elle explore l'irrégularité des boucles entre elles afin de changer leur phase.

Piece Mandala/End War de Paul Sharits joue sur la fréquence de couleurs pâles espaçant et enrichissant visuellement des photos en noir et blanc, les mouvements d'un acte sexuel ou simultanément des deux côtés de son «champ» et des deux extrémités de sa durée.

L’Amour réinventé de Maurice Lemaître. Si, comme le demandait Rimbaud, l'amour doit être réinventé, il ne peut l'être que par les poètes, à qui déjà il doit sa naissance. Et les formes qu'il prendra alors ne peuvent être décrites - filmées - que par des poètes, et notamment des poètes de l'écran. Des images et des sons jamais vus, jamais ouïs, était-ce encore possible aujourd'hui, telle était la gageure que ce film devait affronter. Le son, composé de poèmes lettristes, ajoute son étrange variété à la splendeur de l'oeuvre.

Hapax Legomena I : Nostalgia de Hollis Frampton (1971, 0h36). Avec Walden, Jonas Mekas avait ouvert le genre du film autobiographique qui quittera le domaine exprimental sauf quand, comme ici, l'auteur joue sur sur la durée et la sérialité.

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