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Dans Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard, Alain Fleischer filme le réalisateur dialoguant avec les étudiants du Fresnoy et certains de leurs professeurs, André S. Labarthe et Jean-Marie Straub. Alain Fleischer filme aussi à Rolle, en Suisse, dans son atelier de travail, des échanges entre Jean-Luc Godard et Dominique Païni et Jean Narboni. Il filme enfin la visite de Godard avec Christophe Kantcheff de son exposition au Centre Pompidou intitulée, Voyage(s) en utopie. Ensemble et séparés- Sept rendez-vous avec Jean-Luc Godard est un ensemble de sept visioconférences avec Jean-Luc Godard. Pendant plus de 7h30, grâce à un système de relation Internet haut débit, entre son atelier de Rolle, en Suisse, et le Studio national des Arts contemporains - Le Fresnoy, Jean-Luc Godard s'entretient et échange des images avec les critiques et théoriciens du cinéma André S. Labarthe, Dominique Païni, Jean Douchet, Jean-Michel Frodon, Nicole Brenez et Jean Narboni, et l'historien de l'art Jean-Claude Conesa.
Une édition nécessaire pour s'approcher et appréhender les différentes chausse-trappes dressées par le cinéaste pour décourager la critique d'analyser son uvre : celle d'un des plus grands génies du cinéma. Ensemble et séparés - Sept rendez-vous avec Jean-Luc Godard (Alain Fleischer, 2007, 7h32). En octobre, novembre et décembre 2004, Le Fresnoy - Studio national des arts contemporains a entrepris avec Jean-Luc Godard une collaboration dans la perspective de l'événement exceptionnel auquel il travaillait pour sa présentation au Centre Pompidou en avril 2006. Autour de l'uvre du cinéaste et de thèmes qui l'occupent (esthétiques, théoriques, moraux et politiques...), sept rendez-vous ont été organisés avec André S. Labarthe, Dominique Païni, Jean-Claude Conesa, Jean Douchet, Nicole Brenez, Jean Narboni et Jean-Michel Frodon, créant la proximité en respectant la distance, grâce à des visioconférences via le haut débit. On y voit, on y entend Jean-Luc Godard dans son studio de travail à Rolle en Suisse, et ses interlocuteurs au Fresnoy.
Entretien avec Dominique Païni sur l'exposition
(0h20).
Dominique Païni affirme ici pleinement son rôle à la fois modeste et héroïque de commissaire de l'exposition que Godard répudia pour affirmer pleinement son geste artistique. Comme pour une adaptation de roman, il a fallu que Godard reconstruise le scénario initial et le réinvente
Ensemble et séparés 1 : André
S. Labarthe, le 28 septembre 2004 (0h07)
Dès La sortie des usines Lumière, le cinéma se répète et se cite avec une deuxième version. Après soixante ans d'existence, le cinéma découvre son vrai personnage, le temps. Dans le cinéma des studios, on expulse le temps parce qu'il gêne. Antonioni, le premier, isole la particule temps. C'est comme une bombe à retardement qui détruit tout ; ainsi dans L'avventura, la disparition du personnage principal. Truffaut décriait chez Antonioni le fait que lorsqu'un personnage passe une porte, la camera reste sur celle-ci quelques secondes. C'est dans ces morceaux de champ vides que le temps s'engouffre. Le temps est désorienté. On ne sait plus où aller. Cela a été pressenti par le néoréalisme ou Beckett. Les films de Godard s'inscrivent sans ce basculement qui a suivi la grande narration hollywoodienne. Ce monologue de Godard reste sans réponse car le cinéaste ne l'a probablement pas entendu à Rolle
Ensemble et séparés 2 : avec Dominique
Païni, le 6 octobre 2004
Godard tente de déstabiliser Dominique Païni en ne s'éclairant qu'avec une bougie et de protester alors que la conversation sera nulle puisqu'on ne verra rien." Ce qui est bien c'est ce que vous direz (...) Si vous voulez être dans le noir c'est très bien" finit par lui dire mi-amusé, mi-excédé Dominique Païni. Avec la figure de l'idiot, Dominique Païni trouve une ligne cohérente dans l'uvre de Godard contre la prétention, l'esprit de sérieux et le pouvoir Seront abordés : Michel Piccoli dans Le Mépris, Pierrot le Fou, Le langage de Godard, Le tennisman, Soigne ta droite, King Lear, Filmer et projeter.
Ensemble et séparés 3 : Jean Douchet,
le vendredi 8 octobre 2004
Dans le langage cinématographique, le contrechamp porte le conflit, l'accentue. Il semble que Godard ait effacé le champ contrechamp de sa pensée. Godard affirme que c'est un point important. Il y a peu de champ contrechamp chez Rossellini sauf dans Le général della Rovere fait pour des raisons financières et qui a eu plus de succès que ses autres films. Le vrai contrechamp, ce serait celui, après la géométrie de Pascal de l'algèbre de Descartes. Trop souvent, on a du champ à tout bout de champ ; il n'y a plus de contradiction. Dans le filmage de cette conférence, dit Godard, il n'y a pas de vérité de l'espace et du temps propre de chacun. Il faudrait introduire dans notre conversation des plans qui montreraient comment nous sommes en train de gagner notre vie. A Douchet qui craint que ses trous de mémoire ne relèvent de la maladie d'Elsheimer, Godard répond que ce serait plutôt le syndrome Renée saint Cyr, un contretemps. Si on te donne un crayon ou un pinceau, tu ne seras pas un grand peintre. Or tout le monde croit qu'il peut faire du cinéma avec une caméra. Aux étudiants qui lui demandent conseil pour faire un film, Godard répond d'imaginer comment parler de soi pour une journée mais pas de façon factuelle. Ensuite l'étudiant devra projeter ce film et savoir s'il est possible d'avoir de l'argent avec ça. Les critiques, ce sont les délégués syndicaux du cinéma, il faudrait les fusiller, avec des mots bien sûr. Douchet interroge Jean-Luc Godard sur Voyage(s) en utopie. Le projet de Païni est d'exposer dans une salle des films de Moulet, Gallo, ou Godard afin qu'ils soient vus durant plus longtemps. Pour Godard, le musée, ce sont des uvres mortes qui ressuscitent ou, moins religieusement, qui suscitent une révélation. Ce n'est pas pour des uvres vivantes... mais l'idée d'exposer l'intéresse.
Ensemble et séparés 4 : Jean-Michel
Frodon, le 8 decembre 2004
Frodon indique qu'il parlera comme critique, c'est à dire dans
un rapport à l'uvre d'art et comme journaliste, dans un
rapport aux informations. Il interroge Godard sur son affirmation faite
à Serge Daney à propos de la disparition du personnage
au cinéma. Je vous salue marie est parti d'un texte de Françoise Dolto : L'évangile au risque de la psychanalyse. C'est l'histoire de la confiance. Le problème de l'homme est qu'il ne peut jamais être certain que l'enfant est de lui. Godard a pour principale activité de douter. L'image est la personne, le texte est le personnage. Croyance en l'histoire pour le cinéaste. Frodon indique que c'est aussi le problème du spectateur qui paie pour croire à une histoire Il voit une rupture dans l'uvre de Godard dès son troisième film. Le premier plan du Petit soldat. "Pour moi le temps de l'action est passé, le temps de la réflexion commence". Godard prend le contrepied : "Non le temps de la réflexion est passé, le temps de l'action commence" réplique Godard en parlant de Notre musique. Les gens ont le courage de vivre leur vie mais pas de l'imaginer. C'est le privilège des artistes. Conférence Q'est-ce que l'acte de création ? donnée par Gilles Deleuze. Après les sociétés de souveraineté, Foucault voyait des sociétés disciplinaires, caractérisées par la constitution de lieux d'enfermement : prisons, écoles, casernes, hôpitaux, usines. Aujourd'hui, se dessinent de sociétés de contrôles : plus besoin de milieu d'enfermement avec le travail à domicile, le mélange école et profession, ou les autoroutes. L'information devient le système contrôlé des mots d'ordre. La contre information est inefficace ainsi celle des juifs sur les camps. Ou alors la contre information devient acte de résistance. L'oeuvre d'art n'a rien à faire avec la communication. L'uvre d'art ne contient aucune information. Selon la théorie de Shanon, toute information génère du bruit. Le bruit gêne l'information que l'on croyait entendre, sous les motifs de l'histoire, une autre histoire qui rejoint l'autre à la fin. Suivent des réflexions sur l'image et le texte, le droit d'auteur,
la preuve par l'image. Ensemble et séparés 5 : Jean-Claude
Conesa, mercredi 20 octobre 2004
Jean-Claude Conesa a choisi comme corpus d'analyse, Une femme est une femme, Made in USA et Alphaville. Godard s'étrangle : "les deux premiers films, c'est ce que j'ai fait de plus mauvais ! Made in USA est un film tiré à la ligne. Il a pâti de Deux ou trois choses que je sais d'elle, fait en même temps." Pour Conesa, Une femme est une femme est caractéristique du rapport entre le voir et l'énoncé : est-ce qu'une langue qui est prise au mot cesse de vivre ou prend d'autres sens ? Made in USA est caractéristique de la déconstruction du langage. "On peut voir cela" dit Godard mais ce n'est pas réalisé dans ces films ; les plus mauvais avec Bande à part". Suivront les thèmes de L'homme et la machine, L'écriture, Le Moïse de Michel-Ange, La déconstruction, Le langage dans Alphaville, Cinéma et scopes, La réconciliation des contraires, L'image et le texte.
Ensemble et séparés 6 : Nicole Brenez
mercredi 17 novembre 2004
Ciné-Tract 1968.
C'est un witz, un mot d'esprit dit Nicole Brenez. Plutôt une idée
de scénario évoquant Malevitch, le sang, coréalisé
avec Fromanger.
Ensemble et séparés 7 : Jean Narboni
Vendredi 26 novembre 2004
C'est sans aucun doute, Jean Narboni qui pousse Jean-Luc Godard le plus loin dans la discussion critique des aspects les plus controversés de son uvre. Pour Narboni, des éléments de Allemagne neuf zéro se retrouve dans Notre musique et Eloge de l'amour. Dans Notre musique, on trouve aussi un état entre la construction et la déconstruction, Les tramways, La phrase de Sophie Scholl est dite par l'ambassadeur à Sarah Adler dans le hall de voitures. La rose blanche évoque la résistance. Dans Eloge de l'amour, on retrouve les thèmes de la guerre mondiale, de l'extermination, l'essor de la langue. On semble sortir d'un long sommeil vers des lieux qu'on ne reconnaît plus, méconnaissables comme dans un mauvais rêve de Lemmy Caution Godard fait état d'une différence fondamentale. Dans Allemagne neuf zéro c'est un état qui disparaît, qui se suicide alors que dans Notre musique, il cherche à renaître. Il y a un "retour en avant" dans Notre musique, quelque chose de neuf comme il y a un "retour en arrière" dans Eloge de l'amour comme dans Allemagne neuf zéro. Il affirme l'importance pour lui du romantisme allemand plus que de la culture italienne. Son classement de bibliothèque est alphabétique mais, à la lettre A, par laquelle il commence, on trouve toute la littérature allemande. La genèse de Notre Musique. Notre musique devait être, au départ, l'histoire du soldat américain qui tue Webern. Un critique musical allemand découvre, dans un concert, que celui qui va épouser sa fille est cet assassin. Narboni lui dit que cet américain était un noir. Il était noir (ivre) s'amuse Godard. Le projet a évolué quand Godard a été invité au salon du livre de Sarajevo. Forte impression de la ville après la catastrophe, quand il n'y a plus personne. Il faut alors, soit continuer à vivre, soit renaître. Le film est parti du décors. Le film aurait pu être un documentaire sur les intervenants du salon du livre fait avec une caméra vidéo. Narboni lui fait remarquer que les critiques n'ont pas compris qu'il y avait deux filles. Sarah, d'abord, qui disparaît de l'histoire puis Olga, qui devient le personnage principal. Sarah Adler, israélienne ne voulait pas jouer Iphigénie, la martyre, la kamikaze. Godard dédouble le personnage. Ce sont deux surs spirituelles. Les Indiens ne sont pas comme don Quichotte dans Allemagne neuf zéro. Godard a repris une idée d'Elia Zambar où les Indiens sont comme les Palestiniens massacrés. Ici, les gens de Sarajevo n'ont pas tous été tués, n'ont pas perdus leur territoire mais ont comme des frères imaginaires des palestiniens, et donc, des Indiens. Champ/Contrechamp. Narboni interroge Godard à propos
du champ contrechamp du film. Dans Les
enfants jouent à la Russie, Godard dit avoir déjà
dit que la grandeur du cinéma soviétique est d'avoir ignoré
le champ contrechamp. Celui-ci n'est pas né en France mais aux
Etats-Unis, probablement comme induit par le jeu de ping pong entre
le producteur et le réalisateur. En Russie, il y a des commissaires
politiques mais pas de producteurs. Le texte et l'image. Descartes abandonne la géométrie pour l'algèbre. Il recourt à l'équation, à du texte pour expliquer les coniques. Pascal continue de voir la coupe d'un cône géométriquement. Oui à l'image, non au texte, pratique plus complexe. Lanzmann, Kazanski, les historiens font toujours du texte. Godard professe son admiration pour Michelet qui écrivait avant l'invention de la photographie. Il a fait de l'imagerie et a donc été déconsidéré pour cela. Godard avait écrit à François Furet à propos d'un texte sur la révolution française bien écrit car les documents y jouaient un rôle d'image. Mais il n'a pas aimé La fin du communisme où ce n'est que du texte. Ces historiens n'ont jamais regardé une image dit-il. Ils ne se servent pas ni d'Eisenstein ni de Vertov. Godard avait proposé deux séries de photos à des étudiants. L'une de propagande nazie sur des jeunes files en uniforme, blouse blanche et foulard, qui souriaient. L'autre de propagande soviétique avec les mêmes uniformes, les mêmes costumes. Est-ce que vous voyez une différence entre les sourires ? Il y a une différence entre ces deux photos en gros plan qui sourient. Quels que soient les crimes des staliniens, le sourire de la jeune fille avait de la foi, de l'espérance. Dans celui de la fille nazie, on ne trouvait que de la force. Godard affirme qu'il y a une différence. Narboni n'est pas convaincu : "Ce n'est pas le contexte que tu connais ?" A François Furet, il reprocha de n'avoir pas vu ça ; à Narboni, il se contente de dire que c'est vrai pour ces deux jeunes filles là. Pour tout le peuple, il ne sait pas.
On lui a fait un mauvais procès. Quatre photos dans le livre
de Didi Huberman prises depuis un four crématoire disent que
des Juifs ont pu les expédier pour les envoyer en occident. Le
texte est plus puissant que l'image (même dans les commentaires
sportifs) mais surtout les textes sur l'image. Le texte biblique est totalitaire parce que sans image mais le marxisme n'est pas totalitaire non plus. C'est ceux qui s'en emparent qui le sont. L'hébreu n'a que des consonnes et Rimbaud n'aurait pas pu écrire le sonnet des voyelles. Arafat et Sharon, le texte est plus guttural, moins d'arabesques et de façon de le prononcer ou non suisse allemand ou suisse français. Juif musulman aujourd'hui les Palestiniens sont les juifs des juifs. Si la deuxième est bien produite, il y en aura une troisième. Si une image de Cary Grant ou de Depardieu, puis, ensuite une deuxième image avec leur partenaire féminin, on en reste à la première image. Ce n'est pas la peine, tu te répètes et ca s'annule. Que ce soit ce système là qui soit privilégié, c'est un fait.
Israël et Palestine. Mahmoud Darwich poéte dialogue avec Sarah Adler et lui dit à propos d'Israël "Notre grande force c'est de les avoir comme ennemi". Du style du champ, du contrechamp avec des troisièmes images. Dire "c'est degeulasse", on ne fait que la première image. Hitler a prononcé une fois le mot Palestine. Les israélites auraient bien voulu éliminer le mot Palestine. Le dandysme, c'est la grandeur sans la conviction; Suicides dans Pierrot le fou. Suicide acte pur de la décision, ni pour se faire regretter, ni par souffrance. Mais c'est aussi le sacrifice (carton procès de Jeanne d'arc). Le visage de l'autre vous met en infériorité, dit Levinas. On devient le gardien de ce visage. Genet dans Le captif amoureux dit le contraire : on a envie de lui marcher dessus. Juive française d'origine russe kamikaze, Godard affirme que c'est ce qu'il aurait pu faire. Risquer sa vie pour la paix. Elle demande qui veut bien risquer sa vie aussi pour cette paix. Narboni lui demande si c'est la même chose que le bonze vietnamien
qui se fait brûler dans Personna ou Ian Palache en 1968. Godard
fait une différence, là elle est seulement prête
à mourir. Elle prend le risque, met sa mort en question. Qu'il
y ait 1 000 suicides de Palestiniens et aucun martyre israélien
interroge Godard. Narbonni lui rappelle qu'il y a des morts civils.
C'est vrai répond Godard mais aucun israéliens ne s'est
suicidé. Ils sont partis avec des chars. Religion et sociabilité. Godard n'emploie pas de déclaration
détournées, qui ne seraient pas exactes. influence de
Simone Weil. Olga comme Nana qui pleure devant Dreyer. Le second prénom
de la mère de Godard, Odile était Marie. Influencé
par Bernanos mais n'a pas cru à une adaptation de Chantal dans
la joie.
A la fin du film, lorsque les gens jouent sans balles, Godard finit par reconnaître qu'il a pensé à Blow up. Importance de la croyance. L'avion à la fin de Notre Musique, c'est, explique Narboni, celui de l'ami du grand-père, le dialogue se fait et va être proposé à Arretz. L'ambassadeur a donc démissionné. Godard, admiratif, félicite une nouvelle fois Narboni qui se dit très content d'avoir discuté avec lui. "Merci Jean, salut Jean-Luc".
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présentent
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Morceaux
de conversations avec Jean-Luc Godard d'A. Fleischer
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