Here - Les plus belles années de notre vie

Des dinosaures fuient les incendies déclenchés par les météorites. Après leur extinction, l'ère glaciaire s'installe. Puis la terre redevient verte. Bien plus tard, la région abrite le peuple Lenni-Lenape. Un colibri vient butiner une fleur; la charpente d'une maison s'élève. Plus tard, en face, une maison de pierre se construit. De nos jours, Richard arrange deux chaises .Au tournant du XXe siècle, la maison en pierre devient le centre de l'action. Ses premiers occupants sont John Harter et sa femme, Pauline.

Al et Rose achètent pour 3400 dollars, ils ont trois enfants. Ils fêtent les Noël. Ricky interroge son père sur la guerre, la caméra franchit la fenêtre et voit la maison d'en face brûler. Fondu-enchaîné sur un homme Lenni-Lenape qui offre un collier à sa femme. Ils font l'amour. Un colonialiste William Franklin, fils de Benjamin Franklin (dernier gouverneur colonial du New Jersey de 1763 à 1776) est en colère contre son père, indépendantiste qu'il qualifie de terroriste, ils sont agressé par deux adolescents. Retour au contemporain cette maison est commentée depuis le milieu  des années 2010, la maison est habitée par Devon et Helen Harris et leur fils Justin et leur gouvernante, Raquel. Rose lors d'une fête des enfants réprimande Richard, trop remuant. Le couple bohème Lee, un inventeur, et Stella Beekman, une pin-up, qui y vécut dans les années 1940, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Lee invente ce qui deviendra le fauteuil inclinable La-Z-Boy.

Pauline reproche à John sa passion pour l'aviation. Al est amer échec professionnel il sa soûle. Ricky dessine. Lee et Stella dansent. Al est licencié. Ricky présente sa nouvelle copine Margaret à son frère et à sa sœur. Margaret voudrait devenir avocate comme Rose voulait être comptable, Richard se destine aux arts graphiques. Al a l'alcool mauvais. Lee et Stella. Raquel et la famille.Pauline reproche à John d'avoir emmené leur enfant en avion. Margaret est enceinte, Richard et elle se marient. Al rate la photo de mariage. La femme lilop est enceinte. Le fauteuil est un succès en 1942. Margaret est de plus en plus enceinte ils vivent chez Al et Rose, Richard dessine, la maison fuit. Margaret perd les eaux. Il est assureur. Vision des noëls de l'enfance et des renoncements. Elle est pin-up le fauteuil de télévision. Margaret veut sa maison et doit se contenter de changer de salon. Jimmy s'engage dans l'armée, ce que Richard refuse. Ils invitent Ted et Virginia, leur amis. Ted meurt de rire. John meurt de l'influenza.

Richard a fait les plans de la nouvelle maison pour Noël. Franklin est avec son petit-fils. Vanessa retrouve son ruban bleu. Richard n'a pas eu son augmentation. Vanessa est adolescente, fait de l'aérobic. Rose est tombée du sapin de noël. Al saoul prie et renonce à boire. Al offre la maison à Margaret au grand dam de celle-ci : ils vont en Floride et qui Lee et Stella vont en Californie.

Justin fête ses seize ans. La femme indienne au collier est morte. Les archéologues montrent à Margaret le collier. Vanessa à seize ans. Ils sont enfin seuls. Vanessa à l'université puis en droit; le temps passe.

Rose avec Richard bébé dans le souvenir de Al revenu pour l'action de grâce. Justin se fait expliquer une arrestation quand on est noir. Margaret fête ses 50 ans, regrette de n'avoir rien fait. Un coach préconise le divorce. Raquel ne sent plus rien. Al revient vivre vieux et malade à la maison. Richard, au téléphone avec Vanessa, pense que Margaret va le quitter; elle a des troubles de la mémoire. Raquel meurt, ils s'apprêtent à vendre la maison. Année 2003, puis ils se quittent. Miss Harper et sa fille s'en vont. Rose ne sait plus pourquoi elle est ici, Al en rêve et meurt. Margaret appelle Richard  après l'enterrement. il se remet à peine, elle visite Paris avec Vanessa; ils se retrouvent pour l'action de grâce. Biscuit chinois.

Devon et Helen vendent également la maison. Devenu un homme âgé, Richard emmène Margaret, désormais atteinte de démence, dans la maison vide en 2024. Il tente de lui rappeler plusieurs événements spéciaux qu'ils ont partagés « Ici », ainsi que la fois où Vanessa, enfant, a perdu un ruban bleu de l'école, ce qui ravive enfin tous ses souvenirs heureux de leur vie commune. La caméra fixe s'éloigne alors et montre le seul plan extérieur de la maison d'origine, vue depuis le toit du manoir de William Franklin. Un colibri apparaît dans la scène finale.

Adapté d’un roman graphique de Richard McGuire, Here reste un film commercial, qui ne déroge pas à un certain classicisme narratif et émotionnel dont l’argument nostalgique consiste à réunir, trente ans plus tard, l’équipe de Forrest Gump : Eric Roth au scénario, Tom Hanks et Robin Wright en couple star. Le film possède néanmoins une dimension conceptuelle : la simple observation d’un lieu unique (l“ici” du titre) en plan fixe, de la préhistoire à nos jours. Zemeckis traite son plan comme un palimpseste où une infinité de couches temporelles peuvent ressurgir à tout moment, comme autant de nappes du passé ou du futur prêts à recouvrir simultanément la surface d’un présent perpétuel.

Retour au passé

Pendant 20 ans, Robert Zemeckis a été un cinéaste innovant avec un goût pour l'innovation technique : prise de vue réelle avec des images animées dans Qui veut la peau de Roger Rabbit ? ou des acteurs incrustés dans des archives dans Forrest Gump.

Mais c'est surtout au thème  du passage du temps; ou comment le rejouer pour qu'il reste vivace, qu'il reste fidèle. Ainsi, dès Crazy day (1978), il met en scène quatre adolescentes de 1964 qui décident de se rendre à New York afin de rencontrer leurs idoles, les Beatles. Mais c'est avec les trois retour vers le futur (1985, 1989 et 1990) qu'il va expérimenter la possibilité de changer le passé pour qu'il reste identique à peine nettoyé de quelques éléments. Si Retour vers le futur I reste stationné en 1955; le II explore cette même période avec une envolée en 2015 alors que le III explore l'année 1880. Dans La mort vous va si bien (1992) les nappes du temps explorées sont celles de 1978, 1985 et 2022. Quant à Forrest Gump c'est toute l'histoire récente de l'Amérique qui est explorée : 1956, 1966, 1972, 1974, 1976 et 1981. Dans Contact (1997), c'est la passion inculquée par le père dès l'enfance qui permettra à la scientifique interprétée par Judy Foster de rencontrer les extra-terrestre dont la civilisation est bien plus avancée que  la nôtre.

Le XXIe siècle ne réussira paradoxalement pas à Zemeckis qui enchaîne les échecs et les demis-succès jusqu'au consternant Pinocchio de 2022 produit par Disney. C'est en imposant son adaptation du roman graphique de Richard McGuire que Zemeckis retrouve ses deux thèmes de prédilection: l'innovation technique et l'exploration du passé.

Caméra fixe et De-aging

La caméra ne bouge pas, c'est un plan fixe, : le cadre est toujours le même, l'angle identique, légèrement désaxé. C'est le cahier des charges que les Lumière et leurs opérateurs respectèrent mais pour 50 secondes seulement. Alors que dans le périmètre constant et limité de Here défilent à l'écran 65 millions d'années. Il ne s'agit pourtant pas d'un unique plan-séquence : dans le cadre s'ouvrent une, deux ou trois fenêtres pour commencer une nouvelle période, qui se développe pleinement une sorte de split-screen palimpseste quand une période prend la place d'une autre après le fondu-enchaîné du reste de cadre.

Le De-aging, ou rajeunissement, est un procédé nouveau qui consiste à rajeunir numériquement les acteurs. Dans The Irishman (Martin Scorsese, 2019) c'est un logiciel de Industrial Light & Magic (ILM) qui avait été utilisé. Il semble qu'ici ce soit un logiciel de Metaphysic Live qui permet le rajeunissement des comédiens dès la prise de vue.

Un cadre rassurant puis mortifère

Here aurait ainsi pu s’appeler Retour vers le présent, car c’est bien là sa grande affaire : en quoi le temps corrompt le vieux “rêve américain” – dont il fait ici l’élégie à la veille de sa possible et brutale disparition. S’il convoque des dinosaures, des indigènes et des colons, la famille Harper, la famille Beekman, puis ultérieurement la famille Harris, Zemeckis se concentre en réalité sur l’histoire de la famille Young qui, sur trois générations, occupe la maison. 

En brossant ce large panorama, Zemeckis semble pardoxalement indiquer qu'il est inutile de vouloir fixer le temps, appeler par nature à sécouler. On est ainsi assez loin du choix fait par les distributeurs français de lui accoler le sous-titre "Les plus belles années de notre vie" référence poossible au film de William Wyler de 1946, ou aux plus nostalgiquex Nos plus belles années (Sidney Pollack) et Les plus belles années d'une vie (Claude Lelouch, 2019).

Le film ne possède pas la force de Boyhood où les comédiens sont filmés sur 15 ans ou l'envoûtement des plan-séquences de A la lumière de la chandelle. Les strates narratives ne communiquent pas entre elles au-delà d'une commune désertion de la maison.

Certes, les problèmes sociaux des différentes époques sont abordés ; libération féminine par les études et le travail; la guerre du Vietnam avec le frère qui s'engage, le racisme de la police, le covid 19. Peut-être est-ce la peur de sortir du cadre qui provoque le malheur. Ainsi Mme Harper craint pour son mari l'accident d'avion alors qu'il mourra dans son lit de l'influenza. Margaret condamnée au cadre familial par la poltronnerie de son mari s'en ira pour Paris avec sa fille.

Peu-être pour Zemeckis, la liberté  consiste  à sortir du cadre tel le colibri vu au début qui refait une visite à la fin avant de s'envoler hors du cadre, alors pourtant élargie

Jean-Luc Lacuve, avant le ciné-club du mardi 22 avril 2025.