Vivement dimanche !

1983

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D’après "The Long Saturday Night" de Charles Williams. Avec : Fanny Ardant (Barbara Becker), Jean-Louis Trintignant (Julien Vercel), Jean-Pierre Kalfon (L'abbé Claude Massoulier), Philippe Laudenbach (Maître Clement), Philippe Morier-Genoud (le commissaire Santelli), Catherine Sihol (Marie-Christine Vercel), Xavier Saint-Macary (Bertrand Fabre), Roland Thénot (Jambreau). 1h46.

Un matin tôt, un certain Massoulier est tué d'une balle dans la tête lors d'une chasse aux canards. Julien Vercel, chassait ce jour-là dans le même coin ; reconnaissant la voiture du cinéma l'Eden, il laisse ses empreintes sur la voiture de Massoulier pour refermer la porte et éteindre les phares. Julien Vercel est directeur d'une agence immobilière d'une ville du Var. Il a pour secrétaire la charmante Barbara Becker. Celle-ci répond un peu sèchement au téléphone à Marie-Christine, la femme de Julien qui exige qu'elle lui fasse parvenir un chèque à Nice où elle réside pour quelques jours. Marie-Christine se plaint au téléphone à son mari qui rentre de la chasse. Excédé, Julien donne un préavis d'un mois à Barbara. Le commissaire Santelli entre alors dans l'agence immobilière pour interroger Julien sur le meurtre du matin l'accusant à mots couverts d'homicide.

Le soir, julien est harcelé au téléphone par une voix féminine qui l'accuse d'avoir tué Massoulier. Rentré chez lui, le téléphone sonne de nouveau et la femme précise ses accusations en informant Julien que sa femme volage, était la maîtresse de Massoulier. Un peu plus tard, alors que Barbara répète Le roi s'amuse de Victor Hugo avec des acteurs amateurs de la ville, Marie-Christine rentre de Nice. Julien lui fait avouer sans difficulté son infidélité. Marie Christine, d'abord apeurée tente de le séduire lorsque Jambreau, l'adjoint de Santelli, sonne à la porte. Santelli accuse cette fois ouvertement julien car les cartouches de l'assassin sont d'un calibre que seul lui utilisait encore. Julien appelle son avocat et ami, maître Clément qui fait libérer Julien et le ramène chez lui. Plus tard Barbara, lors des répétitions, est importuné par le jeu un peu top caressant de Jacques, son ancien mari dont elle vient de divorcer, journaliste au provençal et qui interprète Triboulet. Mais elle est plus surprise de voir arriver secrètement Julien. Celui-ci lui confie les clés de l'agence pendant qui sera parti à Nice. Il explique en effet à Barbara qu'il vient de découvrir Marie-Christine, assassinée chez eux. Dans l'agence, il prend argent et arme. Il s'endort et c'est Barbara qui part enquêter à Nice se chargeant de découvrir ce qui a pu se passer entre Marie-Christine et Massoulier.

En pleine nuit, elle dépose la voiture de Julien devant la gendarmerie de l'aéroport de Nice puis se fait conduire en taxi au 57 rue des entrepreneurs où Marie-Christine détenait un salon d'esthéticienne. Mais celui-ci est devenu un club privé, L'ange rouge, dirigé par l'inquiétant Louison. Barbara se rend ensuite à l'hôtel Garibaldi où logeait Marie-Christine et prend une chambre pour la nuit, la 813, la même qu'occupait celle-ci le matin même. En pleine nuit, elle est réveillée par un homme qui pénètre dans sa chambre et dont elle réussit à arracher une poche de veston contenant sa carte, celle de l'agence Lablache. Aux Mureaux, la police a découvert le corps de Marie-Christine. Son avocat, maître Clément est persuadé que Julien va se livrer. Il est démenti par un appel de la gendarmerie de Nice où l'on vient de découvrir sa voiture devant l'aéroport, ce qui laisse supposer une fuite.

Le matin, Barbara se rend à l'agence Lablache, où le vieux détective reconnait que Marie-Christine faisait l'objet d'une filature, payée par un mystérieux commanditaire. Ce n'est pourtant pas "le capitaine mon amour" comme l'indiquait une enveloppe trouvée dans la poubelle. Barbara informe en effet Lablache avant de rejoindre Les Muraux que Le capitaine et Mon amour sont deux chevaux de course.

Quand Barbara revient dans l'agence des Muraux, Julien la frappe pour l'avoir enfermé. Barbara ne sait s'il est coupable et le menace de l'arme. Julien s'en empare et tout deux conviennent que le coupable doit être le commanditaire de la filature. Ils sont dérangés par un curieux client qui cherche un château à vendre pour y installer une colonie de vacances. Lablache informe par télex que Marie-Christine n'était qu'une "esthéticienne" de bar de nuit de son vrai nom Josiane Kerbell. Barbara s'en va en informer maitre Clément mais comprend que celui-ci préférerait voir Julien en prison pour le défendre dans un procès retentissant. A la sortie du cabinet, Barbara est cueillie par Santelli qui détient la preuve que Julien est coupable. Ses empreintes sont sur la porte de la voiture de Massoulier.

Julien sen explique auprès de Barbara. Tous deux consultent le journal et y voit le mystérieux acheteur du château. Barbara et Julien appellent la gérante de l'Eden afin d'en savoir un peu plus sur la dernière soirée de Massoulier. Ils découvrent que la caissière est la mystérieuse voix qui harcelle Julien au téléphone. Mieux même Barbara en enquêtant dans le cinéma découvre qu'il s'agit de la femme qui fit un scandale dans le bureau de maitre Clément, déclarant sa vie brisée après la mort de Massoulier. C'est Louison qui raccompagne la caissière à l'Ange rouge, carbet du même nom que celui de Nice quine trouve à proximité du cinéma. Barbara suit ensuite la caissière chez elle et découvre qu'elle s'appelle Paula Delbeque, nom qui a servi de couverture à Massoulier pour acheter les cabarets qui camouflent un réseau de prostitution.

Julien insiste pour fouiller l'appartement de Paula et va jusqu'à se cacher dans la voiture du Provençal qu'a subtilisée Barbara à son ex-mari. Il monte d'ans l'appartement. En fouillant l'appartement, julien est surpris par le mystérieux acheteur du château que Barbara, venue à la rescousse, assomme d'un coup de Tour Eiffel miniature. Ils le ligotent et préviennent la police, persuadés qu'ils ont capturé le coupable. En sortant sous la pluie, ils constatent que la voiture ne démarre plus et alors que la police arrive, Barbara embrasse Julien sous une porte cochère comme elle l'a vu faire dans les films. Un peu plus tard ils vont sur les hauteurs de la ville et là, c'est Julien qui embrasse Barbara.

Le lendemain matin, cependant, rien dans les journaux n'indique que le meurtrier de Massoulier et Marie-Christine est l'homme ligoté de la veille. Perplexe, Barbara se rend à l'enterrement de Massoulier et a la surprise de voir que le prêtre qui dit la messe est justement l'homme assommé de la veille. C'est l'abbé Claude Massoulier, le frère du propriétaire de l'Eden assassiné. En désespoir de cause, Barbara essaie de se faire passer pour une prostituée afin d'enquêter prés de l'Ange rouge des Mureaux. Repérée par une prostituée, Barbara demande à voir Louison, qu'elle prend pour une femme alors qu'il s'agit du Louison des cabarets L'Ange rouge et du surveillant du cinéma de l'Eden. Il la gifle et la laisse partir mais restée prisonnière des toilettes, Barbara assiste au meurtre de Louison sans pouvoir voir son meurtrier. Elle se rend en toute hâte chez maitre Clément mais découvre de chez lui l'ancienne enseigne du salon d'esthéticienne de Marie-Christine. En entrant dans son bureau elle découvre une porte dérobée. Pendant ce temps la caissière de l'Eden est assassiné. Barbara converse avec Santelli. Julien entend les nouvelles du troisième meurtre et appelle maitre Clément. Barbara rentre dans l'agence et avoue son amour à Julien : "Vous ne m'avez jamais regardée comme une femme. Avec vous, si on n'est pas une fausse blonde platinée avec des faux cils et des faux ongles jusque là, faut pas espérer un regard". Julien se laisse séduire et ils font l'amour. Barbara ouvre pourtant la porte à la police après avoir promis de retrouver son amant le dimanche après sa fuite de la ville; C'est pour mieux piéger maitre Clément qui était l'amant jaloux de Marie-Christine. Celui-ci se suicide : "Je n'ai aucun remord car je ne fais pas partie de la société des hommes. Tout ce que j'ai fait c'était pour les femmes parce que j'aime les regarder, les toucher, les respirer, jouir d'elles et les faire jouir. Les femmes sont magiques monsieur Lablache alors je suis devenu magicien et d'ici une minute, il y aura un nouveau cadavre dans cette affaire".

L'abbé Claude Massoulier, pas rancunier, marie Julien et Barbara.

Le générique est un long travelling arrière cadrant Fanny Ardant se rendant à son travail. La caméra découvre ensuite un marais brumeux au petit matin, un chasseur à l'affût se retourne ; un coup de carabine, le chasseur s'effondre, le visage ensanglanté. C'est le début de Vivement dimanche ! Massoulier est mort. Les familiers de l'œuvre de Truffaut le connaissent sans l'avoir jamais vu : son nom apparaît dès La mariée était en noir (Massoulier est cet ami de Corey dont le dialogue nous apprend qu'il "s'est fait" l'hôtesse sur le Montréal -Paris). Dans Les deux Anglaises, la femme photographe déclare à Claude Roc qu'elle aurait pu le rencontrer à une soirée chez Massoulier où on l'avait attendu en vain ; dans Le dernier métro, Nadine fait la même remarque à Bernard Granger. Comme dans La peau douce, l'héroïne, Barbara, occupe la chambre 813 en hommage à Maurice Leblanc ; son nom de famille est Becker en hommage au cinéaste. On trouve aussi l'agence de détectives Lablache où comme celle de Blady dans Baisers volés le patron a les mêmes principes : 10 % d'inspiration et 90 % de transpiration. Il y a aussi le pervers fétichiste de L'homme qui aimait les femmes avec le même attrait pour les jambes des femmes vues depuis le soupirail. Au début du film, tandis que la femme du patron gît assassinée, un plan fait référence à une phrase de Cocteau en cadrant sur le poignet du cadavre une montre qui continue à marquer les secondes ; à la fin, pour démasquer le meurtrier, le commissaire Santelli donne au téléphone à Barbara une recette de salade de pommes de terre sortie tout droit de La règle du jeu. La déclaration de l'avocat : "la vie n'est pas un roman", joue elle sur le titre du film de Resnais.

Le film est truffé de références et de citations des maîtres. L'usage du noir et blanc est destiné à évoquer les images du passé. "Vivement dimanche ! s'efforcera de restituer l'ambiance nocturne, mystérieuse et brillante des comédies américaines policières qui, autrefois, nous enchantaient. Je crois que le noir et blanc nous aidera à retrouver le charme disparu" déclarait Truffaut dans sa correspondance.

Avec cette comédie policière qui est du début à la fin un hommage à la fiction et à l'art de conter, Truffaut illustre de façon magistrale sa conviction qu'un film n'a rien à dire ou, si l'on veut, que la forme peut être un message. Le film, à l'image de ses personnages, exalte le goût du jeu quin'a rien à voir avec la névrose de la possession des jouets. La première victime de névrose est Maître Clément, trop attaché à la possession des femmes et qui tient dans le commissariat un discours sentencieux sur les enfants qui ne veulent pas partager leurs jouets.

La seconde victime des jouets est Marie-Christine, la femme de Julien, qui n'aime le jeu que dans son rapport à l'argent. Les milieux qu'elle fréquente sont ceux des courses et de la prostitution. Cohérence de la mise en scène, Marie-Christine se considère comme un objet et sa mort sera filmée à la manière hollywoodienne, là où les stars n'étaient considérées que comme des objets : couleurs grises faiblement contrastées mais glacées, maquillage aussi clinquant que parfait, désordre ordonné…

L'enjeu du film est de sortir Julien Vercel de ses jouets pour lui faire découvrir l'amour du jeu. Une grande partie de ses problèmes provient en effet de sa fascination pour les blondes platinées (scène de la secrétaire au doigt frappeur). C'est son fétichisme qui l'empêche de voir l'amour que lui ouvre Barbara. Le fétichisme étant ici donné comme un signe de déchéance (le noceur de l'ascenseur). Julien Vercel, personnage de cinéma, peut remonter à la surface de la vie alors que Bertrand Morane, L'homme qui aimait les femmes, écrivain, travaillait à s'enfoncer toujours davantage dans la mort. Ses grosses colères sont souvent l'occasion de sortir de lui-même et il parodie de manière enfantine le jeu des détectives (c'est moi qui suis le détective... non c'est moi… Attention, on décroche ensemble à la deuxième sonnerie, on cuisine l'un après l'autre la caissière du cinéma…). L'enthousiasme de l'enfance semble ici le catalyseur de l'amour et transforme Julien Vercel qui au début paraissait maladroit, peu sympathique et engoncé dans le sérieux social.

Dans le film, Hyères, où il a été tourné n'est jamais citée, il est juste dit "La ville" par les personnages. Deux articles du Provençal indiquent même que le lieu de l'action est Les Mureaux, nom imaginaire alors que le film, tourné juste avant la modernisation du centre urbain et la disparition du vieux cinéma, l'Eden, constitue un témoignage unique sur la ville de Hyères à cette époque (on voit même le plan de la ville dans le bureau du commissaire).

Bibliographie :
Anne Gillain : François Truffaut, le secret perdu ;
Cinéma 83 : n°300, décembre 1983.