Le dernier métro

1980

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Thème : Théâtre

Avec : Catherine Deneuve (Marion Steiner), Gérard Depardieu (Bernard Granger), Jean Poiret (Jean-Louis Cottins), Heinz Bennet (Lucas Steiner), Jean Poiret (Jean-Loup), Andréa Ferréol (Arlette), Sabine Haudepin (Nadine), Jean-Louis Richard (Daxiat), Richard Bohringer. 2h13.

En 1942, un Juif d'origine allemande, Lucas Steiner, directeur du théâtre Montmartre, a dû fuir afin d'échapper à la Gestapo. Avant son départ, il a laissé une pièce et toutes les indications de mise en scène qui serviront à Jean-Loup Cottins, un ami metteur en scène. Marion Steiner a donc la responsabilité de la salle de spectacle et, afin d'éviter la réquisition du local par les forces occupantes, elle monte une pièce soi-disant norvégienne, "La disparue" - en fait, une œuvre de Lucas - épaulée par Jean-Loup et secondée efficacement par son mari, qu'elle cache secrètement dans les caves du théâtre.

Un nouveau comédien transfuge du Grand Guignol est engagé : Bernard Granger. Un critique collaborateur, Daxiat, vient flairer autour du théâtre. Jean-Loup obtient de Marion qu'elle soit polie avec lui. Écoutant les répétitions par une bouche d'aération, Lucas parvient à corriger la mise en scène. La générale de la pièce est un triomphe. Marion résiste aux avances de Bernard. Lorsque la Gestapo vient perquisitionner, Bernard comprend que Lucas est dans la cave et l'aide à se cacher. Après avoir avoué son amour à Marion, il quitte le couple.

Après la guerre nous retrouvons Bernard dans un hôpital, conversant avec Marion. Le rideau se baisse : il s'agit d'une scène de théâtre, et la jeune femme, en compagnie de Lucas et Bernard, vient saluer le public.

Film sur le théâtre après La nuit américaine sur le cinéma mais film aussi plein d'hommage au passé au travers des références cinématographiques et à Catherine Deneuve

Le théâtre refuge romanesque face à la folie destructrice

Alors que l'époque est particulièrement noire, le théâtre résiste à la folie des nazis. La voix off du narrateur indique que les Parisiens "parce qu'ils ont froid, se pressent chaque soi dans les salles".  La tension entre théâtre et réel, vérité et apparences se manifeste au travers de la complexité des artifices du théâtre qui créent sans cesse du romanesque entre fausses identités, portes dérobées, faux décors, et amours dissimulées. Aucun des personnages n'est ce qu'il a l'air d'être : la décoratrice Arlette Guillaume et l'actrice Nadine Marcas ont une liaison. Nadine Marsac fréquente des Allemands dans l'espoir d'entreprendre une carrière de cinéma. Marion Steiner dissimule la présence de son mari à la troupe et tombe amoureuse de l'acteur Bernard Granger. Martine, l'amie du machiniste Raymond Boursier, fait du marché noir et vole les affaires de la troupe de théâtre.

A ces identités cachées répondent des scènes qui montrent que le théâtre lui même est un lieu secret. L'accès au bâtiment est toujours figuré par le passage par l'entrée des artistes. Les ombres chinoises qui se dessinent sur la porte lorsque Jean Louis Cottens reçoit le comédien Rosen venu quémander un petit rôle. Les coulisses sont aussi importantes que la scène comme l'indiquent les plans sur l'habilleuse Germaine tricotant pendant une représentation assise derrière un décor et les vues plongeantes sur Raymond dirigeant en coulisse les changements de décors.

Le cinéma toujours

A la fin, des images de la libération sont associées à des plans montrant en surimpression les spectateurs dans les salles et des enseignes lumineuses de théâtres parisiens. Le triomphe de "La disparue", pièce de théâtre, est relayé par les surimpressions du cinéma. Celui-ci reste en filigrane ainsi du petit rôle du garde chasse qui va reprendre la citation de Schumacher dans La règle du jeu : "J'ai vu de la lumière, j'ai cru voir un vagabond et j'ai tiré". Le garde-chasse se rapproche alors de la soubrette, interprétée par Sabine Haudepin, alors que, dans le fond, Paulette Dubost, qui jouait ce rôle dans La règle du jeu range les fleurs. On trouve également une citation de La sirène du Mississipi dans les 'oui, oui, oui, oui.." soupirés par Marion quand elle fait l'amour par terre dans son bureau avec Granger comme les même dix soupirs onze ans plus tôt donnés à Louis.

Le garde-chasse de La règle du jeu
Les "oui, oui, oui ... de La sirène du Mississippi

Malgré la période historique noire c'est l'un des films les plus lumineux de Truffaut, à l'image de La sirène du Mississipi, dont Catherine Deneuve cite avec Gérard Depardieu dans la pièce "La disparue", les répliques qu'elle échangeait avec Jean-Paul Belmondo.

- Maintenant je viens à l’amour Karl et j’ai mal. Est-ce que l’amour fait mal ?
- Oui l’amour fait mal
- Tu es belle Helena, si belle que te regarder est une souffrance
- Hier vous disiez que c’était une joie
- C’est une joie et une souffrance

L'art semble sauver le triangle amoureux auquel ne parvenaient ni Jules et Jim ni Les deux anglaises. Néanmoins, si Marion se déplace, lors du salut final, entre Steiner et Granger, ce sont ses mains aux deux hommes que filme Truffaut. Elle reste seule dans le cadre avant que le cercle du générique ne l'entoure et la magnifie. Comme si Truffaut, qui l'aime, la gardait, si ce n'est pour lui, au moins comme centre de son cinéma.

Jean-Luc Lacuve, le 15 octobre 2020

Bibliographie :