1ère partie, 1992-1996 :
Deuxième partie : 30 ans après
1-Nedim Alikadić. Revient sur 1
Nedim revient en bas de l'immeuble où il filmait. Il avait dû quitter ce quartier bombardé et occupé par les Serbes (Tchetniks). Il avait tourné deux jours les 22 avril et 2 mai. Il pensait que cela ne durerait pas que les puissances étrangères ne laisseraient pas faire. A 16 ans, avec une caméra, il n'avait pas peur. Puisque tout est enregistré par la caméra, est-il besoin de raconter ce que l'on a vécu ? Images difficiles à regarder mais donnent de l'énergie ; une leçon de vie.
2-Dino Mustafic. Rrevient sur sa situation au moment de la guerre
Les 4 et 5 avril, il montait un conte pour enfants. Stupéfaction de voir la guerre surgir. Une fois le film monté, il s'engage. Avec une équipe de tournage, il monte au front mais c'est plus dangereux de filmer en ville. Dépersonnalisation, comment on a pu faire ça ; l'acte de tuer ? Au Mont Igman, la nature a occulté les destructions.
3- Srđan Vuletić. Revient sur 4
Fils de médecin, il aide en tant qu'infirmier. En novembre 92 alors que des médecins expérimentés arrivent, il décide de se servir de ses études de cinéma Face à l'information toujours récupérée politiquement ou déformée, il veut raconter lui-même son expérience personnelle. De son film "J'ai brûlé des jambes", il admire le montage brutal mais acéré et précis qu'il avait à l'époque
4-Smail Kapetanović. Revient sur 3 et 8
Il veut filmer Dobrinja mais doit attendre l'autorisation. Il entre au service de presse pour filmer et commander une brigade comme sergent. Il demande à reconstituer l'attaque au bazooka du camion. Même simulé, cela lui fait peur. Je suis devenu plus courageux. Il est encouragé par le fait de savoir que "La vérité est de notre côté". Comme d'autres engagés dans la presse, il pensait un peu échapper au front mais lui s'est vite affronté aux combats
5-Nebojša Šerić-Shoba revient sur 12 et 13
Rien ne le préparait au combat, à être un mois sur la ligne de front où c'était à lui de défendre la ville. cette forêt où il s'est battu. Le soldat en uniforme qu'il était n'était pas content ; il ne se reconnaît pas. Il combattait avec son père qui le filme chez lui puis au front avec d'autres soldats. Le 10 juillet 94, assis et fumant, il regarde ses camarades qui jouent au football. Quand, il n'y a pas de combat, on se raconte des blagues. Il avait oublié ces moments passés, enfouis. Il avait renié sa mémoire.Il essaie de comprendre le sens de ces images
6 Dino Mustafic revient sur 2 et 11 (première et seconde partie de son film)
avril 92 miracle de voir naître la résistance rendre à notre pays ce qu'il nous a donné . Se remémore cette vidéo ; ces tirs dans la forêt. On ne dit pas "ça tourne" mais "bonne chance", que personne ne soit tué. Il avait filmé en gros plans les visages; difficile aujourd'hui car ces soldats sont pour la plupart morts deux jours après.
7 Nedim Alikadić Revient sur 13
Cimetière juif, le tunnel avec l'homme au sandwich, les armes près d'un mur. Il n'avait pas le droit de filmer mais voulait consigner le quotidien : très difficile, horrible ,d'être près des tombes et donc de penser à la mort même si plus en sécurité qu'en ville où les civils sont tués.
8- Srđan Vuletić. Revient sur 16
Important de transformer l'information en émotion ; permettre de relier des gens différents via l'identification. L'information pure crée une distance avec le réel. Quand les images sont intégrées dans une structure narrative, elles forment une pensée que tu essaies de communiquer aux autres ; quand tu parviens à y ajouter ta propre émotion, alors elle devient autre chose. Le cinéma n'a rien à voir avec l'information même s'il peut en contenir. Les gens ont des passions que rien ne vient arrêter, même en temps de guerre. La structure narrative traduit mon sentiment : simplicité de ce jeune homme qui voulait entendre de la musique et qui s'est pris une balle au coude en tirant un câble.
Après un générique de 50" sur des images contemporaines qui seront revues par la suite, débute la première partie de 26 minutes, enchaînant 22 films tournés pendant le siège de Sarajevo, puis une seconde partie de 1h20 ou s'enchaînent plus d'une vingtaine d'interviews entremêlées des cinq cinéastes ayant tourné ces 22 films. La première partie donne l'impression d'un film de guerre fidèle à ce que ressentaient ces hommes devenus subitement soldats pour défendre leur ville et témoignant de la vie à Sarajevo où drames et réalités plus souriantes de la vie quotidienne s'entremêlent. La seconde partie, plus âpre, faite des interviews des cinq réalisateurs, permet de dégager trois positions de cinéaste face à ces images. Ainsi, autant qu'un documentaire de guerre, s'agit-il d'un documentaire sur le cinéma.
Le seul film d'un immense corpus sur la guerre de Bosnie, tourné sur celle-ci pendant celle-ci
Certes, il s'agit ici d'un assemblage partiel de témoignages. Sur près de quatre ans de siège, la réalité fut plus complexe. Le film ne rend ainsi pas compte des pires tragédies de ce conflit. Le 1er juin 1993, quinze personnes furent tuées et quatre-vingt blessées lors d'un match de football. Le 12 juillet de la même année, douze personnes furent tuées pendant qu'elles faisaient la queue pour de l'eau. Un attentat devant une boulangerie ainsi que deux explosions sur le marché de Markale, qui firent plusieurs dizaines de victimes. Ces événements justifièrent l'intervention de l'OTAN qui imposa un ultimatum aux forces serbes pour retirer l'armement lourd au-delà d'une certaine limite dans un délai donné, sans quoi ils feraient face à une attaque aérienne. Cette intervention tardive et insuffisante de la communauté internationale est mise en accusation plusieurs fois dans la seconde partie.
Aussi disparates que soient les tonalités des différents films mais aussi parce qu'ils sont différents, en les montant, Periot réussit l'exploit de réaliser le seul film tourné pendant le siège. Abondant est le corpus de films traitant de la guerre de Bosnie, la première sur le sol européen depuis la seconde guerre mondiale. Mais rares furent les films tournés pendant le conflit et presque tous le furent depuis l'étranger et aucun mettant en scène la vie durant le siège.
Cinq cinéastes pour trois attitudes faces aux images
A cette première partie, remarquable tant elle témoigne de tonalités différentes vécues en temps de guerre, succède une seconde partie plus âpre, faite des interviews des cinq réalisateurs. Jean-Gabriel Périot avait en effet identifié une dizaine de jeunes gens, de 16 à 25 ans, mobilisés dans l’armée qui ont filmé dans Sarajevo assiégée. Certains ne voulaient pas revenir sur leurs années de guerre. D’autres ont partagé des expériences de production assez similaires et il ne lui semblait pas pertinent d’interviewer chacun d’eux. Au final, il a travaillé avec les réalisateurs Nedim Alikadić, Smail Kapetanović, Dino Mustafić, Nebojša Šerić-Shoba et Srđan Vuletić. Comme dans Une jeunesse allemande, le film interroge ce que serait "l’acte" de filmer en s’intéressant à des cinéastes qui, face à l’expérience de la violence, ont eu à prendre la décision de continuer ou d’arrêter de faire des films. Pourquoi faire des films à un moment où ce sont les armes qui parlent ?
Il se dégage assez rapidement, ce qui rend le film passionnant, trois attitudes de réalisation de ces images. Il y a celle des "professionnels" : Dino Mustafić et Smail Kapetanović, l'un caméraman professionnel, l'autre journaliste, certes novices dans le reportage de guerre mais disposant de moyens techniques mis à disposition par la ville. Il y a les "fortes personnalités": Nebojša Šerić-Shoba et Srđan Vuletić, et celle d'un garçon de 16 ans disposant d'une caméra et enregistrant pour lui-même ce qu'il ressent.
2-Des héros antiques pour défendre leur ville (Miracle en Bosnie, Dino Mustafic, 1995, partie 1/2) |
Dino Mustafić est le plus professionnel des cinq cinéastes; il est l'auteur de Miracle en Bosnie terminé en 1995 et La piste de la vie, terminé en 1993. Miracle en Bosnie est le seul film présenté en deux fragments (2 et 11) relatant les combats en ville puis en forêt. La piste de la vie est rendu encore plus émouvant, accompagné du célèbre Adagio pour cordes de Samuel Barber. Il documente la terrible période où la piste de l'aéroport est empruntée par ceux qui veulent entrer dans Sarajevo pour rejoindre leur famille et risquent de mourir sous les tirs des snipers serbes.
Smail Kapetanović, moins empathique dans le choix de ses rares musiques et de son discours, s'applique à rester proche de l'information filmée pour laquelle il a été recruté. A l'inverse de Dino Mustafić, c'est lui qui rassemble le plus de films, six, rendant compte de la vie du quartier de Dobrinja, le plus exposé.
Srđan Vuletić et Nebojša Šerić-Shoba sont les personnalités les plus intéressantes interviewées dans la seconde partie. Le second, parce que véritable bout en train aussi bien hier qu'aujourd'hui, il dispose d'un solide sens de l'humour et d'une joie de vivre manifeste, même pendant les combats. Dans un film drôlatique, il filme un suicide évité de justesse parce qu'il faut battre un tapis sur la musique d'Ainsi parlait Zarathoustra, pastichant ainsi les singes s'humanisant dans 2001. Srđan Vuletić, ex-étudiant de cinéma, affirme lui un vrai discours de ce que peut être un cinéma de guerre opposé à un simple reportage informationnel : s'inclure dans le processus narratif et développer ainsi une façon personnelle de ressentir le monde.
Nedim Alikadić ouvre et conclut la seconde partie. Seize ans au moment du début du siège, il expose avec un frémissement toujours perceptible aujourd'hui l'inanité de la guerre, sa terrible présence même en temps de paix dans la dernière phrase du film : "La guerre perdure. La paix, telle que représentée au cinéma, n'existe pas".
Les villes martyres contemporaines
Travailler l’histoire permet de la réactiver au présent, de la faire résonner avec les événements contemporains. Il est par exemple impossible, en voyant aujourd’hui ces images du siège de Sarajevo, de ne pas se projeter dans celles des drames contemporains des villes martyrisées que ce soit en Syrie, Alep dans Pour Sama (Waad Al-Kateab, 2019), le quartier de Yarmouk de Damas dans Little Palestine, journal d'un siège (Abdallah Al-Khatib, 2021) ; dans la bande de Gaza dans Voyage à Gaza (Piero Usberti, 2024) et des territoires occupés dans No Other Land (Yuval Abraham, Basel Adra, Hamdan Ballal, Rachel Szor, 2024) et en Ukraine dans 20 jours à Marioupol (Mstyslav Chernov, 2024) ou We will not fade away (Alissa Kowalenko, 2023). Il faut les regarder pour se rendre compte de l’horreur que des êtres humains sont capables d’imposer à d’autres. Mais il faut aussi le faire car ces films traduisent la force de vie et d’espérance de leurs auteurs. Même dans les ombres de l’histoire la plus crue, on peut, peut-être, trouver une place pour l’optimisme.
Jean-Luc Lacuve, le 1er décembre 2024 après la séance du Ciné-club au Café des Images du 28 novembre 2024. Merci au distributeur Jour2Fête pour le lien de visionnage ayant permis la préparation du débat.
Documents cités au cours du débat :