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Voyage à Gaza

Piero Usberti
2024

Genre : Documentaire

(Journey into Gaza). Avec : Mohanad, Mohammed, Sara et Jumana, Hani et Douua, Ahmed et Ali. 1h07.

Prologue. Avril 2018, la foule des Gazaouis se rend à l’enterrement du photographe Yasser Mortaja, mort à 27 ans alors qu'il couvrait la « Grande marche du retour », manifestations à la frontière de Gaza. Lors de la manifestation du 6 avril à Khan Younis, il prenait des photos à plus de 100 mètres de la frontière. Mortaja était le cofondateur de la société de production Ain Media, qui produisait des vidéos pour plusieurs médias internationaux. Il a été l'un des premiers à introduire une caméra drone à Gaza. Le drone qu'il utilisait filme ses funérailles. Des centaines de collègues et d'amis y assistent. Son corps posé sur une civière est recouvert du drapeau palestinien et du gilet pare-balles marqué « presse » qu'il portait lorsqu’il a été visé par un sniper israélien.

Piero Usberti, Italo-français né en 1992 en Italie, arrive en voyageur à Gaza grâce à Meri Calvelli, une relation professionnelle de son père. Elle a créé à Gaza le centre d’échanges culturels italo-palestinien. Grâce à sa très grande expérience des démarches en la matière, Meri a pu obtenir les trois autorisations nécessaires – d’Israël, du Hamas et du Fatah – pour le cinéaste

Grace à Sara, une jeune femme de son âge, il peut aussi interroger les Gazaouis. Ils ont appris à rire du bruit de "gros moustique" incessant des drones de surveillance dont le silence est plus inquiétant encore. Ils font avec les coupures d’électricité. Le pétrole en quantité insuffisante permet d'obtenir du courant quatre heures par jour seulement, des fois moins, laissant alors tout juste le temps de charger un ordinateur ou de téléphones.

Gaza est une prison à ciel ouvert avec seulement deux portes de sortie. Erez au Nord est controlée par les Isaréaliens. On ne peut sortir que pour aller de faire soigner à l'étranger avec des justificatifs. Rafah au Sud est controlée par l'Egypte. Il faut attendre des mois pour que s’ouvre la frontière un jour ou deux. Il faut là aussi des papiers et près de 3000 dollars par personne, somme impossible à économiser au vu des salaires très bas. Mohammed s'y est essayé trois fois. Il avait presque réussi avant d'être battu et ramené à Gaza. Il aime sa terre, ses amis mais les conditions y sont trop effroyables. Reste à vivre entre les barbelés et la mer. Les barbelés protègent la frontière avec Israel. Au nord, on y cultive les fraises mais il faut retser à plsu de 100 mètres de la  frontières sous peine d'être tués par les snipers. La mer aussi est contrôlée par Israel. Les bateaux de pêcheurs ne peuvent s’aventurer trop loin, sous peine d’être ciblés par les navires de combat israéliens.

Mais il n’y a pas que le siège exercé par Israël, soulignent les jeunes, qui dénoncent le poids suffocant des traditions exacerbées par le Hamas : pas de relation hors mariage, les ascenseurs sont les seuls endroits où les couples peuvent s'embrasser ; interdiction pour une femme de s’installer seule. Mohanad a plus de chance : s'installer seul pour un homme est mal vu mais toléré. Il a accumulé dans sa petite chambre des livres de philosophie dont certains sont interdits.

Deux frères expriment leur désarroi. L'un est amputé, l'autre a été blessé. Il était maçon mais cela ne lui plaisait pas ce travail épuisant sous un soleil trop chaud. Les deux frères refusent toute assimilation avec le Hamas. Ils n'en sont pas membres et n’ont jamais reçu la moindre compensation financière suite à leurs blessures. Ils pensent que les médias ne rendent pas compte de leur situation, en édulcorent la réalité.

Piero est rentré en Italie. Il pleut. Sara vit maintenant à Milan. Mohanad vit en Belgique depuis deux ans.

Terminé de monter deux semaines avant l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre, le documentaire est loin d'être obsolète alors que tous les lieux montrés sont aujourd’hui détruits, que nombre de personnages du film sont morts ou partis à l'étranger, leur famille massacrée, leur espoirs de retour anéantis. Le film montre en effet les effroyables conditions de vie imposées par les israéliens au Gazaouis avant le 7 octobre et l'impossibilité pour eux accepter un retour dans ces conditions.

Le voyageur qui vient les voir ne peut que le constater. Piero Usberti en adopte le point de vue dans le prologue. Sa révolte est manifestée par le tambour qui accompagne la voix off commentant la mort et les funérailles du photographe Yasser Mortaja. Mais la voix off se fait ensuite plus intime, attachée à montrer la beauté d'un territoire pourtant sans richesse ostentatoire ni ornement à l'incroyable densité de population : 2,5 millions de personne sur une bande de 40 kilomètres en bordure de mer. Il est effroyable de voir par quels moyens le gouvernement israélien d'extrême-droite, les condamnait à la diaspora dont le peuple juif fut victime autrefois. Sara vit maintenant à Milan, Mohanad vit en Belgique depuis deux ans. Tous les livres qu’il avait recueillis en tant d’années sont perdus. Maintenant il reconstitue courageusement une nouvelle bibliothèque dans son petit appartement à Ghent

Devant la beauté des lieux, préservés des ravages du capitalisme, des jeunes gens, aux paroles humanistes et rieuses, on pense à Pasolini, Le génocide culturel, son intervention à la fête de l'Unita de Milan à l'été 1974 dont ces jeunes gens ont été préservés. Mais intervention d'autant plus cruelle que les accusations d'un génocide qui les ferait disparaitre corps et âmes apparaissent chaque jour plus fondées.

Jean-Luc Lacuve, le 11 novembre 2024

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