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La prisonnière de Bordeaux

2024

Festival de Cannes 2024 Avec : Hafsia Herzi (Mina Hirti), Isabelle Huppert (Alma Lund), Magne-Håvard Brekke (Christopher Lund), Lionel Dray (Nasser), Noor Elasri (Noor), Jean Guerre Souye (Julien), William Edimo (Yacine). 1h48.

Alma achète des fleurs, un gros bouquet à 200 euros, puis des gâteaux avant de rentrer chez elle. Sur la table, une pizza en préparation...

Alma rend visite à son mari en prison. Parmi les visiteuses qui ont obtenu un parloir, déboule Mina qui proteste parce qu’on lui refuse de voir son mari; elle s'est trompé de jour et ne comprend pas que l'on ne veuille pas décaler son rendez-vous du lendemain. Elle a fait 400 kilomètres en train, laissé ses enfants en garde pour venir. Mais l'administration ne peut déroger aux règles de sécurité et malgré la chatche de Mina, celle-ci doit s'en retourner. Alma, qui a remarqué l'humour et l'énergie de Mina, rentre chez elle après sa visite. Elle croise Mina à la gare. Elle propose de l'héberger pour un soir afin qu'elle puisse retourner le lendemain dans la salle des visites. C’est ce qu’elle explique à Noor, sa cuisinière et femme de ménage.

Durant la soirée les deux femmes deviennent amies. Alma explique que son mari, Christopher un neurochirurgien célèbre, a été condamné à une peine de quelques années pour  avoir causé la mort d'un piéton en le renversant en voiture, un soir où il avait top bu. Il était accompagné d'une collègue et ne s'était pas arrêté. Le mari de Mina, Nasser, avait braqué une bijouterie. Alma propose à Mina de l'héberger, elle et ses deux enfants ; elle n'aura  plus à faire les trajets et Alma se sentira moins seule.

Mina rentre dans sa lointaine banlieue mais est aussitôt alpaguée par Yacine, le complice de Julien, qui croit que celui-ci lui a caché les montres cambriolées. Il est encore plus soupçonneux apprenant que Mina déménage et la menace de la poursuivre.

Alma se réjouit de la présence de Mina et de ses deux enfants qu'elle gâte sans doute un peu trop. Elles décident d'un balade à la mer et Alma s'enhardit à reprendre contact avec les anciens amis de leur couple travaillant à l'hôpital pour demander un emploi de blanchisseuse pour Mina.

Mina s’épanouit aussi et fréquente les musées de Bordeaux. Un jour pourtant Yacine vient la menacer dans la blanchisserie de l'hôpital. Par ailleurs, Alma apprend que son mari va être libéré prochainement grâce à l'entregent de son avocat. Acculée par Yacine, Mina lui propose de l’aider dans le cambriolage du tableau de Jacques Villéglé, dans l’entrée de l'appartement d'Alma.

C'est ainsi que Mina ouvre la grille de la maison d'Alma au camion conduit par Yacine et l'aide à charger le tableau. Elle se fait donner un coup au visage et se fait ligoter les mains. C’est ainsi qu'Alma la découvre. Alma comprend immédiatement que Mina ment et lui en veut seulement de jouer la comédie. Elle accepte toutefois sa version comprenant qu'il est temps pour elle de fuir la prison dorée de sa gentillesse. Elle remplit un camion des tableaux et objets de valeur de la maison et prend la route.

C'est par un double coup de force que commence le film. D'abord durant le générique, l'achat des fleurs par Alma, filmée au travers des glaces du plafond. Cette mise en scène baroque, que renforcent les couleurs vives des fleurs, renvoie presque immanquablement aux dispositifs baroques des mélodrames de Douglas Sirk. Comme chez Sirk aussi, la confrontation (plus que la lutte) des classes y tient un rôle important, entre la mère courage vivant dans une pauvre banlieue et la grande bourgeoise et celle qu'elle va délivrer par amitié puis par mensonge, la prisonnière de Bordeaux.

L'action vue dans un reflet comme dans Mirage de la vie (Douglas Sirk, 1959)

Double coup de force car cet achat de fleurs suivi de celui de gâteaux et du retour à la maison est un flash-forward. On le comprend plus tard, au moment du retour après le vol, en revoyant le mur tout aussi vide du grand tableau de Jacques Villéglé qui orne l'entrée de la maison d'Alma, les mêmes gestes d'ouvrir la boite aux gâteaux et de constater l'incongruité de la pizza laissée en préparation sur la table de la cuisine. Cet achat de fleurs, Alma l'accomplit pour "fêter" le retour de son mari. Grâce au vol maladroitement concocté par Mina, Alma sort de l'enfermement que lui promettait sa gentillesse naturelle et décide de vivre enfin par elle même. Le flash-forward puis sa réintroduction dans la diégèse, loin d’être gratuit, marque ainsi comme une boucle, l'enfermement dont est victime la prisonnière de Bordeaux. Si l'on peut en effet possiblement douter pour savoir laquelle des deux femmes est la prisonnière, la grille qui ouvre mais aussi ferme aux autres la propriété d'Alma est assez explicite.

La scène initiale marque aussi l'attention aux couleurs dont est parée Isabelle Huppert tout au long du film; celles de sa maison tout aussi bien que celles des salles de visites de la prison comme si Patricia Mazuy se souvenait de artifices nécessaires à l'approfondissement des émotions chers à Jacques Demy dont elle fut stagiaire monteuse sur Une chambre en ville (1982).

Jean-Luc Lacuve, le 25 août 2024

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