![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Il est six heures du matin au clocher de l'église, les arbres sont en fleurs, de même que le parterre autour du tronc du jardin. Le chien dort devant sa niche; il n' y a personne sur le perron de la maison.
Beatriz, 75 ans, se réveille et sort du lit à la timide lueur du jour. Elle franchit lentement le couloir avant de se diriger vers la salle de bain. Alzira, 80 ans, se réveille aussi lentement et franchit également un couloir. Dans la cuisine, Beatriz installe le petit déjeuner. Beatriz marche dans le salon où, sur un meuble, une chandelle finit de se consumer. Alzira, enfant mange une pomme dans l'arrière-cuisine. Une souris traverse la petite pièce et se réfugie sous un rideau. L'enfant l'en retire et la caresse sur ses genoux. Alzira, assise dans le salon, lit puis s'endort. Elle rêve d'elle jeune fille au piano, deux femmes sont dans la pièce pour l'écouter, sa mère et la professeur de piano.
Beatriz est dans sa cuisine. Augusto lit le journal. Alors que, dans la profondeur de champ, Beatriz sort le linge de la machine, Alzira porte le plateau sur la table. Sans doute se souvient-elle de la demande en mariage d'Augusto à sa mère, alors qu'assise à côté d'elle, elle ne manifestait aucune émotion. Beatriz passe l'aspirateur, nourrit le chat qui attend dehors. Elle fait la vaisselle.
Alzira jeune, tête sur le piano, ouvre la porte à sa professeur. Elle joue mal et lui avoue être triste de se marier prochainement.
Julieta, la jeune cuisinière, prépare à manger. Beatriz donne à manger au chat.
Il est midi au clocher de l'église, les arbres ont perdu leurs fleurs, le sol est sec autour du tronc du jardin. Le chien est devant sa niche. Augusto, sur le perron, rentre chez lui.
André enfant, frère d'Alzira, manipule violemment la porte de la cage de deux perruches. Il est allongé sur le sol d'une cuisine ou tout est renversé.
Beatriz et Julieta sont dans la cuisine. Alzira déplie la nappe sur la table de la salle à manger. Alzira plus jeune accomplit de nouveau cette tâche, puis plus jeune encore et plus jeune encore. Augusto est alors à table.
André est de nouveau avec les perruches. Alzira mange seule sa soupe, apportée par Julieta. Elle se souvient enfant avoir eu peur de monter l'escalier jusqu'au grenier, avoir franchi un sombre couloir et s'être adossée à la chaise du grenier, rempli de feuilles mortes. Augusto, sans âge, mange seul à la table, utilise un cure-dent. L'eau coule hors champ.
Quatre enfants en rang d'oignon attendent l'arrivée de leur mère, Alzira, qui entre dans une pièce éclairée d'une lumière rouge dans laquelle le docteur. examine un autre de ses enfants, malade. L'ayant déclaré non contagieux, les autres enfants dorment à ses côtés inquiets et compatissants sur son état.
Beatriz prépare le lait du chat qui recouvre le verre pilé qu'elle a auparavant disposé dans une écuelle.
Une toile sur laquelle le pinceau vient porter du bleu; c'est un paysage reproduit à partir d'une carte postale de Rio De Janeiro. La surface du pot servant au nettoyage du pinceau se teinte de bleu.
Alzira et Beatriz constituent une pelote de laine, muettes à côté de la fenêtre.
Les pieds de Beatriz s'agitent sur la machine à coudre. Allongés sur le sol, les enfants d'Alzira l'interrogent sur le fait qu'elle n'a pas d'enfant. Elle ne voudrait pas d'un mari qui serait une charge et elle a suffisamment à faire avec eux.
Il est dix-sept heures au clocher de l'église, les arbres sont agités par le vent, le sol est jonché de feuilles autour du tronc du jardin qui se couvre de lierre.
Près du feu de cheminée, Beatriz est entourée des cinq enfants d'Alzira. André lit De la terre à la lune de Jules Verne à ses frères et sœur, plus ou moins attentifs.
Joao, l'un des enfants de Alzira va jusqu'à Beatriz à travers le couloir. Alzira enfant, sur les épaules de son père, l'écoute dire qu'il va s'exiler et reviendra quand il aura fait fortune.
Aujourd'hui Alzira est fatiguée et ne supporte pas Beatriz. Elle exige qu'elle s'en aille.
André joue dans l'arrière cuisine à titiller des animaux dans une caisse en bois; ce sont des poussins. Une dispute, bien vite calmée entre deux frères. Ils se lavent les mains. L'eau s'écoule dans l'évier.
Il est vingt heures au clocher de l'église, les rares feuilles des arbres laissent l'eau de pluie tombée, le sol autour du tronc du jardin est détrempé. Le chien est dans sa niche. Sur le perron de la maison, Beatriz s'en va.
Alzira est à table avec des voix hors champ. Des feux d'artifices sont tirés le soir de Noël. Deux de ses petits-enfants se réjouissent d'être avec mamy.
Au lit à 4h40 ,Alzira dort et son esprit s'envole jusqu'à Beatriz, jeune dans sa chambre, dans la salon avec écran plat, André enfant devant la cage. Son esprit va jusqu'à la porte sombre puis revient. La cage est vide ; personne n'est dans le salon ; pas plus que dans la chambre de Beatriz. Alzira dort. Il est 4h45.
Le temps du film s’étend sur une journée, du lever du jour à l’aurore suivante, et avance au rythme des saisons auxquelles correspondent les quatre moments de la journée : l’aube/printemps, le matin/été, l’après-midi/automne et le soir/hiver. Le film est un parcours non-linéaire fait de segments de la vie de la grand-mère du réalisateur. Il part du temps présent où Alzira et Beatriz cohabitent sans plus pouvoir se supporter l’une l’autre, fatiguées qu’elles sont de la vie et de leurs relations. Il explore la mémoire et les souvenirs qu’elles lui ont transmis.
Les souvenirs explorés à la lueur de la chandelle
Seule la vue sur le clocher qui initie chacune des saisons avec des heures différentes, avant de s'abaisser sur le jardin et parvenir au porche de la maison, permettrait de situer la maison au Nord du Portugal. La lueur de la chandelle est perçue dans la première partie, quand Alzira la retire après qu'elle est sans doute brûlée toute la nuit. La lueur de la chandelle est ainsi la métaphore du souvenir, tremblotante, faible et intermittente qui hante le quotidien des deux femmes. C'est souvent par le visage d'Alzira, s'endormant ou mangeant sa soupe, que débutent les phases de souvenirs à la manière de flash-back (les renoncements au piano ou à la peinture). Mais ils sont parfois montés cut et sans point d'entrée ou de sortie. A l'image du premier d'entre eux: Alzira mangeant une pomme puis jouant avec une souris. Ainsi les deux femmes qui partagent leur quotidien depuis 60 ans semblent habiter une maison hantée par les générations qui les ont précédées. Présent, passé proche et lointain, cohabitent dans cette demeure imprégnée de souvenirs et de fantômes.
Profondeurs de champ, plans-séquences et travellings circulaires
Plus surprenants et virtuoses les quatre grands plans séquence qui parcourent l'espace-temps de la maison dans chacune des quatre parties, elles-même initiées par la répétition des quatre plans-saisons. Le matin, c'est la profondeur de champ entre la cuisine à l'arrière-plan ou Beatriz sort le linge de la machine et le salon où se rapproche Alzira pour servir son mari qui saisit. La virtuosité s'expose ensuite dans le plan du midi où la caméra enchaîne cinq travelling circulaires autour de la table du salon, saisissant celle-ci vide puis commençant à être dressé par Alzira encore jeune pendant que son mari est sur un fauteuil à l'arrière-plan puis par Alzira-mère, puis Alzira vieilli et enfin par Alzira aujourd'hui servant son mari venu s'attabler. Ces cinq travellings sont enchaînés au moins trois fois par un raccord sur le dos noir d'une chaise. Le troisième plan séquence est temporel dans la séquence de cinq heures quand Alzira prend la décision de se séparer de Beatriz, la domestique qui a dédié sa vie à l’entretien du lieu et à ses enfants. Joao, son fils, rassure alors Alzira et lui promet d'appliquer sa décision puis on le suit en caméra subjective sortant de la chambre allant dans le couloir et jusqu'à la chambre de Beatriz. Le dernier des grands plans-séquence est le dernier du film annonciateur de la mort d'Alzira s'écoulant de quatre heure quarante à quatre heures quarante-cinq et se déplaçant en parcourant le temps dans la chambre de Beatriz au salon puis la porte d'entrée avant de revenir à son point de départ.
Un cinéaste cinéphile
Pour ce film, André Gil Mata s'est, selon ses dires, inspiré du travail d’Ingmar Bergman (en particulier de Fanny et Alexandre pour les relations entre les enfants et Cris et chuchotements pour les relations tendues entre Alzira et Beatriz), Andrei Tarkovsky (en particulier Le miroir pour la maison de l'enfance entre réalité et imaginaire ou la répétition des mouvements de caméra qui initient chacune des saisons au plus près du végétal), Marguerite Duras (India Song), Victor Erice (Le Sud, L’esprit de la ruche), Chantal Akerman (Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles) et Manoel de Oliveira (Francisca, Val Abraham).
Jean-Luc Lacuve, le 26 avril 2025