Fanny et Alexandre

1982

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Thème : Théâtre

(Fanny och Alexander). Avec : Pernilla Allwin (Fanny Ekdahl), Bertil Guve (Alexander Ekdahl), Ewa Froling (Emilie Ekdahl), Börje Ahlstedt (Carl Ekdahl), Jan Malmsjö (l'évêque Edvard Vergerus), Gunn Wallgren (Eléna Ekdahl). 3h17 ou 5h12.

Noël 1907. Une riche demeure dans une ville de province suédoise. Les membres de la famille Ekdahl et les serviteurs préparent les festivités. Eléna Ekdahl, une ancienne actrice, préside aux destinées de ses fils, Gustav Adolf, Carl, Oscar, le directeur du théâtre local, et de ses petits-enfants ; parmi eux, ceux d'Oscar et Emilie, Fanny et Alexandre. Alors qu'il répète Hamlet, Oscar meurt.

Les funérailles sont célébrées par l'évêque Vergerus... qui, peu après, demande Émilie en mariage. Austère serviteur de l'église, il exerce pouvoir et autorité sur sa jeune épouse et ses enfants, ce qui provoque l'opposition d'Alexandre. Isak Jacobi, un juif, antiquaire et banquier, vieil ami d'Héléna, enlève les enfants de la demeure de l'évêque. Alors que le divorce traîne entre Émilie et Edvard Vergerus, celui-ci meurt carbonisé, accidentellement.

Émilie, Fanny et Alexandre, rejoignent la famille Ekdahl. Émilie donne naissance à une petite fille tandis que son beau-frère Gustav Adolf est de nouveau père... cette fois-ci avec la bonne ! Toute la famille est réunie le jour du baptême. Retrouvant la joie de vivre, Émilie propose à Elena de jouer un rôle dans la nouvelle pièce d'August Strindberg.

 Fanny et Alexandre est d’abord un roman, écrit par un Bergman sur son île de Farö et qu'il décide d'adapter. C'est une vaste fresque, sorte de réconciliation paradoxale de l'artiste avec sa vie d'homme depuis son enfance (Bergman laisse les premiers rôles à des enfants, personnages jusque-là absents de son œuvre) jusqu'à la mort qu'il entrevoit. Il déclare en effet "Il y a beaucoup de moi dans le pasteur, plus que dans Alexandre : il est hanté par mes propres démons". Les thèmes qui ont jalonné toute son œuvre restent prégnants : la mort, le rapport conflictuel au père, l’art, le couple, Dieu. Mais la famille est comme lieu générateur de l'imagination enfantine dans sa douceur fœtal comme dans ses terreurs les plus noires.

Une vie d'homme

Dès le prologue, Alexandre seul dans le grand appartement, avait vu les statues bouger menaçantes et prometteuses. Affairé avec les petits personnages du théâtre en carton, il s'était mis sous la protection de l'imagination. Chez Isak Jacobi, Alexandre est d'abord touché par le fantôme de son père puis par Ismaël qui l'envoûte et réalise son fantasme d'une mort épouvantable de l'évêque. Alexandre est un rêveur, capable de voir bouger les statues, de fantasmer la mort avec sa faux, d'accueillir le fantôme de son père. Il est aussi un enfant nerveux, à la réaction instinctive, immaitrisée, violente. Alexandre porte un prénom de général mais ne voit ni grève, ni révolution. Alexandre ne communique pas avec l'Histoire mais dans son univers intime, ombreux et fœtal, avec les images. C'est un monde à part, qui existe hors de lui mais pour lui s'il le veut (le miracle du coffre de Jacobi). On y trouve pêle-mêle les fantômes, les hallucinations, les tableaux, les images de lanterne magique et bien entendu les images de l'imagination et de l'émotion. Bergman convoque le peintre Carl Larsson, August Strindberg (Le Songe), William Shakespeare (Hamlet), mais aussi le théâtre et la littérature scandinave (Henrik Ibsen, Selma Lagerlöf).

Pour une fois, le film est ainsi vu du côté des hommes. Le personnage de Fanny, s'il vient en premier dans le titre, n'est guère traité. Elle seconde son frère. Emilie, la mère d'Alexandre trahit son fils parce qu'elle ne peut résister au charme de l'évêque. Alma, la femme de l'industriel don juan, est une épouse trompée et généreuse, pittoresque et sympathique mais sans profondeur. De même Lydia, l'épouse allemande qui n'arrive jamais à parler le suédois, n'a pour registre qu'un pathos un peu ridicule.

Alexandre est bien davantage confronté à la figure du père. Oscar est un doux un rêveur et un imaginatif comme lui (l'histoire de la chaise de l'impératrice de Chine) mais hélas un impuissant. La grand-mère Helena le remarque : Gustav-Adolf est un monstre de puissance sexuelle mais son frère n'a rien reçu en partage de ce côté-là. L'évêque est, lui, investi de toute la puissance symbolique à laquelle Alexandre cherche à se soustraire. L'évêque qui vit avec sa mère et sa sœur, l'évêque tombeur de femmes à l'élégance et au charme bourgeois et luthérien menace Alexandre moins par ses punitions sadiques infligées au nom de l'amour et sa sale manie de tapoter violemment la nuque en signe d'affection que par leurs conséquence qui vont, au contraire de son souhait, pousser Alexandre à la terrible régression dans l'imaginaire dont lui l'évêque sera l'ultime victime.

Le dernier film

L'épilogue est un remake du dîner de Noël initial, marquant le passage du temps et des épreuves surmontées : mort d'Oscar, remariage d'Emilie, mort de l'évêque, naissance des deux petites filles bâtardes que la famille adopte avec bienveillance. Dans ce cercle familial, l'histoire, le social ont disparu.

Lorsqu’il présente son projet de film à la presse en 1980, Bergman le définit comme "Une immense tapisserie remplie de masses de couleurs et de gens, de maisons et de forêts, de cachettes mystérieuses dans des grottes ou des cavernes, de secrets et de nuits sous les étoiles".

Il le présente aussi comme son dernier film : "Je ne ferai plus de long métrage. Je ne me suis jamais autant amusé, et je n’ai jamais autant travaillé. Fanny et Alexandre représente la somme totale de ma vie en tant que réalisateur ... Je préfère laisser la réalisation de films à des gens plus jeunes. Je n’ai plus assez d’énergie." Bergman tournera pourtant encore un film (Après la répétition) et onze téléfilms dans les vingt années suivantes.

Le film est un triomphe mondial : il remporte une vingtaine de prix, dont en France le César du meilleur film étranger en 1984, ainsi que quatre Oscars sur les six nominations obtenues, dont celui du meilleur film étranger et de la meilleure photographie pour Sven Nykvist.

 

La Comédie-Française après les adaptations des Damnés, de Luchino Visconti, par Ivo van Hove (2016) et de La Règle du jeu, de Jean Renoir, par Christiane Jatahy (2017) propose en 2019 l'adaptation de Fanny et Alexandre par Julie Deliquet du 9 février au 16 juin 2019. Avec : Véronique Vella (Lydia Ekdahl, épouse de Carl, allemande), Thierry Hancisse (Edvard Vergerus, évêque), Anne Kessler (Henrietta Vergerus, sœur d’Edvard), Florence Viala (Alma Ekdahl, épouse de Gustav Adolf, comédienne), Denis Podalydès (Oscar Ekdahl, fils d’Helena, directeur du théâtre), Laurent Stocker (Carl Ekdahl, fils d’Helena, professeur), Elsa Lepoivre (Emilie Ekdahl, épouse d’Oscar, comédienne), Julie Sicard (Maj, préceptrice de Fanny et Alexandre), Hervé Pierre (Gustav Adolf Ekdahl, fils d’Helena, restaurateur du théâtre), Gilles David (Isak Jacobi, antiquaire), Noam Morgensztern (Aron Retzinsky, neveu d’Isak), Anna Cervinka (Justina, domestique chez Edvard), Rebecca Marder (Fanny), Dominique Blanc (Helena Ekdahl, veuve, ancienne comédienne). 2h35.

Le comédien et directeur de théâtre Oscar Ekdahl y a organisé dans les coulisses un réveillon pour sa troupe, sa femme actrice, Emilie, leurs enfants Fanny et Alexandre, ses frères Gustav et Carl et toute la domesticité qui joue de petits rôles ainsi que leurs ami l'antiquaire juif Isak , vieil amant de sa matriarche de mère Helena Ekdahl, vénérable comédienne, toujours propriétaire de la salle de spectacle que lui avait offerte son riche et volage mari commerçant, aujourd’hui défunt. Après la mort précipitée d'Oscar, son épouse Émilie, semble trouver en la personne de l’évêque luthérien Edvard Vergerus une voie à même de redonner du sens à son existence. Dès lors, sa vie et celle de ses deux enfants, Fanny et Alexandre, sombrent sous l’emprise de la violence spirituelle de cet homme sanguin.

Fanny et Alexandre a d’abord paru dans une version romancée avant d’être réalisé pour la télévision puis adapté au cinéma. C’est de cette matière hybride que s’empare Julie Deliquet pour cette grande fresque sur la vie d’une troupe familiale. Dans une Salle Richelieu transposée au début du XXe siècle, elle les invite au grand banquet de Noël des Ekdhal puis dans la demeure glaciale de l'archevêque puis au retour à la vie de famille, îlot de tranquillité.