Knight of cups

2015

Ecouter : Exodus de Wojciech Kilar, The Death of Ase d'Edvard Grieg, Fantasy on a Theme of Thomas Tallis de Ralph Vaughan Williams.

 

Genre : Film épique
Thème : Hollywood

Avec : Christian Bale (Rick), Natalie Portman (Elizabeth), Imogen Poots (Della), Teresa Palmer (Karen), Cate Blanchett (Nancy) Wes Bentley (Barry), Brian Dennehy (Joseph), Armin Mueller-Stahl (Fr. Zeitlinger), Freida Pinto (Helen), Antonio Banderas (Tonio) et Ben Kingsley (la voix royale et divine). 1h58.

Du cosmos une voix annonce les cheminements incessants du pèlerin sur la terre. Rick, proche encore de la route, est face au désert californien et ne sait s'il doit s'y aventurer. Il se souvient de la voix de son père alors qu'il était enfant : "Il était une fois un jeune prince que son père, le souverain du royaume d’Orient, avait envoyé en Égypte afin qu’il y trouve une perle. Lorsque le prince arriva, le peuple lui offrit une coupe pour étancher sa soif. En buvant, le prince oublia qu’il était fils de roi, il oublia sa quête et il sombra dans un profond sommeil…" Rick est aujourd'hui ce prince perdu dans une fête de Los Angeles au bord d'une piscine face aux tours de la ville. "Toutes ces années j’ai vécu la vie de quelqu’un que je ne connais pas" se plaint-il.

Rick dans son appartement ultramoderne de Santa Monica est réveillé par un tremblement de terre. Quelques pots de fleurs cassés plus tard, il erre dans la rue puis se rend à Los Angeles se faire tirer les cartes du tarot. Il est le Chevalier des coupes, personnage qui s'ennuie constamment mais qui apporte des idées, des opportunités et des propositions. Raffiné, aimable, intelligent, rêveur, il a tout le temps besoin d'être stimulé et donc soumis aux changements amoureux. Le Chevalier des coupes croise d'autres cartes.

La Lune. Rick rencontre Della dans un bar, proposa de lui écrire. Elle tenta vainement de le rendre fou d'elle.

Le Pendu. Rick entretient des rapports difficiles avec Barry, son frère depuis que leur plus jeune frère est mort ; s'est suicidé sans doute. Barry supporte mal l'autoritarisme de leur père, Joseph qui lui préfère Rick devenu auteur de comédies à succès. Rick aspire à autre chose, sans savoir réellement quoi. Il se demande quel chemin prendre alors qu'on lui propose d'écrire pour un réalisateur très connu.

L’Ermite. Nancy revient le voir dans ses studios de cinéma. Elle fut sa femme. Elle ne demandait qu'à le rendre heureux. Il se fit de plus en plus indifférent puis cruel; menaça de la quitter, la quitta. Ils se souviennent des jours heureux ; marchent sur la plage aujourd'hui comme autrefois.

Le Jugement. Dans une grande fête de Los Angeles, Rick rencontre Helen, lassée de bouleverser la vie des hommes et qui aimerait être son amie. Rick rencontre aussi le flamboyant Tonio accumulant les conquêtes sous prétexte que les femmes sont comme les  fruits : un jour on aime les  fraises, le lendemain, on préfère le goût de la framboise.

La Tour. Rick et Barry vont visiter la ville à leur mère, séparée de leur père. Elle souhaite des enfants à ses fils même si on s'inquiète trop pour eux et pas assez pour soi.

La Papesse. Dans une boite de strip-tease, Rick rencontre Karen qui l'aime sans détours. Ensemble ils visitent Las Vegas, ses casinos postmodernes où l'on rencontre de statues grecs ou Elvis toujours vivant.

La Mort. Elizabeth et Rick s'aiment d'évidence et absolument. Ils visitent Musée Hammer de l'UCLA, se promènent sur la plage, font l'amour dès qu'ils le peuvent. Mais Elizebeth n'est pas libre, son mari est revenu et elle ne sait de qui elle porte l'enfant. Elle pleure sans cesse. Celui qui est peut-être son père, le pasteur Zeitlinger tente d'expliquer que Dieu donne la souffrance aux hommes comme un supplément d'âme.

La Liberté. Face au désert Californien, Rick s'avance, il erre au milieu des maisons calcinées d'une ville fantôme. Il prend sa voiture et file sur la route en disant : "Commençons".

Le septième film de Malick pourrait être son Huit et demi, réflexion sur sa vie de créateur aspirant à autre chose, hanté par ses rencontres avec des femmes qu'il aime toutes sans pouvoir les retenir. Comme l'exprime le pasteur Zeitlinger, Dieu aurait donné la souffrance aux hommes pour qu'ils vivent avec plus d'intensité leurs émotions; il les perdrait dans le désert pour mieux leur faire appréhender la beauté de l'instant et le choix d'une renaissance. Les paradis sont perdus, l'innocence de l'enfance n'est plus mais les palmiers sont aussi là pour dire qu'autre chose est toujours possible pourvu qu'on trouve un ange pour nous y conduire.

Un scénariste à Los Angeles en 2015

La narration est moins ambitieuse que celle The tree of life qui racontait l'histoire de l'humanité depuis le big bang jusqu'au pardon et l'accès au paradis promis par le Christ après la résurrection des morts. L'enchâssement dans la mystique chrétienne reste encore présente avec la naissance du cosmos, le texte pseudo-biblique sur Le voyage du pèlerin. S'y mêlent cette fois le conte oriental et les cartes ésotériques du tarot.

Mais le contrepoint contemporain s'incarne davantage dans une vie d'homme. Cette vie est en partie cette de Malick. Les thématiques de la mort du jeune frère et de la maternité figurent ici encore en bonne place. Malick transpose aussi ses premiers pas au cinéma; une rencontre avec le producteur Mike Medavoy qui le chargea de réécrire le scénario de L'inspecteur Harry. La commande n'aboutira pas mais provoquera un déclic chez lui puisqu'à 28 ans, il se lance alors dans la réalisation. Le "commençons" de la fin pourrait évoquer ce déclic.

Le Los Angeles contemporain est magnifié. Lyrique et hallucinée, kitsch et esthétisante, la caméra de Malick saisit Los Angeles, jusque là peu réputé pour son esthétique urbaine, par des vues spatiales puis plonge sous l’eau d’une piscine et fait défiler des palmiers vues tête renversée depuis une voiture, s'approche des personnages de l'enfance avec une caméra Go Pro utilisant le grand angle au maximum. Malick assemble ces images composites, dans un grand souffle, un élan continu, dominé par la figure du travelling-avant ou de la caméra embarquée sur voiture. Magnifiques sont les décors modernes des villes de jour ou de nuit, les surfaces lisses et tranchantes des intérieurs, le musée Hammer à l'UCLA  où coexistent art contemporain (maquette urbaine et empilement mouvant de vaisselle bleue) avec la Junon de Rembrandt et des vierges à l'enfant du trecento. Plus tard, Las Vegas s'enflamme dans un gigantesque concert auquel succède un extraordinaire feu d'artifice.

Souvent, réalité et décors des plateaux de cinéma ne font plus qu'un. Il semble alors difficile de sortir du rêve éveillé. Pourtant la voix off méditative et la musique lancinante (principalement Exodus de Wojciech Kilar, Fantasy on a Theme of Thomas Tallis de Ralph Vaughan Williams, La mort de Ase d'Edvard Grieg) essaient constamment de proposer un nouveau départ.

Les femmes sont des anges

Les événements dramatiques sont rares, à part la décision à prendre de devenir ou non un scénariste bien payé, seul un vol dans l'appartement vient troubler la rencontre de Rick avec un passé qui lui permettra de renaitre. Les ruptures brusques des raccords, les ellipses narratives béantes, les retours en arrière inattendus évitent toute séquence convenue dans les relations de couple. La rencontre peut être mise en avant comme avec Della (dans le restaurant) ou Karen (dans la boite de nuit) ou les instants d'intimité avec Elisabeth ou la phase des regrets avec Nancy.

Les actrices, stars ou top-modèles, ne jouent pas leur propre rôle mais celui d'anges descendus sur terre pour guider les humains. Si certaines scènes dans les chambres sont très sensuelles, aucune scène de sexe n'est là pour évoquer l'accomplissement. Seules les vantardises de Tonio, leur font jouer le rôle de femmes-objets; femmes-fruits en l'occurence. Les femmes ont  bien plutôt un rôle d'éveil au sens que d'éveil aux sens, une sorte de rappel des lettres du père du conte oriental. Comme Marcello dans La dolce vita, Rick ne perçoit pas pleinement ces signes incarnés dans ces figures d'anges. À la fin cependant, il part et ne reste pas à contempler une baleine échouée. Dans la séquence de l'aquarium avec Della, il avait été dit qu'aux baleines une fois mortes, il pouvait pousser des ailes qui les entrainaient dans le ciel.

C'est à cette prise de risque permanente, douce, folle et irresponsable vers la renaissance de soi qu'appelle le film.

Jean-Luc Lacuve le 29/11/2015

Bande-son :

Jean-Luc Lacuve, le 29/11/2015