Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

La dolce vita

1960

Voir : photogrammes, jeu des paires, Thème musical

Avec : Marcello Mastroianni (Marcello Rubini), Anita Ekberg (Sylvia), Anouk Aimée (Maddalena), Yvonne Furneaux (Emma), Lex Barker (Robert), Alain Cuny (Steiner), Nadia Gray (Nadia), Walter Santesso (Paparazzo), Annibale Ninchi (le père de Marcello) Renée Longarini (Mme Steiner), Magali Noël (Fanny), Nico (elle-même). 2h58.

Une statue du Christ est transportée par hélicoptère au-dessus de Rome de l'Appia Antica au Vatican. Marcello est chroniqueur mondain dans un journal spécialisé dans les indiscrétions et fréquente la faune romaine en quête d'échos croustillants. Au cours d'une tournée de routine, il rencontre son amie Maddalena, une riche héritière désoeuvrée. Ils quittent ensemble le cabaret et traînent dans Rome où ils rencontrent une prostituée qu'ils raccompagnent en banlieue et se font prêter sa chambre pour y faire l'amour.

Le lendemain matin, Marcello trouve Emma, sa compagne régulière, inanimée auprès d'un tube vide de comprimés. Il la conduit à l'hôpital. Elle en réchappe.

A l'aérodrome de Rome, arrivée triomphale de Sylvia, grande star hollywodienne d'origine suédoise. Marcello, à la fois envoûté et calculateur, manœuvre pour se trouver le plus souvent possible seul avec la star. Il la suit dans sa visite du Vatican où elle est déguisée en prêtre, lors de son interview par les journalistes, à la fête dans les ruines, puis se promène la nuit jusqu'aux fontaines de Trevi.

Marcello se rend chez Steiner qui fut son maître lorsqu'il avait des ambitions littéraires et dont il supporte mal les reproches muets maintenant qu'il s'est fourvoyé dans le journalisme à scandale.

Le travail de Marcello l'appelle hors de Rome, sur les lieux d'un prétendu miracle : deux enfants, manipulés par une famille peu scrupuleuse, attirent les foules en simulant des apparitions de la Vierge. Après la montée de la ferveur, la nuit sous l'orage, le jour se lève sur l'escroquerie, la mort d'un handicapé et la détresse des croyants trompés.

Marcello et Emma sont invités à une soirée chez Steiner. Triée sur le volet, la compagnie rivalise d'intelligence pour le seul plaisir de la joute intellectuelle. À Marcello qui lui demande conseil, Steiner révèle ses propres doutes et sa crainte du chaos tenu en respect par une fragile sérénité.

Retiré dans un petit restaurant de la plage du littoral romain, L'arcobaleno, Marcello essaye de reprendre l'écriture. Il est distrait par le va-et-vient de la serveuse, une jeune fille qui incarne l'innocence et la pureté.

De retour à Rome, Marcello retrouve son père, de passage en ville. Celui-ci entraîne Marcello sur les traces de sa jeunesse, dans un cabaret qu'il a jadis fréquenté. Ils en sortent aux petites heures, le père de Marcello au bras de Fanny, une danseuse qu'ils raccompagnent chez elle. L'aube se lève sur un malaise cardiaque qui rappelle le vieil homme à la réalité.

Entraîné par Nico, une jeune femme qu'il a connue lorsqu'elle était mannequin, Marcello se joint à un groupe d'aristocrates oisifs qui investissent un château de la campagne romaine pour une fête décadente. Marcello croit y avoir retrouvé Maddalena. Après une fin de partie dans un pavillon délabré, l'aube trouve les invités défaits et fatigués.

Sur une route de nuit, Marcello et Emma se disputent dans une voiture arrêtée. Il la chasse. À l'aube, il revient la chercher.

Son travail amène Marcello à être informé le premier du suicide de Steiner. Il se rend chez lui et examine la scène avec la police : Steiner s'est donné la mort après avoir tué ses deux enfants.

Marcello et un groupe de noctambules investissent une villa du bord de mer pour y terminer la soirée chez une jeune femme fête son divorce. Interpellé par des invités sur ses ambitions littéraires passées, Marcello revendique le choix de la déchéance. Chassés de la villa à l'aube, les noctambules se retrouvent sur la plage, où les pêcheurs hissent un filet où agonise un monstre marin. Après avoir contemplé longuement l'œil glauque du monstre, Marcello entend une voix l'appeler. C'est la jeune fille du restaurant Arcobaleno qui l'interpelle. Séparé d'elle par la marée qui monte, Marcellone la reconnait pas et lui tourne le dos pour rejoindre le groupe des noctambules. Le film se termine sur un gros plan du visage de la jeune fille.

Sur les traces d'un chroniqueur de journal à grand tirage, Fellini met en scène un hallucinant enfer social. S'intéressant à un milieu social aisé, voir aristocratique, et utilisant un format scope et des acteurs célèbres, le film n'a, a priori, que peu de rapport avec le néoréalisme ("Le néoréalisme est-il vivant ou mort ?" est d'ailleurs la seule question à laquelle Sylvia refuse de répondre dans la séquence d'interview). Il correspond toutefois à la redéfinition du terme donné par Bazin en 1957:

Le néoréalisme c'est la primauté donnée à la représentation de la réalité sur les structures dramatiques. La réalité n'est pas corrigée en fonction de la psychologie et des exigences du drame, elle est toujours proposée comme une découverte singulière, une révélation quasi documentaire conservant son poids de pittoresque et de détails. L'art du metteur en scène réside alors dans son adresse à faire surgir le sens de cet événement, du moins celui qu'il lui prête, sans pour autant effacer ses ambiguïtés.

Or Bazin a repéré chez Fellini la volonté de s'écarter de la morale petite-bourgeoise, qui tend toujours à juger les personnages, pour suivre son inspiration franciscaine qui le conduit à faire, de manière beaucoup plus radicale, de l'ange la mesure ultime de l'être. L'enjeu de La dolce vita est rien moins que de voir comment l'homme quotidien et contemporain s'arrange avec le spirituel.

Fellini a ainsi accumulé différentes incarnations du spirituel dans un monde apparemment trivial. Il étudie alors comment son personnage principal, Marcello, réagit aux signes de la grâce.

Le suivie de la statue du Christ en hélicoptère survolant l'EUR, ce quartier rectiligne, monumental, "buzzatien", un héritage du fascisme situé au sud de Rome, n'est l'objet d'aucune révélation et n'est qu'une occasion de demander leur numéro de téléphone aux jeunes femmes prenant le soleil sur les terrasses des immeubles. Dans une interview recueillie par le cinéaste Luciano Ulmer pour la RAI, Fellini dit sa fascination pour ce quartier où a aussi été tourné l'épisode du Bocacce 70 : "Il y a quelque chose de métaphysique dans ce quartier, explique Federico, quelque chose de Chirico, mais aussi une légèreté, comme habiter dans un tableau ! C'est un espace de liberté. Au fond c'est comme un studio de cinéma."

L'amour ne peut se faire que chez une prostituée ou devient une caricature d'égoïsme. Sylvia peut bien se baigner sous le patronage protecteur de Neptune dans les fontaines de Trevi, celles-ci cessent de fonctionner dès que Marcello veut l'idéaliser comme une déesse. La soirée factice que le danseur-gigolo à l'allure dionysiaque essaie de dynamiter ne fait qu'écarter Marcello de Sylvia.

La religion se transforme en foire aux miracles. Les espoirs déçus de chacun se terminant par des reliques sauvages et dérisoires arrachées à un arbuste et la mort d'un handicapé.

Le charme de chacune des longues séquences du film réside ainsi dans la posture distinguée et élégante du héros qui ne peut que se refuser à des engagements terrestres qui l'attirent mais dont il perçoit l'insuffisance. Le monstre marin, pêché par les hommes, est le symbole trop évident de la corruption et de la monstruosité terrestre. Le signe de la grâce, Marcello aurait pu le trouver avec la jeune fille au visage d'ange ombrien qui lui avait conseillé la joie simple et l'écriture, mais dans la dernière séquence, il ne la reconnaît pas. Elle ne peut qu'adresser au spectateur un dernier sourire avant que le film ne se termine.

Au final pourtant la recherche de Marcello vaut mieux que le retrait du monde dans lequel s'est enfermé Steiner, l'intellectuel. Celui-ci, athée, autodidacte, cultivé, riche d'amitié et d'amour ne vit que dans le monde clos de l'église et de son appartement. Les rayons de lumière qui éclairent l'extérieur de son appartement sont d'ailleurs sans doute les signes d'un univers carcéral, motif qui sera repris plus tard par Fellini dans Ginger et Fred .

 

Jean-Luc Lacuve le 20/03/2002

Le scandale de la Dolce vita

Le festival de Cannes 1960 fait se rencontrer La dolce vita et L'Avventura de Michelangelo Antonioni. Ils figureront tous les deux au palmarès mais c'est La dolce vita de Fellini qui remporte la palme d'or. Le film cause un énorme scandale en Italie, dans les milieux ecclésiastiques et mondains, et remporte un énorme succès commercial qui repose sur un malentendu : les scènes érotiques.

Les religieux ont été scandalisés par le faux miracle et qualifient la fête finale d'orgie. La scène d'ouverture aurait causé l'interdiction du film en Espagne pour propos blasphématoire. Mais des archevêques montent aussi en chair pour dire qu'il faut voir ce film car il dénonce les travers de la société contemporaine.

Pour Fellini, le néoréalisme avait représenté le peuple avec un réalisme très crû. Cela avait été accepté car le peuple est indiffèrent à ce qu'on le représente d'une manière ou d'une autre. Le scandale est créé par la bourgeoisie qui n'aime pas être critiquée. Car Fellini décrit un monde, une société, dont les bases s'effritent, une série de personnages qui acceptent sans sourciller, s'en plus s'en étonner, le péché. C'est cette acceptation du péché qui est généralisée aujourd'hui jusque dans les familles bourgeoises les plus conformistes que décrit Fellini. C'est l'histoire d'un édifice qui est en passe de s'écrouler parce que les fondations ont cédé. Mais Fellini le souligne, ce n'est pas un procès exposé par un juge mais par un complice. Cette tendresse, cette sympathie, dit-il, c'est la qualité majeure du film.

Les aristocrates sont décrits comme désœuvrés. Or, la grande bourgeoisie qui adore les aristocrates s'est sentie offensée. A Milan, le soir de la première, Fellini est sifflé. On lui crache à la figure. Mais le film remporte immédiatement un énorme succès qui divisera longtemps l'Italie.

 

Paparazzo et hélicoptères

La scène d'ouverture est la condensation de deux sources où l'hélicoptère joue un grand rôle. L'hélicoptère est un symbole de la reconstruction et objet de fierté nationale car le premier vol d'hélicoptère a lieu en Italie. Il est donc très présent dans les illustrations des journaux.

En septembre 1958, alors qu'il rédige son scénario, Fellini doit avoir vu le supplément du Corriere della serra sur lequel figure un hélicoptère au recto et une statue marine du christ au verso. Combiné à son souvenir de la façon dont l'église catholique a célèbré, à sa façon, le premier mai des ouvriers en 1956 (un hélicoptère transportant une statue à Milan puis à Rome), cela a immanquablement amené Fellini à imaginer sa séquence d'ouverture.

En septembre 1958, un photographe, Pierre Luigi se promène aussi avec Anita Ekberg dans Rome. Elle se coupe le pied et va se rincer dans la fontaine. Pierre Luigi réalise alors une série de photos de la star en robe blanche qu'il publie dans le Tempo. Fellini reconnaît avoir reconstruit sa scène d'après la série de photos.

Si Fellini emprunte à la réalité, il lui rend aussi. Il a ainsi inventé le terme Paparazzo qui devient un nom commun. C'est la condensation probable des mots moustique et garçon pour designer un garçon déclenchant le moustique du flash, volant, attrapant les photos à la volée.

 

Source : Sam Stourdzé, Fellini au travail, supplément du DVD, Fellini au travail, édité en novembre 2009 par Carlotta-Films.

 

Retour