Désirs humains

1954

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Genre : Film noir

(Human Desire). D'après La bête humaine d'Emile Zola. Avec : Glenn Ford (Jeff Warren), Gloria Grahame (Vicki Buckley), Broderick Crawford (Carl Buckley), Edgar Buchanan (Alec Simmons), Kathleen Case (Ellen Simmons). 1h31.

dvd chez Bach Films

Pour sauver son travail aux chemins de fer, Carl Buckley, homme d'âge mûr et de caractère emporté, demande à sa jeune femme Vicki d'intervenir auprès d'Owens, gros client de la compagnie qui fut autrefois amoureux d'elle. Elle réussit dans sa mission mais maintenant, Carl, taraudé par la jalousie, bat son épouse et l'oblige à écrire une lettre à Owens où elle lui fixe rendezvous dans un train. Là, Carl intervient, tue Owens devant Vicki, récupère la lettre et fait croire à un crime de voleur.

Jeff Warren, conducteur de locomotive fraîchement revenu de Corée, est par hasard témoin de la scène mais, lors de l'enquête, ment pour protéger Vicki. C'est l'occasion pour elle et lui d'avoir une liaison alors que, par ailleurs, Jeff devient l'ami de Carl. Ce dernier est délaissé par une épouse qu'il aime toujours au point de cacher la lettre compromettante. Il sombre dans l'alcoolisme et la compagnie le licencie.

Carl veut quitter la ville avec Vicki mais celle-ci persuade Jeff de le tuer en simulant un accident. Jeff ne peut accomplir ce geste, récupère cependant la lettre qui incrimine Vicki la lui rend et s'écarte d'elle pour renouer avec Ellen, la fille d'Alec, son camarade de travail.

Vicki fuit la ville. Dans le compartiment du train où il l'a rejoint elle accable son malheureux époux, lui dit qu'elle a voulu le tuer et lui détaille ses diverses aventures. Carl perd tout contrôle et la tue. Et le train continue sa route, conduit par Jeff et Alec.

Après le grand succès de Règlement de comptes, c'est le deuxième film de Fritz Lang pour Jerry Wald à la Colombia, un producteur pour lequel il a beaucoup d'estime. Wald aimait beaucoup La bête humaine de Renoir tiré du roman de Zola où le crime est lourdement lié à l'hérédité, à l'alcoolisme et à la sexualité. Wald y voit la matière d'un film pour Lang mais ce sont pourtant ces mêmes ingrédients qui se heurtent à la censure : dans un film américain, il est alors impossible d'avoir un héros soumis à des pulsions sexuelles. Il y aura ainsi huit versions successives du scénario dont la paternité revient, après de nombreux détours, à Alfred Hayes, homme de gauche, coscénariste pour Paisa de Rossellini.

Lang revoit le film de Renoir en avril, alors qu'il termine Règlement de comptes, pour un tournage qui ne débutera qu'en décembre. Il admire Renoir dont il a fait un remake de La chienne avec La rue rouge et où le meurtre de la femme joue aussi un rôle important.

De la bête humaine aux désirs humains refoulés

Cependant, face à l'impossibilité de travailler la matière de Zola et de Renoir, Lang et Alfred Hayes ne gardent que le milieu du chemin de fer et quelques incidents : l'intervention de la femme d'un sous-chef de gare auprès d'un notable qui a été son amant, l'assassinat de celui-ci par son mari dans un train, la lettre compromettante qui lie la femme au mari, la relation entre cette femme et un conducteur de locomotives, la tentative avortée du meurtre du mari.

Cette liberté prise par lang et haynes leur sera repproché. Non seulement l'assassinat de la femme n'est plus provoqué par l'amant mais par le mari. Nonseulment rien ne reste de l'atavisme de Jacques Lantier, héritier de générations d'alcooliques qu'une femme excite parce qu'elle a assisté à un meurtre et qui transforme ses gestes d'amour en gestes de meurtre. Mais encore les quelques péripéties conservées sont traitées de manière très personnelle, différente et même opposée à celles de Zola-Renoir.

Les conducteurs sont ainsi très tranquilles à l'intérieur de machines, monstres d'aciers dépourvus de toute familiarité avec leur conducteur. Lorsque le mari vieillissant découvre que sa femme a été l'amant de son parrain (protecteur), l'incident est traité très différemment. Chez Renoir, la curiosité malsaine du mari domine. Sa femme aurait pu être la fille de son protecteur mais il découvre qu'elle a été sa maîtresse, comme sa mère. Chez Lang la brutalité du mari domine. Les personnages masculins sont invariablement monolithiques. Jeff Warren est un conducteur de train qui retrouve un conducteur de train et est destiné à épouser la fille de ce conducteur de train. La seule chose qui le distingue, s'est qu'il tombe amoureux d'une femme mariée.

Le choix de Glen Ford pour l'interpréter renforce la position de faire valoir du personange masculin face au désir d'une femme. Lang aurait préféré lui opposer Rita Hayworth mais doit se contenter de Gloria Graham qu'il apprécie peu. Il lui invente des poses (pied levé), des costumes variés ce qui surajoute au talent de l'actrice qui, sans cesse, semble regarder, surveiller, toujours à l'affût. C'est une femme qui s'accroche à quelque chose qui lui permet de surnager, qui aspire à la survie dans un milieu dans lequel elle étouffe, entre une télévision et une cage à oiseau. Les rails, vus depuis la fenêtre et le bruit des trains l'enferment. Elle veut partir mais Jeff Warren la laisse tomber dès qu'il la prend au piège de ses mensonges. Il se conforme à une société sans humanité autre que la vie normale. Il est cet archétype de l'Amérique contemporaine, ce héros sans gloire de la guerre de Corée qui revient dans une petite ville où tout se sait (Tourné en Californie mais impression d'une ville du nord des environs de Chicago).

Le film sera un échec public et critique. On le compare à La bête humaine en lui reprochant ec qui manque et sans comprendre ce que Lang a voulu y mettre. Celui-ci cherche alors des producteurs indépendants à New York et en Allemagne. Il réalisera encore trois chefs-d'œuvre aux Etats-Unis mais dans des conditions de production très difficiles. La MGM ne croit guère en ce petit film d'aventures qu'elle croit être Moonfleet et Lang connaitra les pires difficultés avec son producteur de La cinquième victime et de L'invraisemblable vérité.

Source : Bernard Eisenschitz sur le DVD ci-dessous.

Test du DVD

Wild Side Video, février 2012. Master restauré Anglais Mono, Sous-titres : Français. 15 €

suppléments :

  • La loi des Désirs : entretien avec Bernard Eisenschitz (13') -
  • Galerie photos - Bande-annonce .