Jean est venu en RER dans la lointaine banlieue parisienne en pleine rénovation urbaine pour un entretien d'embauche. Il est reçu dans une grande bâtisse encore bien entretenue par Louis, le majordome vieillissant, qui lui explique qu'il est le seul candidat pour retenu pour servir d'assistant à Stéphane, ancien photographe de mode qui ne supporte pas les jeunes gens sortant des écoles de photographie. Pendant qu'il attend, Jean est attiré dans une pièce dont la porte s'est ouverte toute seule. Il aperçoit ensuite la silhouette d'une femme vêtue d'une robe bleue qui monte les marches de l'escalier.
Stéphane reçoit Jean et lui explique qu'il a construit un gigantesque appareil photo pour exécuter des daguerréotypes grandeur nature. L'ensemble exige des manipulations de grands cadres et des préparations pour le développent à base de mercure.
Jean s'adapte bien à ce travail et s'en réjouit auprès de ses camarades lensois exilés à Paris comme lui. Jean observe Stéphane souffrant du peu de professionnalisme du mannequin que lui présente Vincent pour une séance de photos. En revanche, c'est avec un soin maniaque, que Stéphane soumet sa fille Marie à de longues séances de pose devant l'objectif, toujours plus éprouvantes. Stéphane est obsédé par la volonté de faire revivre les vieux modèles du début de la photographie. Il est aussi torturé par les remords des conséquences de cette obsession : sa femme s'est suicidé tant il exigeait d'elle de longues séances de poses.
Marie, passionnée par la vie des plantes, en fait pousser dans une serre à côté de l'atelier de son père. Elle se plaint à Jean que les résidus de produits toxiques utilisés pour la photographie contaminent le sol et menaceront bientôt les plantes de la serre. Marie est heureuse cependant. Suite à son entretien d'embauche au jardin des plantes, elle a convaincu l'un de ses directeurs d'écrire une lettre de recommandation pour elle pour un poste à Toulouse.
Lorsqu'elle reçoit la réponse positive, elle embrasse Jean et accepte une dernière fois de se soumettre à une séance de pose, cette fois de plus de deux heures. Jean s'endort et Marie s'évanouie lorsqu'il lui retire l'harnachement qui la maintenait immobile durant la pose.
Lors d'une séance d'emplettes de produits photographiques à Paris, Jean croise Vincent en compagnie du promoteur Thomas. Celui-ci aimerait acheter pour 5 à 6 millions d'euros la propriété de Stéphane. Thomas se fait jeter par Stéphane. Celui-ci, de plus en plus torturé par ses remords envers sa femme, voit celle-ci lui apparaitre. Il part à sa poursuite en montant les escaliers. Marie survient alors qui grimpe à son tour les escaliers et en tombe. Stéphane qui l'a probablement poussé par maladresse comprend qu'elle est morte ce que ne croit pas Jean qui transporte Marie dans sa voiture pour l'emmener à l'hôpital. Perturbé, il a un accident prés de la Seine en route et constate que le corps de Marie a été éjecté. Après l'avoir cherché en vain au bord du fleuve, il la voit soudain réapparaitre et lui demander de la ramener à la maison. Stéphane refuse de croire que sa fille est vivante. Jean, en le maintenant dans son erreur, voit là l'occasion de le laisser se désespérer au point de vendre sa maison. Il propose ainsi à Thomas de le laisser convaincre Stéphane de vendre pour 4,5 millions et de lui verser alors 500 000 euros de commission.
Le plan ne fonctionne pas très bien; Jean cherche désespérément l'acte de propriété. Il ressent une impression étrange dans la relation qu'il entretient désormais avec Marie qu'il cache chez lui.
Lorsqu'il met la main sur l'acte de propriété, Thomas exige néanmoins la présence à la signature de Stéphane. Celui-ci, de plus en plus torturé par les apparitions de Denise, menaçante, se suicide. Jean, doutant de plus en plus de la réalité de Marie, en est ébranlé. Lorsque Thomas survient l'accusant du meurtre de Stéphane, il le tue. Jean s'enfuit alors avec Marie. Ils passent une nuit dans une charmante auberge du sud et Jean propose qu'ils se marient. Ils se jurent fidélité jusque ce que la mort les sépare. Jean n'a ensuite pas même besoin du prêtre qui lui demande de sortir de l'église pour comprendre que Marie est morte. Néanmoins, il va continuer sa route avec le fantôme de Marie à ses côtés.
Pour son premier film français, Kurosawa applique sa manière unique de faire surgir les fantômes à deux sujets : l'obsession du daguerréotype et une louche affaire de transaction immobilière. Il oppose ainsi la puissance libératrice des fantômes (deux femmes) aux obsessions mortifères des vivants (deux hommes). Le lyrisme d'un tel sujet ne reste toutefois que potentiel tant les séquences deviennent répétitives et les deux sujets disjoints.
Filmer les fantômes
Kurosawa sait comme nul autre théâtraliser la présence des fantômes : lents mouvements d'appareils, portes qui grincent, vent qui agite les étoffes, ou même, plus subtilement, présence pleine de suspens même si finalement inutile, d'un miroir qui fait redouter que le fantôme, se révélant, ne s'y reflétera pas. Apparition merveilleuse aussi comme projection du désir de Jean quand, après l'accident au bord du bras de Seine, Marie, indemne, sort du noir dans un éclairage diaphane. Comme dans Real (2013) et Vers l'autre rive (2015), les fantômes de Kurosawa, loin de susciter la terreur, voudraient aider les hommes à mieux vivre. Denise voudrait détacher son mari de son obsession du daguerréotype qui menace dorénavant d'engloutir sa fille. Marie, de son côté, aimerait aider Jean à vivre son histoire d'amour avec elle. Ses apparitions, souvent de dos ou refugié prés d'un mur, sa présence blanche et toujours en retrait dans ses mots et ses gestes marquent toute la gentillesse du fantôme pour tenter de rendre heureux l'homme auquel il s'est dévoué.
La fuite très tardive de Jean
Jean lui-même accepte progressivement l'idée qu'il n'a affaire qu'au fantôme de Marie. Celui-ci lui fait la cuisine et l'amour. Il suffit de continuer d'y croire pour qu'il existe. Pourquoi s'en priverait-il ? Toute la fin du film, la fuite de Jean et de Marie, est ainsi très émouvante. Ainsi la parole fatidique et tragique du mariage improvisé dans l'église : "Jusqu'à ce que la mort nous sépare" puisque son amour n'est justement dorénavant possible qu'au-delà de la mort. Il est hélas dommageable que, pour en arriver là, il ait fallu toute cette séquence immobilière, la recherche des documents et les rencontres répétées avec les agents immobiliers.
Une métaphore trop statique
Le parcours de Stéphane est finalement le même que celui de Jean : il n'arrive pas à se défaire du souvenir de Denise. Celle-ci devra le terroriser dans la serre pour qu'il renonce à son travail et se suicide. Le lieu n'est pas innocent. Kurosawa exploite la différence entre le dur labeur du père et la douce attente de sa fille. Stéphane est obsédé par sa passion : le dur travail de manipulation des cadres très lourds de l'immense appareil photographique, la manipulation plus dangereuse encore des produits chimiques, du mercure notamment, le souci de l'exactitude des temps de pose, de la précision obtenue avec un harnachement contraignant. Marie prend en revanche le temps de vivre et laisse vivre et pousser les plantes à leur rythme. Kurosawa esquisse la thématique de la transmission bienveillante refusée avec la séquence où Jean, photographiant une plante, est rabroué par Stéphane. Celui-ci par désespoir répand avant de mourir toute la cuve à mercure près de la serre. Il marque ainsi de manière définitive la rupture entre son travail et celui de sa fille. Sans soute, Kurosawa esquisse là une réflexion entre le cinéaste, obsédé par la captation de l'instant du tournage, et l'objet filmé qui lui a un autre temps de développement.
Si la métaphore artistique est intéressante, son utilisation dramatique n'est pas poussée par Kurosawa. Il semble se désintéresser de la dangerosité du procédé du daguerréotype et ce malgré la piste du mercure de récupération acheté à bas prix à Paris par Jean. Tant est si bien, qu'à la fin du film, on est frustré de n'avoir vu nul autre secret de la chambre noire que la presence, affirmée depuis le début, du fantôme de Denise.
Jean-Luc Lacuve le 07/03/2017