Creepy

Takakura, policier spécialisé en psychologie criminelle, interroge un psychopathe qui va être transféré dans une prison éloignée. Pendant qui plaide pour prolonger cet interrogatoire, le psychopathe s'échappe et prend une femme en otage. Takakura tente de le raisonner mais, trop présomptueux, est grièvement blessé d'un coup de fourchette dans les reins pendant que le psychopathe est abattu après avoir grièvement blessé l'otage.

Un an plus tard, Takakura et son épouse, Yasuko, emménagent à Inagi, petite ville tranquille dans la banlieue de Tokyo. . Takakura est devenu professeur en criminologie. L'un de ses collègues l'intrigue en lui parlant d’une vieille affaire jamais résolue : la disparition de trois membres d'une famille. Takakura se demande pourquoi cette affaire est répertoriée comme un crime. Le père, la mère et le fils avaient disparu laissant la fille, Saki, alors collégienne, abandonnée à elle-même. Takakura ne résiste pas à l'idée de se rendre devant la maison de la famille disparue mais refuse d'entrer.

Rentré chez lui, Takakura est invité par sa femme à rendre une visite de courtoise à leurs nouveaux voisins. Elle a préparé pour eux des chocolats bien enveloppés. Leur première voisine refuse de leur parler prétextant des soins envers sa vieille mère. Leur second voisin, Nishino, ne répond pas au coup de sonnette.

Dans son université, Takakura est à nouveau sollicité pour reprendre l'affaire de la disparition par Nogami, un jeune inspecteur qui l'admirait autrefois. Il a appris sa première visite sur les lieux. Devant la maison, ils ont la surprise de voir Saki. Celle-ci habite dorénavant chez sa tante. Mais, six ans après les faits, semble commencer à retrouver la mémoire. Takakura insiste pour qu'elle vienne à l'université. Il pourra l'aider à retrouver la vérité sur sa famille.

Pendant ce temps, Yasuko fait la connaissance de son voisin, Nishino, étrangement asocial. Alors que son gros chien, Max se montre agressif envers lui, Nishino finit par l'amadouer. Yasuko fait aussi la connaissance de Mio, la fille de Nishino, qui rentre de l'école. Mais alors qu'elle demande à voir la maman, Nishino s'en offusque sans raison

Au cours d'un interrogatoire éprouvant, Takakura finit par extorquer quelques souvenirs à Saki. Sa famille était sous l'emprise d'un homme mystérieux auquel ils semblaient avoir succombé, chacun d'eux recevant de mystérieux coups de téléphone. Cet homme mystérieux pourrait bien être leur voisin.

Takakura décide de visiter la maison des voisins, elle aussi abandonnée. Guidé par la puanteur, il découvre des cadavres enfermés dans des sacs de plastique hermétiques....

Creepy reprend la thématique de Cure (1997), film noir terrorisant où les êtres fragilisés par leurs fautes passées étaient amenés à tuer par un fou psychopathe. Ici aussi dans sa quête de vérité, Takakura fragilise son couple et le menace de tomber sous la coupe d'un psychopathe qui n'est peut-être que son double inversé : un être maléfique en quête d'une famille à tout prix.

La soif du mal

Un court épisode introductif, va placer l'humanité ordinaire, le couple apparemment heureux de Takakura et Yasuko, sous la menace du mal absolu. La construction du film qui entrelace l'intrigue policière et la vie privée du couple, converge ainsi inexorablement vers le drame. Tout le laisse pressentir : un contrechamp qui tarde à advenir sur le regard inquiet ou seulement interrogatif de Yasuko, le vent qui se lève sur un jardin vide, une grue qui prend en plongée la maison de la disparition. Et plus l'intrigue devient délibérément invraisemblable plus le sujet du film est la destruction de l'intimité du couple

La soif du mal (Orson Welles, 1958) ou Seven (David Fincher, 1995) avaient déjà traité ce sujet de l'homme obsédé par son métier en quête de la vérité et qui, pour cela, délaisse sa femme, oublie de la protéger et la met sous la menace de l'homme qu'il traque. Kurosawa en développe aussi le contexte social et la dimension intime.

La dimension sociale porte sur la répartition des tâches entre hommes et femmes au Japon qui contraint celles-ci à s'investir dans une sociabilité systématique. La femme reprochait à son mari de trop s'invertir dans son métier de policier. Elle espérait plus de détachement avec celui d'universitaire. Mais, comme le rappelle l'un des collègues, une fois le cours terminé, un professeur s'investit dans son domaine de recherche. En l'occurrence pour Takakura, investir dans les parcours de serial killers. De ce fait, le manque de communication entre Takakura et Yasuko ne leur permet pas de recouper les indices. Ainsi les trois disparus se cachaient pour passer des coups de fil à un même inconnu or Yasuko, justement, commence à faire de même. Autre signe inquiétant, la disposition en équerre de la maison des disparus avec celle de leurs voisins est identique à celle des maisons de Takakura et de Nishino.

Le double maléfique

Flic obsessionnel oubliant son épouse, Takakura a pour double maléfique le criminel agissant par procuration en s'appropriant des familles qu'il manipule. L'amour a besoin d'être constant et renouvelé. Dans l'antre de Nishino, au lieu de repartir très vite avec Yasuko, Takakura ouvre la porte de la salle aux cadavres puis s'attarde à discuter avec le psychopathe croyant cette fois avoir raison de lui. L'approche de Yasuko, dans son dos, à peine visible, dit le refus de celle-ci d'un triomphe policier qui l'exclurait une nouvelle fois. Trop longtemps délaissée, de nouveau sous l'emprise de Nishino, Yasuko drogue son mari d'un coup de seringue qui le met sous la coupe du psychopathe.

Mais comme celui-ci n'avait pas réussi à faire franchir à Mio la frontière inhumaine consistant à tuer sa mère, il échoue à détruire l'amour du couple. Celui-ci subsiste en dépit de la drogue comme l'illustre la très belle séquence du gâteau partagé. Le couple hurle de douleur à la fin devant les épreuves traversées et leur néanmoins possibles retrouvailles.

Kurosawa explique à peine le pouvoir de Nishino, obtenu par la drogue qu'il inocule à ses victimes en s'approchant d'eux. Il s'agit d'un pouvoir aussi abstrait que l'est la séquence du départ d'Inagi dans un van au milieu du brouillard puis en avion. Cette dimension symbolique du décor est utilisée avec les dominantes grises et vertes de la maison de Nishino mais aussi dans la longue scène d'interrogatoire de Saki. D'abord claire avec les étudiants dehors, la pièce vitrée s'assombrit lorsque le cadre se resserre sur Saki, devient jaunâtre, jusqu'à ce que, traquée, Saki tombe d'épuisement. Lentement la pièce retrouve sa clarté.

Terrifiant (creepy), le mal ne demande qu'à sortir de l'ombre pour disloquer le couple.

Jean-Luc Lacuve le 22/06/2017.

Creepy, sorti en juin 2016 au Japon mais un an plus tard en France, a précédé les tournages du Secret de la chambre noire (sorti en octobre 2016 au Japon, mars 2017 en France) et d'Avant que nous disparaissions, présenté au festival de Cannes en mai 2017.