Mektoub my love : canto due

Sète, Août 1994. Amin photographie Charlotte qui prépare des pâtes à la tomate. Pour la rendre plus naturelle, Amin lui conseille de lui raconter l'intrigue du gros livre qu'il a vu sur sa table Le tour du malheur de Joseph Kessel.

Tard dans la nuit, dans une Porsche rouge éclatant, deux américains Jack et Jessica débarquent devant Au Soleil de Hammamet. Ils exigent un couscous prétendant connaître Tony qui vient les livrer chez eux. Mel a bien du mal à leur signifier que l'établissement est fermé. Ils insistent pour qu'elle appelle la propriétaire, la mère d'Amin, qui finissait de lui préparer son repas du soir. Celle-ci se montre conciliante, espérant de l'aide en cuisine, d'autant que le couple s'installe avec l'assurance de ceux qui croient que tout leur est dû. Camélia, Aimé et Céline, qui finissaient une soirée non loin de là, acceptent à contrecœur de venir en renfort. Mais ils sont interloqués de reconnaître Jessica Patterson, vedette internationale depuis son rôle dans la série Les braises du désir. Son mari, Jack, une trentaine d'années de plus, producteur à succès, tente d'arrondir les angles. Jessica, perpétuellement insatisfaite exige, pâtes, whisky et le fameux couscous qu'elle arrose généreusement de sauce. Sa gloutonnerie et ses mauvaises manières stupéfient jusqu'à la mère Amin. Elle voit néanmoins dans cette rencontre l'occasion de proposer au producteur de rencontre son fils ou du moins de lire son scénario. Jack fait la sourde oreille mais Jessica montre plus de curiosité et le contraint à accepter.

Dans la ferme de ses parents, Ophélie récolte des olives. Elle fait signe à Amin de venir lui parler. Elle a besoin d'aller à Paris se faire avorter de l'enfant qu' elle a conçu avec Tony. Elle a déclaré à ses parents profiter d'une rencontre d'Amin avec un producteur pour qu'il l'accompagne acheter sa robe de mariée. Ophélie compte bien épouser le mois prochain Clément, militaire en opérations spéciales et sait ne plus pouvoir se fier à Tony, trop irresponsable et bavard.

Sur la plage, Aimé présente à ses amis Marie, une jeune étudiante parisienne en vacances. Elle s'enquiert des activités de chacun. On lui parle d'Amin, ancien étudiant en médecine devenu photographe et scénariste en devenir. Céline, mi figue mi raisin, déclare savoir que son destin est d'être sa femme mais dans quelques années et veut bien, en attendant, céder sa place à Marie. Ophélie déclare travailler dans la ferme de ses parents et attendre le retour de Clément avec laquelle elle se marier le mois prochain et reprendre la ferme. Elle propose à ses amis ses délicieux fromages et fraises du verger. Kamel, la cinquantaine heureuse et nonchalante, rejoint le groupe. Pendant que les autres continuent de discuter, Tony se rapproche d'Ophélie qui caresse son ventre. Il fait des promesses sans convictions lui proposant de l'épouser et de garder leur enfant mais sans oser affronter Clément ni son père.

Tony accompagne son cousin Amin dans la luxueuse propriété en bord de mer louée par Jessica et Jack. Celui-ci loue le scénario d'Amin qu'il a finalement lu en entier, fait extrêmement rare pour lui, submergé de propositions. Le champagne, le couscous emmené par Tony, le soleil et la piscine, tout réjouit Jessica qui s'intéresse à Amin, faisant difficilement parler ce garçon timide. Sous son impulsion et celle de Tony, Jack envisage d'acheter le scénario d'Amin pour 200 000 dollars et de le tourner à Los Angeles. Il faudrait toutefois changer le titre, Les principes essentiels de l’existence universelle. Sous l'impulsion de Jessica, Amin explique que ce titre dit que l'amour est la valeur la plus haute de l'humanité car elle incite à se dépasser. Tous conviennent néanmoins que Robot Love, serait certainement meilleur. Tony emporté par l'enthousiasme général aimerait partir avec eux comme acteur et se lance dans une imitation de Joe Pesci dans Raging Bull alors que Jessica joue De Niro. Pendant ce temps, Jack explique à Amin qu'il pense que Jessica serait parfaite pour le rôle, qu'il doit confier son scénario à des script-doctor et qu'il faudra changer la fin, trop triste avec la mort du personnage principal qui empêcherait une suite.

Dès le lendemain, Tony a tout raconté du triomphe de son cousin, se réservant un rôle de manager en restauration à Los Angeles. Amin se montre plus modeste vis-à-vis de la famille d'Ophélie. Il rejoint celle-ci dans la bergerie où elle doit sortir les cadavres de chevreaux mort-nés ou tués par l’épidémie de gale. Il a acheté leurs billets de train et elle le remercie de son amitié, envisageant même de pouvoir rester plus longtemps à Paris que le temps d'expérimenter tous les restaurants dont Amin lui fait la description.

Amin rejoint la maison familiale, où sa mère lui reproche de découcher trop souvent. Elle s'inquiète aussi du voyage qu'il va faire avec Ophélie à Paris : n'est ce pas pour cacher les amours clandestines de Tony et Ophélie à la veille du mariage de celle-ci ? Amin la rassure et va dans sa chambre regarder un film en vidéo, Pour un soir (Jean Godard, 1934).

Amin se rend chez les Patterson où Jessica l'a appelé. Elle le reçoit nue au bord de la piscine, se couvrant d'une légère robe. Elle insiste lourdement pour qu'il partage son repas de couscous et boive avec elle. Elle l'a appelé pour lui faire, à lui seul, des confidences. Elle ne jouera pas dans son film;  elle ne supporte plus son métier d'actrice, les contraintes qu'il lui impose. Elle est aussi au bord du divorce avec Jack qu'elle a épousé très jeune. Elle réclame un puis deux embrassades dont Amin se détache avec tact.

Charlotte trouve très belles les photos qu'Amin a prises d'elle dans la cuisine. Tôt le matin, elle regarde son ami Amin dormir chez elle. Elle lui laisse un mot expliquant que ses vacances sont finies et qu'elle repart à Nice.

Tous se préparent pour la soirée en boîte et le concours de danse dont Amin devra prendre des photos. Céline tente de draguer Amin en l’entraînant dans la chambre. Mais Camélia, Mel et Ophélie veillent au grain et la font sortir. Juste avant de partir, Amin reçoit un appel de Jessica et Tony, manifestement déjà ivres, pour qu' il vienne les chercher pour la boite de nuit. Amin accepte de mauvaise grâce.

Au bord de la piscine, Tony et Jessica ont repris le jeu de simulations de films et se rapprochent de plus en plus. Lorsqu'Amin arrive en voiture, il découvre la piscine vide et monte dans la maison pour découvrir Tony et Jessica faisant l'amour. Excédé, il s'apprête à repartir quand Jack, revenu à l'improviste de Los Angeles, débarque dans la Porsche rouge. Amin se cache et le voit monter dans la chambre découvrir le même spectacle que lui. Visiblement sonné, Jack descend au salon et s'empare d'un revolver. Jessica se rhabille et propose à Tony de le suivre alors qu'elle parlera à Jack. Mais dans le salon, Jack pointe son revolver sur les piteux amants. Tony prend peur et s'enfuit pendant que Jessica tente de raisonner Jack. Mais Jack aperçoit Tony au bord de la piscine essayant de récupérer ses vêtements. Il tire sur lui et Tony s'enfuit dans les buissons. Jessica tente une nouvelle fois de calmer Jack et parvient à le faire asseoir à la table près de la piscine. Elle appelle Tony pour, qu'ensemble, ils parlent. Amin qui voit le revolver toujours sur la table s'en approche silencieusement. Et quand, comme il le prévoyait, Jack se saisit de nouveau du revolver pour tirer sur Tony qui approche, il lui saisit le bras et tente de le désarmer. En se battant, les deux hommes tombent à l'eau et Jack tire, se blessant. Amin le ramène sur le bord et prend les choses en main, demandant à Tony de chercher un drap pour penser la plaie tout en prenant le corps avec Jessica pour transporter Jack dans sa voiture. Tous les trois débarquent à l'hôpital avec Jack presque inconscient.

Le blessé est pris en charge alors que Jessica, surexcitée, dédaigne Tony et ne cesse de remercier Amin de s'être interposé évitant un meurtre. A l'hôpital, patients et soignants découvrent peu à peu l'identité de Jessica Patterson. Ils n'en reviennent pas de cette situation digne d'une sitcom : un vieux mari blessé, accompagné de sa jeune femme et de deux jeunes hommes. Amin demande à partir quelques instants pour prévenir ses amis qui l'attendent en boîte. Mais sa voiture tombe en panne et ses appels téléphoniques sonnent dans la vide, aussi bien dans le restaurant qu'en boîte.

Pendant ce temps, la police débarque à l'hôpital et interroge Jessica et Tony sur ce mystérieux coup de feu qui a blessé Jack...dans l'une de ses testicules. Les policiers, brutaux et balourds, tentent de faire avouer Jessica et Tony qu'une tentative de meurtre a eu lieu, quitte à menotter celui-ci et le plaquer contre un mur. L'absence d'Amin leur paraît suspecte et ils lancent un avis de recherche. Pendant ce temps, Amin essaye de laver sa chemise du sang de Jack quand il tombe nez à nez avec Clément, revenu de sa zone de combat et impatient de retrouver Ophélie qu'il n'a pas prévenu de sa visite. Amin ne tarde pas de s'échapper de la conversation avec les amis militaires de Clément et court dans la nuit.

Dix années se sont écoulées depuis le tournage de ce film en 2015. Abdellatif Kechiche, mis à mal par les accusations de maltraitance au travail après son triomphe cannois avec La vie d'Adèle, chapitres 1 & 2, arrive alors à Sète pour tourner dans l'euphorie suffisamment d'images pour réaliser trois films  : Mektoub, my love : canto uno (2017) ; Mektoub, my love, intermezzo (2019, inédit en salle) et ce Mektoub, My Love : canto due, qui sort en salles début décembre 2025 après les réserves éthiques suscitées par le premier volet et le scandale déclenché par le second.

Ce deuxième volet est chronologiquement situé immédiatement après le premier. La dernière séquence du premier voyait en effet Amin invité par Charlotte à manger des pâtes...qu'elle prépare dans la première séquence du second alors qu'Amin la photographie. La séquence sur la plage est identique, à quelques variations de montage près, à la première séquence de Intermezzo alors que la séquence de la boîte de nuit prend vraisemblablement la suite de ce second volet. C'est peut-être la destination d'Amin courant dans la nuit.

L'incipit, le vers conclusif du poème Fernando Pessoa, "Passe, oiseau, passe, et enseigne-moi à passer !" est un appel oublier les difficultés qui ont émaillé la trop longue histoire de ce film en même temps qu'il est l'espoir fragile de la capacité de la jeunesse à jouir de l'instant et à se sortir de toutes les situations. Le film se charge ainsi d'inquiétudes et de danger sous la séduction et le charme d'une adolescence baignée de soleil. Au temps miraculeux d'une grande fluidité, de désirs en attente succède le désenchantement face au seul plaisir immédiat. sans doute est ce le sens du monologue de Colette Darfeuil dans Pour un soir (Jean Godard, 1934) que regarde Amin : "Vois-tu ma petite Monique, ce que toi tu appelles l’amour, l'amour avec un grand A, et bien c'est un piège. Mais oui, un piège à naïf. Il n y a que le désir et puis la satiété ; et c'est tout".

Le ton du Canto due est ainsi bien moins léger que celui du premier. Ce n'est plus à la naissance du chevreau qu'Amin assiste mais à la mort de deux autres. Après quatre ans de relations cachées, Ophélie est désormais enceinte de Tony et décide d'avorter en secret pour épouser Clément. Tony trouvait un accomplissement sexuel dans sa relation avec Ophélie alors qu'il est pitoyable dans celle avec Jessica. Amin fait la cruelle expérience des difficultés à passer d'un scénario écrit en solitaire à sa possible diffusion sous la pression d'un grand studio américain.

Amin, dont rien ne vient ternir l'innocence est le seul à garder la pureté de l'oiseau. Mais sans doute, il lui faudra continuer d'aller vite.

Plutôt le vol de l’oiseau… (Fernando Pessoa sous le pseudonyme d'Alberto Caeiro, dans Le Gardeur de troupeaux et les autres poèmes ,1960) :

Plutôt le vol de l'oiseau, qui passe et ne laisse pas de trace, Que le passage de l'animal qui reste rappelé dans le sol. L'oiseau passe et s'oublie, et c'est fort bien ainsi. L'animal, là où il ne se trouve plus et où par conséquent il ne sert plus de rien, Montre qu'il s'y est trouvé, ce qui ne sert à rien de rien. Le souvenir est une trahison envers la Nature, Parce que la Nature d'hier n'est pas la Nature. Ce qui fut n'est rien, et se rappeler c'est ne pas voir. Passe, oiseau, passe, et enseigne-moi à passer !

Jean-Luc Lacuve, le 22 décembre 2025