Fin des années 30. Malgré son jeune âge, Monroe Stahr est directeur de production d'un des plus importants studios de Hollywood. Depuis la mort de sa femme, l'actrice Minna Davis, il se jette à corps perdu dans le travail. La fille de son patron, Cecilia Brady tente en vain d'éveiller son intérêt. Un jour, sur un plateau, il voit le sosie de Minna, Kathleen Moore. Rencontrant de nouveau la jeune fille à un bal, il lui arrache un rendez-vous. Monroe la conduit dans sa villa en construction où ils passent la nuit.
Au matin, Kathleen est partie en laissant une lettre dans laquelle elle lui annonce son prochain mariage. Pendant ce temps, au studio, les scénaristes veulent créer un syndicat. Stahr est désigné pour discuter avec Brimmer, leur délégué, mais, bouleversé par son aventure avec Kathleen, il perd ses moyens et frappe son interlocuteur. Brady, jaloux de Monroe, profite de l'occasion pour le décharger de ses fonctions. Resté seul, Stahr parcourt les studios déserts et s'enfonce dans l'obscurité d'un immense plateau.
Ultime roman de Fitzgerald, resté inachevé alors qu'il occupait l'emploi détesté de scénariste à Hollywood, Le dernier nabab raconte l'irrémédiable fêlure de Monroe Stahr, producteur de cinéma tout puissant dont le dernier amour malheureux va entrainer la chute à 35 ans. Fitzgerald s'est inspiré du célèbre producteur Irving Thalberg, brillant, autoritaire, populaire, marié à la star du studio et fragile physiologiquement qui meurt à 37 ans en 1936. Le personnage de Robert Mitchum évoque, Louis B. Mayer, le patron de la MGM.
Le film de Kazan est centré sur l'histoire d'amour entre Monroe et Kathleen mais fait néanmoins la part belle au fonctionnement des studios de la grande époque.
Un amour tragique
Le couple assez improbable formé par Robert De Niro et Ingrid Boulting rend pourtant parfaitement compte de l'amour fiévreux et impossible entre Monroe et Kathleen. La vision de Kathleen sur une tête gigantesque de carton-pâte puis les pieds dans l'eau, puis seule au bal, puis dans la maison au bord de la plage avec ses seules charpentes et sans toit sont dignes des séquences romantiques de La fièvre dans le sang.
Le déclanchement de la passion pour Monroe est mis en scène, d'abord classiquement, par un coup de foudre lors du tremblement de terre. Mais il se cristallise de façon mentale lorsqu'il rentre chez lui, ouvre la porte et entend sa femme défunte lui dire "comme dans un film" : "Je suis rentré à la maison". Certes l'ouverture du film avait narré, avec la visite du studio par un groupe d'Américaines, le grand amour entre Marion Davis et Monroe Sthar. Mais la ressemblance entre la photo de Marion Davis et la vision de Kathleen ne saute pas aux yeux, pas plus sans doute que la signification du montage de ces deux plans :
Voir : Coup
de foudre
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Deux extraits de films en noir et blanc sont en effet déjà intervenus pour documenter le travail du producteur, celui qui est un pastiche de Scarface et celui avec Jane Moreau. Presque immédiatement après, lorsque Monroe se met en quête de Kathleen, un troisième extrait de film en noir et blanc est montré. Ainsi ce plan mental où Monroe qui rentrant chez lui croit avoir retrouvé une seconde incarnation de la femme aimée, échappe-t-il souvent à la première vision du film. Il est pourtant précédé d'un regard vers les hauteurs de l'escalier, où se situe la chambre, et donc presque désigné comme l'espace du cerveau.
C'est bien ce fil conducteur qu'utilise Kazan pour décrire le parcours élégiaque mélancolique et raffiné de Monroe Stahr. "Le cinéma c'est ma vie" dit-il Kathleen lors de la visite de la maison sur la plage où celle-ci est à peine dessinée mais comporte pourtant déjà la place du projecteur. Il le prouve une première fois en jouant une scène imaginaire avec le scénariste qui devient plus haletante que la vraie vie et qu'il revoit à la fin comme un rêve impossible, jouée alors par Kathleen. Et le cinéma est à ce point sa vie que la perte de cet amour crucial correspond à la fin de son pouvoir de producteur symbolisée par son absorption dans l'obscurité d'un immense plateau.
Un film sur Hollywood
La réflexion sur Hollywood est donc moins le moteur du film qu'un décor, un contexte social mieux traité par le scénario que par la mise en scène. C'est le métier de scénariste sur lequel s'acharne avec le plus de vigueur Fitzgerald qui l'a pratiqué avec dégoût. Brimmer, le communiste, veut tenter de faire participer au festin "ceux qui font lever le blé". Monroe s'y refuse arguant que les scénaristes ne sont souvent ni plus ni moins que des gagmans ; que ce sont des enfants qui se détestent les uns les autres. Il donnera une leçon de cinéma à Boxley qui finira néanmoins presque fou. Monroe oblige aussi l'un des scénaristes à collaborer avec deux nouveaux car il a, d'après lui, dénaturé le rôle de la star.
Les stars sont en effet au centre du système hollywoodien. Mais l'hystérique Didi aussi bien que le passagèrement impuissant Rodriguez sont traités avec la plus grande ironie. Le metteur en scène n'est pas épargné non plus. N'ayant pas su tirer parti au mieux de Didi, il est renvoyé brutalement. Monroe le racompagne à la sortie du studio pour lui signifier son renvoi et le réalisateur ne peut pas même retourner cherche sa veste. Monroe avait déjà prévu le coup et l'avait fait porter par un assistant en voiture.
Le personnage central du producteur ne cesse de faire acte d'autorité. Il est omniprésent, suggère des coupes, choisit les meilleures prises et exige de faire retourner des scènes. En dépit de cet autoritarisme, il est néanmoins montré comme le plus à même de sauvegarder l'intégrité artistique du film, loin des calculs des actionnaires (il faut savoir faire des films qui perdent de l'argent).
Jean-Luc Lacuve le 27/08/2013.