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All we imagine as light

2024

Genre : Drame social

Avec : Kani Kusruti (Prabha), Divya Prabha (Anu), Chhaya Kadam (Parvaty) Hridhu Haroon (Shiaz), Azees Nedumangad (Dr. Manoj). 1h50.

Sur un marché de nuit semi-clandestin de Mumbai, ses habitants expriment leurs sentiments ambivalents sur cette ville.

Comme tous les matins, Prabha parvient par le métro à l'hôpital où elle est infirmière en chef. Elle raconte à la médecin que la patiente âgée refuse les médicaments car cela lui provoque des cauchemars. La vieille femme explique qu’elle ne veut pas rester là car son mari décédé, réduit à un tronc, vient la visiter chaque jour. Dans la salle de repos, les infirmières parlent cinéma. Prabha sort une carte de visite pour Parvaty, son amie cuisinière. C'est celle elle d'un ami du Dr. Manoj, avocat, qui a promis de l'aider face aux promoteurs qui veulent la chasser de son logement. Celle-ci pense que c'est trop tard : elle devra être partie après le festival de Ganapati.

A l'accueil, Anu reçoit une jeune femme de vingt-cinq ans qui aurait aimé que son mari recourt à une vasectomie pour qu'elle n’ait pas bientôt un cinquième enfant. Elle accepte avec reconnaissance les pilules que lui offre Anu. Celle-ci échange des textos avec Shiaz, lui donne rendez-vous pour le soir et, en attendant, s'amuse avec un stéthoscope. En fin d'après-midi, elle refuse de répondre au téléphone à sa mère, prétextant une entrée au bloc opératoire. Elle dit au revoir à Prabha qui vérifie que la vieille femme prend bien son médicament. Quand Prabha sort elle est attendue par Dr. Manoj. Il vient du Kerala comme elle et elle essaie de faire progresser en langue hindi qu'il ne maîtrise pas bien. Avant de susciter les commérages des infirmières qu'ils croisent, Il lui offre un carnet de ses poèmes. Anu est rejoint par Shiaz; ils se prennent la main.

Prabha qui prépare le repas s'étonne qu'Anu rentre si tard; elle prétexte être sortie avec une cousine. Le chat est de sortie. Elle demande à ne pas payer sa quote-part du loyer et embrasse Prabha avec effusion quand celle-ci accepte. Elle réceptionne un cuiseur de riz ; il vient d'Allemagne. Dans la nuit, Prabha se lève pour lire les poèmes de Dr. Manoj.

Le lendemain matin, Anu donne rendez-vous pour le soir à Shiaz: "J'envoie mes baisers dans les nuages ; quand la pluie tombera, tu les recevras". Une infirmière avertit Prabha que sa colocataire sort avec un jeune musulman. Prabha remarque en effet qu'Anu est distraite pendant l'exercice du placenta qu'elle dirige. En bus, Anu raconte à Shiaz l'anecdote du vieillard qui bandait et que Prabha a réprimandé. Ils vont chercher la montre du patron; Shiaz est perturbé par la connaissance des sexes masculins d'Anu. Elle se moque de sa jalousie; ils s'embrassent dans un parking puis vont manger et regardent sur le téléphone d'Anu les photographies des maris potentiels que lui destinent ses parents. Mais Anu ne veut pas se marier, même avec Shiaz. Celui-ci a un plan pour le samedi. Le soir, Prabha est réveillée par la pluie qui a ouvert une fenêtre et inondé le sol. Elle l'éponge et sort l'autocuiseur qu'elle enlace.

Le car conduit Parvaty et Prabha chez l'avocat conseillé par le docteur Manoj. Mais celui-ci, manquant de toute trace écrite en possession de Parvaty, ne peut pas même constituer un dossier pour plaider sa cause. Les deux femmes cherchent vainement dans l'appartement où l'électricité a été coupée à retrouver un papier indiquant l'ancienneté d'habitation de Parvaty. En sortant, elles jettent des cailloux dans le panneau publicitaire indiquant que "Le standing est un privilège réservé aux privilégiés".

Echographie du chatqu'Anu a sollicité. Prabha est en colère de voir Anu flirter avec le docteur et la traite de traînée. A peine décontenancée, Anu se met en route pour se rendre chez Shiaz. Elle achète une burqa pour, comme il le lui a indiqué, pouvoir entrer discrètement chez lui. Mais Shiaz l'appelle dans le métro : la mousson empêche les trains de fonctionner normalement rendant impossible la venue d'Anu chez Shiaz dont les parents ne sont pas partis pour une cérémonie comme ils le souhaitaient. Déçue, Anu appelle sa mère au téléphone. Prabha a honte de s’être emportée quand Anu rentre. Les deux femmes parlent de comment elle a rencontré son mari ; comment il n'a plus donné de nouvelles.

Parvaty fait part de son intention de rentrer chez elle. Elles assistent à une réunion syndicale puis mangent au restaurant. En rentrant, elles croisent le docteur qui sort de l’hôpital, il demande s'il a une raison de rester. Elle rétorque qu'elle est mariée.

Un car approche près du port de Ratnagiri. Parvaty, chassée de son appartement, rentre dans son village natal. Son amie Prabha est aidée, pour porter les valises, d'Anu dont elles n'attendaient pas une telle solidarité. Prabha comprend toutefois bien vite qu'Anu n'est venue que pour profiter de rencontres secrètes avec Shiaz dans les bois ou une grotte dédiée à Shiva. Un soir, elle est appelée près du rivage par des villageois qui ont pris un noyé dans leur filet; ce n'est pas Anu comme elle l'a redouté un instant mais un étranger que tous croient mort. Prabha lui fait un massage cardiaque et un bouche à bouche et l'homme reprend sa respiration. Entourée du respect de tous, Prabha accompagne le survivant dans la maison d'une vieille femme qui les prend pour mari et femme. Prabha en profite pour dire en rêve à ce substitut de mari ce qu'elle pense de l'abandon dans lequel il l'a mise, l'empêchant de vivre sa vie. Elle le congédie pour toujours.

Alors que le bar de la plage s'illumine pour le soir, Prabha et Parvaty demandent à Anu de leur présenter son fiancé caché non loin de là. Tous les quatre voient peut-être enfin la lumière au bout du tunnel.

La première partie du film se déroule à Mumbai pendant la mousson où la pluie colore de bleu et de froideur la vie dans cette mégalopole fascinante et cruelle. Mumbai est une pompe aspirante puis refoulant pour de nombreuses femmes en quête de travail comme Prabha et Anu, infirmières, qui viennent de l'état du Kerala au fort niveau d'instruction ou comme Parvaty, cuisinière, qui vient d'une partie déshéritée au sud de l'état du Maharastra. Prises dans le quotidien grouillant de la cité, ces trois femmes vont trouver une échappatoire à la campagne pour s'alléger, fut-ce douloureusement, du poids des contraintes sociales qui pèsent sur elles. Ce processus d'émancipation est travaillé par la couleur, un dialogue constant entre le son et l'image pour favoriser la création d'un espace symbolique qui illumine le parcourt de ces trois femmes.

Mumbai et le travail des femmes

Le film s’ouvre sur une séance de nuit avec un travelling sur un marché de nuit semi-clandestin de Mumbai, ses habitants expriment ce qu’ils pensent de leur ville. L’un est Là depuis 23 ans mais ne s'estime pas chez lui car il a peur de devoir repartir à tout instant. Un autre est venu rejoindre son frère docker mais n'a pu rester habiter chez lui tant l'odeur y était épouvantable. Une femme a gardé des enfants au comportement infect mais elle s'Ets satisfaite d'une bonne nourriture pendant un an. Une autre avait des problèmes de cœur qu'elle a oublié à Mumbai; une autre s'y réjouit d'y trouver de l'argent et du travail ; pour une autre enfin, il est difficile de tenir debout mais pas d’autres moyens que de s'accrocher.

D'autres moments viendront documenter la vie difficile à Mumbai ainsi le contraste entre le petit appartement sans électricité de Parvaty qu'elle va devoir quitter sous la pression des promoteurs et le panneau publicitaire qui avec une belle obscénité ose afficher : "le standing un privilège pour les privilégiés' Prabha et Parvaty vont le défigurer avec espièglerie. Mais elles ne pourront rien contre l'expulsion de Parvaty qui ne possède aucun titre officielle d'occupation, bien qu’étant là depuis 22 ans. La ville se transforme en effet alors que les filatures de coton qui ont dessiné le paysage urbain des quartiers de Lower Parel et Dadar sont rasées pour de nouveaux immeubles enrichissant les propriétaires fonciers sans que les habitants touchent de contrepartie. Certes les locataires s'organisent mais leurs paroles semblent encore faibles. Autre calamité de Mumbai la mousson qui déverse presque sans arrêt la pluie toute une saison. Elle empêche aussi les trains de fonctionner normalement rendant impossible la venue d'Anu chez Shiaz dont les parents ne sont pas partis comme ils le souhaitaient. Pompe aspirante des jeunes en quête de travail, Mumbai a aussi un bon aspect comme en témoigne le festival de Ganapati qui clôt cette première partie.

Portraits de femmes à trois âges de la vie

Anu et Prabha viennent de l’État du Kerala, au sud du pays, dont sont originaires beaucoup de femmes qui travaillent à Mumbai. Au Kerala, le métier d’infirmière est très bien considéré et les femmes qui choisissent cette profession sont encouragées dans leur démarche. La deuxième partie du film se déroule entre cet état du Kerala et Mumbai ; dans un village du littoral de Ratnagiri d'où les femmes sont parties travailler à Mumbai, suite aux fermetures d'usines ayant laissé leur mari au chômage. Durant la saison sèche, le paysage se transforme totalement après la mousson. La nature verdoyante et luxuriante se couvre d’herbes sèches et la terre vire au rouge. Cette terre rouge fait partie intégrante de l’identité du Ratnagiri.

Cette ouverture dans la campagne introduit une dimension fantastique avec la grotte aux sculptures de Shiva et la quasi résurrection du noyé. Il est l'occasion pour Prabha de prendre conscience de son asservissement aux valeurs traditionnelles du mariage qui ne lui ont procuré que frustration. L'autocuiseur rouge du mari est un rappel de la vie domestique mais aussi un dérisoire substitut sexuel lorsque Prabha le coinçait la nuit entre ses cuisses. Prabha s'oubliait elle-même en se sentant utile pour les autres, en aidant Parvaty à conserver son appartement, à l’hôpital en entourant d’affection la vieille dame qui souffre d’hallucinations, ou en payant parfois la quote-part du loyer d’Anu. Prabha ne prend ainsi pas en compte ses propres désirs qu'elle n'avait avoués qu'une fois une nuit avec Anu alors que flottent dans le salon les saris bleus à sécher. Il est probable que ce séjour de vacances loin de la fureur de la ville va libérer ses désirs comme ceux de ses compagnes.

All they imagine as light s'incarne dans le plan final, signe d'allégement et de lumière au bout du tunnel. Il n'est pas montré du point de vue des protagonistes. Le plan large les cadre en effet vues de loin dans un espace qui les dépasse puisqu'il englobe la danse en arrière plan du barman et les étoiles. Mais sa splendeur indique puissamment au spectateur le sentiment de ce qu’elles ressentent : trois femmes qui trouvent une voie pour s'alléger des contraintes qui pèsent sur elles; un espoir plus qu'une solution.

Jean-Luc Lacuve, le 11 octobre 2024 (après La rencontre autour d'un film du jeudi 10 octobre).

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