Un caron indique que l'on a retrouvé dans une chambre d'étudiant une malle contenant des coupures de presse et un carnet contenant des lettres écrites par L. :
En juin 2015, les étudiants protestent contre la nomination de Gajendra Chauhan comme président du Film and Television Institute of India (FTII). Issu du BJP, il n'a pas de légitimité artistique n'ayant eu comme rôle notable celui d'un dieu dans un feuilleton des années 80. En revanche, il soutient l'organisation nationaliste hindoue, le RSS comme la plupart de ceux nommés à la tête d'établissements publics par le gouvernement. Sa nomination va entraîner 139 jours de blocage. Le gouvernement fait arrêter 5 étudiants, ne réagit pas aux grèves de la faim et déconsidère les étudiants en faisant état des subventions accordées au FTII pour que les droits d'inscription soient faibles. Certes, répond L. mais sans cette école qui pourrait faire des films ?
La police menace de viol les étudiantes, les musulmans sont déclarés terroristes; L. a été convoquée par le directeur pour expliquer la disparition de celui qu'elle aime, rencontré au cours de ces manifestations. Elle a expliqué qu'il avait des problèmes familiaux. Que pouvait-elle dire d'autres. Elle poursuit le recensement coupures de journaux : "tes notes du passé rejoignent les miennes au présent". Elle est monteuse; elle va garder les coupures de presse: élection choquante de Trump, assassinat de la journaliste Gauri Lankesh, lynchage de Pehlu Khan, les dalits flagellés à Una, jeune fille victime d’un viol collectif puis assassinée, une image fugace de violence en remplace une autre. janvier 2016 Rohith Vemula, se suicide ; doctorant de 26 ans de l'université de Hyderabad, il lutait pour le droit des dalits, autrefois nommés intouchables
Dans le carnet de L. des pages blanches, des pages arrachées et reprise des lettres
Diwali, la fête des lumières à nouveau, L. regrette que celui qu'elle aime ne se soit pas opposé au castisme de ses parents. Fête de Dussehra. La mémoire est fragile : on conserve 20 000 ans d'histoire mais c'est celle des plus forts. Elle regrette d'avoir pris la narration de son enfance auprès de son amoureux pour de l'approbation. "Je sais maintenant que je ne t'enverrai jamais ces lettres. Je ne t'écrirai plus. Désormais, j'écrirai à celui que j'aimerais que tu sois."
L. était venu à Delhi pour monter le film de son ami Shubham, c'est là qu'ils furent pris dans les grèves et manifestations. En observant la policière à laquelle elle fait face et qui après sa journée de travail rentrera chez elle préparer le dîner elle pense à Pasolini en 1968 en Italie qui défendait la police contre les étudiants, fils de bourgeois alors que la police est le prolétariat
Alors qu'une caméra de vidéo surveillance filme l'évacuation violente de salles et cours, L. évoque son cauchemar d'un camion à eau de la police pour réprimer les manifestants qui fait fondre et disparaître ses amis.
Sur le campus un militant s'exprime : Nous ne sommes plus seulement le seul FTTI, nous sommes une voix nationale. Nous faisons des films pour les gens à l'extérieur, pas pour une communauté de 200 personnes. On nous a soutenu dans ces manifestations, ne tombons donc pas dans le manichéisme qui est le problème du gouvernement actuel pour qui il n'y a pas d'autre alternative que le "avec ou contre nous". Comme cinéastes, nous devons être plus nuancés ; ne pas être nostalgiques des valeurs du passé mais faire un cinéma qui affronte ce présent. Trump et Modi sont notre réalité. Penser à Lénine pour qui "la révolution est la fête des opprimés». Tout le monde cherche une alternative nous devons participer à la trouver. Images des étudiants qui dansent sur le campus la nuit
Le titre du film n'indique pas l'attente d'un savoir sur ce qui a pu arriver suite à un évènement. Il fait état de la situation de L. et des cinéastes du FTII. Il ne s'agit en effet pas pour ces cinéastes d'imposer un savoir mais de chercher une position nuancée et sensible pour trouver une alternative à un monde dominé par la violence de Trump et Modi où les minorités, qu'elles soient artistiques, genrées, de caste ou ethniques, sont violemment réprimées.
Cette alternative à un savoir imposé, stratégie des dictatures, ce sont les lettres sensibles de L., monteuse au FTII, abandonnée par celui qu'elle aime, appartenant à une caste supérieure. Ces lettres, lues off, sont montées avec des scènes de nuit des étudiants sur le campus, dansant ou manifestant ; des moments de fête, Diwali, la fête des lumières et Dussehra, la victoire du bien sur le mal ; des scènes de répressions policières ; d'images d'archives, de coupures de journaux et séquences familiales en super8. Tout un ensemble de séquences sensibles qui dépassent la propagande pour une recherche d'un monde sensible et panthéiste car les lettres de L. sont fondues à l'image dans toutes ces scènes collectives qui dépassent la seule personne de L.
En ce sens, par cet appel à une fusion de l'intime et du collectif pour trouver une alternative à la domination de la violence imposée par Modi et Trump, le film est puissamment politique.
Jean-Luc Lacuve, le 11 ocobre 2024