Un amour de jeunesse

2011

Avec : Lola Créton (Camille), Sebastian Urzendowsky (Sullivan), Magne Havard Brekke (Lorenz), Valérie Bonneton (la mère de Camille), Serge Renko (son père), Özay Fecht (la mère de Sullivan), Olivier Yglesias (Jérémie). 1h50.

Paris, hiver 1999. Camille a 15 ans, Sullivan 19. Ils s'aiment d'un amour passionnel, mais Sullivan veut partir en Amérique du Sud pendant un an et ce projet désespère Camille. A la fin de l'été, Sullivan s'en va, et quelques mois plus tard, il cesse d'écrire à Camille. Au printemps, Camille fait une tentative de suicide.

2003. Sullivan n'est jamais réapparu, les parents de Camille se sont séparés, la jeune fille porte désormais les cheveux courts et est étudiante en architecture. Elle fait la connaissance d'un architecte reconnu, Lorenz, qui lui redonne confiance en elle et dont elle tombe amoureuse.

2007. Camille et Lorenz forment un couple solide. Camille est son assistante, mais elle se sent bientôt capable de fonder sa propre agence. C'est à ce moment qu'elle recroise le chemin de Sullivan. Malgré une première rencontre sans chaleur, Camille le revoit une deuxième fois, et renoue avec lui. Elle n'a jamais cessé de l'aimer ; il redevient son amant. Il voudrait l'amener vivre avec lui à Marseille, il aimerait des enfants. Camille tient à son métier d'architecte mais n'hésite pas à mentir à Lorenz pour passer un week-end avec Sullivan à Marseille. Une grève des trains l'oblige à rester à Paris et dormir à l'hôtel. Lorsque Sullivan lui écrit une seconde lettre de rupture, elle pleure de nouveau.

Lorenz et Camille passent les vacances d'été dans la maison familiale en Ardèche. Camille, coiffée du chapeau que lui offrit autrefois Sullivan, repasse devant les sculptures de granit, visite à nouveau la maison aimée, toujours abandonnée par les voisins et va se baigner dans la rivière. Une famille est là qui piquenique, le chapeau est emporté d'un coup de vent dans la rivière. Camille se baigne dans le courant.

>Rien ne trompe dans Un amour de jeunesse, film aussi droit, lumineux et solide que l'architecture du Bauhaus dont il est beaucoup question en son milieu. Rien ne trompe à commencer par son titre qui annonce les trois mouvements attendus : celui de l'amour vécu avec l'innocence de la jeunesse, son effacement progressif, puis son réexamen, l'âge adulte venu. Dans ce programme qui pourrait être convenu, Mia Henson Love refuse les ornements des flash-back, des rimes trop évidentes, de la mise en scène mélodramatique du destin. Ce n'est qu'une fois parcouru que reviennent en tête les signes de ces étapes successives.

Le passé, le temps des cerises, est aussi celui du rêve d'une maison belle et paisible en pleine campagne. Qu'elle ne soit jamais habitée dit cet impossible rêve qui coexiste avec les statues de granit rongées par le temps. Ce dont rêve alors Camille c'est d'une sorte de Locus amoenus, lieu idyllique des chansons de geste du moyen-âge avec sa belle prairie ombragée à l'abri des arbres ou des hautes herbes où coule une source ou un ruisseau. S'y fait entendre le bruit des oiseaux (ici des insectes) et de la brise. On en trouve de nombreuses figurations dans le cinéma français depuis Partie de campagne en passant par Les égarés de Téchiné et jusqu'à Non ma fille tu n'iras pas danser. C'est, ici, le plan qui termine les vacances d'été. Dans ce passé, Camille vie apeurée, n'habitant la maison que si Sullivan s'y trouve. Fragile comme l'oiseau qui s'est probablement écrasé contre la vitre, Camille n'a pas la liberté de Sullivan que la vue du grand lac incite immédiatement à la nage.

L'oubli que l'on a crû d'abord ne jamais devoir possible passe par l'architecture, symbole de la reconstruction personnelle et de l'ouverture à la collectivité. Camille, qui gagne sa vie comme hôtesse pour congrès internationaux ou boites de nuit, vit au milieu d'étudiants aussi passionnés et intelligents qu'elle. Elle y apprend que construire une citée étudiante ce n'est pas construire un monastère puis, avec Lorenz, que lueur, phénomène fragile, suppose mémoire et obscurité. Peu à peu, grâce au voyage à Berlin puis à Copenhague, la perte de Sullivan se fait moins forte. Son carnet intime, couvert de ce qui lui tient le plus à cœur, sa passion de l'architecture, porte trace de cet éclaircissement. En découvrant ce carnet, Lorenz comprend qu'il y est pour quelque chose.

Vient enfin le temps du retour. Un amour de jeunesse est comme une maladie incurable. Camille, malgré une première rencontre décevante avec Sullivan, y perd probablement l'enfant qu'elle attendait avec Lorenz. Cet amour d'autrefois toujours présent, Camille en retrouve la trace dans les aquarelles symboliques et maladroites dont elle fait cadeau à Sullivan. Celui-ci les oublie, toujours guidé par la volonté de rester un être droit. La société, incarnée ici par la SCNF, ferme à Camille les portes d'un retour au passé.

Les saisons sont passées et revenues, le fleuve coule toujours mais Camille peut prendre dorénavant goût à se baigner seule, indépendante du chapeau qui court devant, petit face à l'immensité de la perspective qui s'ouvre.

Jean-Luc Lacuve le 10/07/2011