"Paradise garage". Novembre 1992. Tard dans la soirée, dans un bois limitrophe de Paris, des jeunes gens affluent vers l’entrée d’une rave. Ils longent le canal, fourbus par une nuit de danse et d’électro. Paul s'endort dans un bois et Cyril vient le chercher. C'est une nouvelle soirée. Cyril drague une fille, oublie l'avoir séduite puis part vainement à sa recherche.
Rentré chez lui, Paul demande à sa jeune sœur de lui jouer au piano les notes enregistrées sur une K7 puis, sous prétexte de poster une lettre, s'en va passer la nuit dans une nouvelle rave. Il retrouve Cyril et son copain Stan qui connait le jeune Thomas Bangalter. Dans la soirée, Paul et Stan exposent leurs goûts musicaux au journaliste de Radio FG : Le "garage", déclinaison de la house, dérivée de la soul et du disco. Le journaliste, séduit, leur propose la revue Eden qu'il édite. De retour en train de banlieue, Stan et Paul veulent créer leur label pendant que Cyril les crayonne.
Quelques années passent. Cyril a crayonné le logo du groupe Cheers. Stan organise une fête où Thomas passe le premier disque de son groupe, Les daft punk. Arnaud, organisateur des soirées Respect, prend les Cheers sous son aile.
Paul est amoureux de Julia, une auteure américaine de nouvelles, un peu plus âgée, déjà divorcée qui, faute d'argent et de reconnaissance artistique, s'apprête à rentrer à New York. Paul refuse ainsi les avances de Louise, amoureuse de lui. Après son départ, Paul trouve une lettre de Julia lui annonçant son départ.
Paul est effondré mais se trouve assez rapidement une petite copine de 17 ans. Les soirées se succèdent dans un nouveau désir de danser en fusion avec la musique. Les Daft Punk et les copains passent en entrant sans payer.
2001. Paul rejoint Louise à la piscine et tous deux s'embrassent dans le taxi qui les ramène dans l'appartement du jeune homme sous les toits. Les soirées s'enchainent ainsi que les dépenses et la drogue. Cyril peine à terminer la bande-dessinée, Le chant de la machine, qui raconte leur génération qui n’a pas encore son nom de baptême, la French Touch. Tant est si bien qu'il renonce à suivre la bande de Respect au Moma PS1 pour initier les Warm Up qui attirent tous les samedis après-midis des centaines voire des milliers de personnes. Le succès éloigne Paul et Louise, qui s'enfuit. Paul en profite pour contacter Julia à nouveau : elle vit avec un compagnon charmant, est enceinte, a publié sa nouvelle et le suit bien volontiers assister à une session au PS1. C'en est trop pour Louise qui fuit de nouveau, rattrapée toutefois par Paul.
“Lost in music”. C'est le retour à Paris. En dépit du succès, Paul a de gros soucis d'argent et, si son banquier se montre tolérant, il demande souvent de l'argent à sa mère qui s'inquiète pour son avenir. A juste titre : la professeure de français qui suivait son mémoire jette l'éponge devant l'absentéisme de Paul.
Plus terrible : Stan apprend à Paul que Cyril s'est suicidé. L'enterrement rassemble tous les jeunes gens alors que La chant de la machine est publié. Louise supporte encore plus mal ce suicide et, à bout, quitte Paul. Celui-ci tombe alors sous la coupe de Margot, une lesbienne fantasque et inconstante qui l'engage dans de dépenses inconsidérées et avec laquelle il n'arrive pas même à coucher.
Le garage n'est plus dans l'air du temps et le directeur du Silencio leur conseille de s'adapter aux évolutions de la musique électronique. Paul et Stan invitent La India à Paris mais n'ont pas les moyens de lui payer les deux suites qu'elle réclame, et obtient, pour elle et sa fille. Ce concert est leur chant du cygne mais Paul a la chance d'y rencontrer Yasmin, qui va prendre soin de lui. Hélas, de soirée du premier de l'an calamiteuse en soirée pour riches au Maroc, rien ne va plus pour Paul et sa musique. Il tente de renouer avec Louise qui s'est séparée de son mari et est revenue vivre avec ses deux filles à Paris. L'annonce qu'elle s'est fait avorter lorsqu'ils étaient ensemble brise Paul.
2012. Après une convalescence chez sa mère, Paul accepte un job dans un centre d'appels. Il rencontre Estelle dans un groupe de lecture. Dans un Silencio désincarné, où le videur, comme d'habitude, ne reconnait pas les Daft punk, une djette, Clara 3000, pianote sur son Mac, à l’écart de la piste froide et désertée.
Paul médite sur le poème qu'Estelle a choisi pour lui : tout est une question de rythme; on peut le perdre mais ce rythme perdu va se retrouver dans la succession des jours et des nuits, des jeunes et des vieux, de ceux qui échouent et de ceux qui connaissent le succès.
Mia Hansen-Love s’inspire de la vie de son frère, le DJ Sven Löve, initiateur du duo Cheers avec Greg Gauthier (Stan ici), résident des célèbres soirées Respect du Queen et contemporain, notamment, des Daft Punk. On retrouve dans ce biopic tous ses thèmes de prédilection de la réalisatrice : le passage du temps, la mélancolie, les paradis perdus.
la brume du temps
La première soirée dans la nuit, le réveil sous le ciel gris qu'illumine seulement une hallucination colorée et le retour dans le brouillard du petit matin ; Les lampes jaune-verte qui viennent en incrustation écrire le titre du film, sont un ensemble qui souligne la modestie tranquille des personnages ; leur passion sincère n'écrase jamais quiconque.
L'ample description de vingt années d'une vie est scindée en deux parties "Paradise garage" et "Lost in musique". Il ne s'agit pourtant nullement de décrire une ascension puis une chute. ll ne s'agit pas d'un regard surplombant exhalant le glorieux Paul sur une scène devant des milliers de personnes puis le regardant tomber dans la drogue. Sans exaltation, sans arrogance ni misérabilisme, le film indique bien deux époques distinctes mais pour la musique pas pour Paul qui (et certains le reprocheront au film) n'évolue jamais dans ce qui restera son unique monde, imperméable aux changements affectant la musique de son époque.
Les personnages possèdent tous une densité romanesque qui sert de contrepoint à la trajectoire de Paul, d'abord formé grâce à la musique, puis perdu en elle, devenu aveugle à l'évolution du monde. Personnage passionné, moral aussi bien dans ses amours que dans sa passion, il est d'une désarmante naïveté dans la vie réelle : il commande un pied de cochon dans la brasserie du même nom et non des huitres comme ses amis. Autour de lui, gravitent des femmes, qui l'aiment, toutes diverses qu'il n'a pas plus le temps d'aimer qu'il n'a de temps pour ses études. Elles s'accommodent avec plus ou moins de désintéressement à sa passion.
Une musique qui cogne dans un cocon qui se vide sans bruit
C’est tout un groupe qui sert de cocon à Paul : des producteurs de musique garage aux graphistes, des premiers flyers, des stars américaines de la house (Terry Hunter, Tony Humphries, Arnold Jarvis , La India jouent leur propre rôle). Positive, plutôt joyeuse, la house est une musique toujours en quête de la reconnaissance acquise par le rock ou le hip-hop. Elle navigue ainsi selon l'expression de Paul dans les locaux de FG radio “entre euphorie et nostalgie”
Les soirées sont ainsi filmées avec brio dans de lents panoramiques où se fondent les lumières de la piste et les mouvements des danseurs. Tout pareillement, la passion commune qui soude le groupe ne semble jamais être mise en péril par un événement interne, une trahison, seul le passage du temps, les séparations, la mort auront raison du groupe.
Cette recherche obstinée qui ne peut se satisfaire que d'une succession de nuits de fêtes n'aura qu'un temps. Tellement impliqués dans leur musique, tellement occupés à vivre de nuit, à vivre de drogue et si peu préoccupés de la gloire, les fêtes, allumés comme autant de petites lumières discrètes qui forment le générique du film, finissent par s'éteindre. Faute de n'avoir pu transcender son genre de musique, Paul devra retourner à une vie banale mais au moins aura-t-il participé au rythme du monde comme le rapelle, The Rhythm, le poeme de Robert Creeley.
Jean-Luc Lacuve le 25/11/2014
The Rhythm, le poeme de Robert Creeley.
It is all a rhythm,
from the shutting
door, to the window
opening,
the seasons, the sun's
light, the moon,
the oceans, the
growing of things,
the mind in men
personal, recurring
in them again,
thinking the end
is not the end, the
time returning,
themselves dead but
someone else coming.
If in death I am dead,
then in life also
dying, dying...
And the women cry and die.
The little children
grown only to old men.
The grass dries,
the force goes.
But is met by another
returning, oh not mine,
not mine, and
in turn dies.