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Naissance d'une nation

1915

Voir : photogrammes

(Birth of a Nation ou The clansman). Avec : Lillian Gish (Elsie Stoneman), Mae Marsh (Flora Cameron), Henry B. Walthall ("Le petit colonel", Ben Cameron), Miriam Cooper (Margaret Cameron), Mary Alden (Lydia Brown), Ralph Lewis (Austin Stoneman),Elmer Clifton(Phil Stoneman), George Siegmann (Silas Lynch), Walter Long (Gus), Robert Harron (Tod Stoneman), Wallace Reid (Jeff), Joseph Henabery (Abraham Lincoln). 3h10.

Partie 1 : Guerre civile des États-Unis

"Dans cette oeuvre nous eveillons les esprits aux ravages de la guerre. En espérant que cet efort n'aura pas été fait en vain et que la guerre reste une horreur". "Le transfert des Africains en Amériqueétant lapremière graine de la désunion". Les abolitionnistes duXIXe siecledemandant lalibération des esclaves". En 1860, un grand leader parlementaire, Austin Stonemann montait en pouvoir dans l'assemblée desrepresentants


Les fils Stoneman,  abolitionnistes, rendent visite à leurs amis, les Cameron, en Caroline du Sud, l'État représentatif du vieux Sud. Phil, le fils aîné de Stoneman, tombe amoureux de Margaret Cameron, et Ben Cameron idolâtre un portrait d'Elsie Stoneman.

Lorsque la guerre civile arrive, les jeunes hommes des deux familles s'enrôlent dans leurs armées respectives. Le jeune Stoneman et deux des frères Cameron sont tués au combat. Pendant ce temps, les femmes Cameron sont secourues par des soldats confédérés qui mettent en déroute une milice noire après une attaque contre la maison Cameron. Ben Cameron mène une charge finale héroïque au siège de Petersburg, gagnant le surnom de « le petit colonel », mais il est également blessé et capturé. Il est ensuite emmené dans un hôpital militaire de l'Union à Washington. Pendant son séjour à l'hôpital, on lui dit qu'il sera pendu. Toujours à l'hôpital, il rencontre Elsie Stoneman, dont il a gardé la photo; elle y travaille comme infirmière. Elsie emmène la mère de Cameron, qui s'était rendue à Washington pour s'occuper de son fils, voir Abraham Lincoln, et Mme Cameron persuade le président de pardonner à Ben. Lorsque Lincoln est assassiné au Ford's Theatre, sa politique conciliante d'après-guerre expire avec lui.

À la suite de la mort du président, Austin Stoneman et d'autres républicains radicaux sont déterminés à punir le Sud, employant les mesures sévères typiques de l'ère de la reconstruction.

Partie 2: Reconstruction
« Ce récit est une reconstitution historique de la Guerre de Sécession et de la Reconstruction, et n'a pas pour ambition de dépeindre une race ou un peuple quelconques d'aujourd'hui. »

Austin Stoneman et son protégé, Silas Lynch, un mulâtre, se rendent en Caroline du Sud pour observer de première main la mise en œuvre des politiques de reconstruction. Lors de l'élection, au cours de laquelle Lynch est élu lieutenant-gouverneur, des Noirs sont observés en train de bourrer les urnes, tandis que de nombreux Blancs se voient refuser le vote. Les membres nouvellement élus, pour la plupart noirs, de la législature de Caroline du Sud ont des comportements grossiers, enlevant leurs chaussures et posant leurs  pieds sur les bureaux, buvant de l'alcool et mangeant du poulet frit.

Pendant ce temps, inspiré par l'observation d'enfants blancs prétendant être des fantômes pour effrayer les enfants noirs, Ben riposte en formant le Ku Klux Klan. En conséquence, Elsie rompt sa relation avec Ben. Plus tard, Flora Cameron part seule dans les bois pour aller chercher de l'eau et est suivie de Gus, un affranchi et soldat devenu capitaine. Il lui dit qu'il désire se marier. Elle le rejette, mais Gus n’a que faire de son refus. Effrayée, elle s'enfuit dans la forêt, poursuivie par Gus. Piégée devant un précipice, Flora avertit Gus qu'elle sautera s'il s'approche. Quand il le fait, elle saute. Après avoir couru à travers la forêt à sa recherche, Ben l'a vue sauter; il la tient dans ses bras alors qu'elle meurt, puis ramène son corps à la maison des Cameron. En réponse, le Klan traque Gus, le juge, le déclare coupable et le lynche.

Lynch ordonne alors une répression contre le Klan après avoir découvert le meurtre de Gus. Il obtient également l'adoption d'une législation autorisant les mariages mixtes. Le Dr Cameron est arrêté pour possession des insignes du Klan de Ben, désormais considérés comme un crime capital. Il est sauvé par Phil Stoneman et quelques-uns de ses serviteurs noirs. Ensemble avec Margaret Cameron, ils fuient. Lorsque leur chariot tombe en panne, ils se frayent un chemin à travers les bois jusqu'à une petite hutte qui abrite deux anciens soldats sympathiques de l'Union qui acceptent de les cacher. Un intertitre déclare: "Les anciens ennemis du Nord et du Sud sont à nouveau unis dans la défense commune de leur droit d'aînesse aryen."

Stoneman part pour éviter d'être lié à la répression du lieutenant-gouverneur Lynch. Elsie, apprenant l'arrestation du Dr Cameron, se rend à Lynch pour plaider sa libération. Lynch, qui convoitait Elsie, essaie de la forcer à l'épouser, ce qui la fait s'évanouir. Stoneman revient, obligeant Elsie à être placée dans une autre pièce. Au début, Stoneman est heureux quand Lynch lui dit qu'il veut épouser une femme blanche, mais il est ensuite en colère quand Lynch lui dit que c'est sa propre fille qu'il souhaite épouser et contre sa volonté.

Des espions infiltrés du Klan vont chercher de l'aide lorsqu'ils découvrent le sort d'Elsie après qu'elle ait cassé une fenêtre et crié à l'aide. Elsie retombe inconsciente et avant de se découvrir bâillonnée et ligotée.

Le Klan s'est réuni, avec Ben à leur tête, pour prendre le contrôle de la ville. Lorsque des nouvelles d'Elsie parviennent à Ben, lui et d'autres vont à son secours. Elsie se libère du baillon et crie à l'aide. Lynch est capturé. Victorieux, les membres du Klan font la fête dans les rues.

Pendant ce temps, la milice de Lynch encercle et attaque la hutte où se cachent les Cameron. Les hommes du Klan, avec Ben à leur tête, se précipitent pour les sauver, juste à temps. Le jour des élections suivant, les Noirs trouvent les hommes du Klan armés et à cheval juste devant leurs maisons et sont intimidés pour ne pas voter.

C’est alors qu'un double mariage peut est célébré. Margaret Cameron épouse Phil Stoneman et Elsie Stoneman épouse Ben Cameron.

Les masses sont représentées opprimées par une figure guerrière géante qui s'efface progressivement. La scène passe à un autre groupe trouvant la paix sous l'image de Jésus-Christ. L'avant-dernier titre est : "Oserons-nous rêver d'un jour doré où la guerre bestiale ne régnera plus. Mais à la place, le doux prince dans la salle de l'amour fraternel dans la ville de la paix."

Analyse de Jacques Lourcelles :
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Première épopée américaine, premier film de très long métrage tourné aux Etats-Unis, Naissance d'une Nation est considéré par la plupart des historiens comme une date capitale dans l'évolution du spectacle cinématographique auquel il donna ses lettres de noblesse.

Cela grâce à l'originalité et à la richesse de ses procédés narratifs, au contrôle esthétique que le metteur en scène exerça personnellement sur une matière très vaste, grâce aussi -élément non négligeable- au succès colossal que le film remporta.

En tant que facteur déterminant pour la reconnaissance mondiale des mérites du long métrage, nous pensons que Cabiria, tourné un an avant Naissance d'une nation joua un rôle plus décisif. Mais c'est en tant qu'œuvre artistique que l'apport et la prééminence de Naissance d'une nation sont incontestables et incontestés.

Sur le plan matériel l'habileté de Griffith fut assez grande pour parvenir à donner l'illusion que ce film aux moyens certes importants était une immense superproduction. Après de nombreuses semaines de répétitions, le tournage proprement dit dura neuf semaine (à partir du 4 juillet 1914) et on sait aujourd'hui que le nombre de figurants ne dépassa pas les 500 (Griffith parla à l'époque de la sortie de 30 à 35 000). Le budget passa de 40 000 à 110 000 dollars dans une atmosphère de coups de poker et de scepticisme extérieur. Artisanale dans sa conception, son financement et sa réalisation, l'entreprise de Naissance d'une Nation sera par contre hautement professionnelle dans son lancement, sa publicité et sa sortie. Rappelons que le film rapporta plusieurs dizaines de millions de dollars et que le scandale (tout à fait compréhensible) qu'il causa servit beaucoup sa carrière.

Sa principale originalité esthétique tient dans sa tentative d'imbrication permanente de l'histoire individuelle et de l'histoire collective. Tous les collaborateurs de Griffith ont rapporté à quel point celui-ci s'était littéralement imbibé d'ouvrages, de documents, de photos concernant cette époque de l'histoire américaine. Montrant des personanges significatifs et représentatifs créés par le scénario (Austin Stoneman, équivalent de Thaddeus Stevens) ou bien de véritables héros historiques (Lincoln, Lee, Grant, etc) interprétés dans un esprit de fidélité absolue, entrecoupant l'action proprement dite de "tableaux d'histoire" reconstitués avec le maximum de véracité (signature par Lincoln de la levée de 75 000 volontaires, reddition de Lee à Grant, assassinat de Lincoln au Théâtre Ford, etc.) Griffith gagne parfaitement son pari durant toute la première partie du film (qui s'achève avec le séjour de Ben Cameron à l'hôpital).

Puis dans la deuxième partie, qui traite de la reconstruction et des conflits raciaux ayant lieu dans le Sud, la substance même du film se transforme : il ne s'agit plus d'histoire, individuelle ou collective, mais d'une sorte de rêverie paranoïaque et idyllique en même temps sur l'unité de l'Amérique, rêverie développée visuellement à partir du noyau privilégié et adoré que constitue le Sud lui-même, la Caroline du Sud, la ville de Piedmont, la rue où se trouve la maison des Cameron, cette maison elle-même et enfin le hall de cette maison qui ont dans l'image une importance quantitative démesurée, à cause du nombre des répétitions de plans qui s'y déroulent et les valorisent comme un leitmotiv de plus en plus obsessionnel.

L'union du nord et du sud est scellée dans le film à partir du rejet d'éléments considérés comme étrangers à l'identité américaine, à savoir les Noirs. Les Noirs, interprétés dans leur majorité par des Blancs grimés, représentent dans l'économie idéologique du film (en retirant au mot idéologie toute valeur scientifique ou historique) leur propre race, mais aussi et plus largement tous les éléments susceptibles de pervertir de l'extérieur l'unité et l'identité américaines. Le contenu politique de cette partie sera considéré, selon qu'on le prend plus ou moins au sérieux, comme nuisible ou comme nul, voire même comme absurde, étant donné l'évolution réelle de l'histoire des Etats-Unis.

Mais c'est aussi dans cette deuxième partie que l'artiste Griffith se révèle le plus brillant et le plus personnel. C'est tout spécialement dans cet emballement, dans cet affolement de l'action au cours du dernier tiers du film, basé d'une part sur un montage strictement parallèle des actions mais aussi sur l'écartèlement triangulaire de séquences situées dans des lieux différents, basé d'autre part sur l'exploitation lyrique et maximale de certaines conventions du mélodrame que Naissance d'une nation triomphe en tant que spectacle dramatique et en tant qu'œuvre d'art. A la fin, quand la chevauchée, plastiquement sublime, du Klan a vaincu le péril des aventuriers noirs disséminés dans la ville, a libéré Elsie des mains de ses bourreaux, a mis fin au siège subi par les Cameron dans leur cabane, la narration aboutit à une admirable fusion spatio-temporelle de toutes ses composantes jusque là tristement et dramatiquement séparées. Elle aboutit aussi à une apothéose lyrique où le public, par sa participation émotionnelle, est devenu partie intégrante de l'œuvre.


Bibliographie : Avant-scène n°193-194 (1977) 1 599 plans en comptant les intertitres en français ou en anglais
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Jacques Lourcelles

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