Cabiria

1914

Genre : Peplum

Avec : Carolina Catena (Cabiria enfant), Lidia Quaranta (Cabiria), Gina Marangoni (Croessa, la nurse), Dante Testa (Karthalo, le grand prêtre), Umberto Mozzato (Fulvio 'Fulvius' Axilla), Bartolomeo Pagano (Maciste, l'esclave d'Axilla's), Emilio Vardannes (Hannibal). 2h28.

Cabiria, "née du feu ", jeune grecque de Catane en Sicile, rescapée d'une éruption de l'Etna, est enlevée avec sa nourrice, Croessa, par des pirates carthaginois. Sur un marché d'esclaves, elle est achetée par Karthalo, le grand prêtre de Baal, pour être sacrifiée au dieu Moloch. La nourrice parvient à alerter un jeune patricien romain, Fluvio Axilia, espion de Rome à Carthage qui dépêche son serviteur, le bon géant noir Maciste, afin de délivrer l'enfant.

Pendant qu'Annibal traverse les Alpes, Cabiria est recueillie par la reine de Numidie, Sophonisbe, fille d’Asdrubale, mais Maciste est enchaîné et réduit en esclavage.

Les années passent. Cabiria est devenue une belle jeune fille, suivante de Sophonisbe.

Bien que la flotte romaine ait été en partie détruite à Syracuse, Scipion entre à Carthage. Sophonisbe se suicide. Cabiria, après bien des péripéties, parvient à délivrer Maciste et Fluvio Axilia, qui tombe amoureux d'elle. Tous trois regagnent Rome, où Cabiria retrouvet ses parents, qui n'étaient pas morts dans la destruction de Catane et connait enfin le bonheur dans les bras de Fluvio, sous le regard débonnaire de Maciste.

Inspiré de Carthage en flammes (1908) du très populaire Emilio Salgari, Cabiria est la plus célèbre des superproductions italiennes des années 1910. Son coût exorbitant (1,25 millions de lires-or), sa durée (quelques 20 000 mètres de pellicule furent impressionnés, et seulement 4.500 m conservés lors du montage d''une durée originale de 4h10), ses immenses et somptueux décors, les impressionnants effets spéciaux réalisés par Segundo de Chomón, la participation de collaborateurs prestigieux tels que Gabriele D’Annunzio pour les intertitres ou Ildebrando Pizzetti pour la musique, l’utilisation novatrice du travelling mis au point spécialement pour l’occasion, la modernité indéniable de la mise en scène de Pastrone qui anime superbement chaque plan : tous ces atouts font de Cabiria le couronnement, mais aussi le chant du cygne d’un genre que les italiens appellent kolossal.

Chef d'oeuvre et chant du cygne du peplum

Cette vaste fresque retrace la deuxième Guerre punique et montre Hannibal franchissant les Alpes avec ses éléphants (-218), Archimède défendant Syracuse avec ses miroirs ardents (-212), l'épisode dramatique de Masinissa et Sophonisbé, le siège de Cirta (-203) et s'achevait avec la victoire de Scipion l'Africain à Zama (automne -202). Seize années de guerre condensées en une narration serrée.

Sur cette vaste toile de fond se surimpressionnait une histoire d'amour qui n'était pas sans faire songer au roman d'Emilio Salgari, Carthage en Flammes (1908) ni sans évoquer le Quo Vadis ? de Enrico Guazzoni (1913) : Maciste tenant un rôle de géant protecteur de l'héroïne promise au sacrifice suprême, ce qui le rendait assez semblable à Ursus.

Son scénario terminé, Pastrone s'était mis en rapport avec Gabrielle d'Annunzio, alors réfugié à Paris, afin de le lui soumettre, de lui demander de le parfaire et de le signer. Poète et dramaturge, mais aussi nationaliste fervent et héros d'aviation, à 53 ans, G. d'Annunzio (l'homme qui en 1919 à la tête des Arditi - ses partisans qu'il avait organisés en corps franc - reconquerra Fiume pour la rendre à la couronne italienne) était harcelé par ses créanciers.

Dans des déclarations faites en octobre 1949, Pastrone raconte que d'Annunzio se contenta de signer chacune des 30 pages du scénario, sans les relire, ce qui ne devait pas l'empêcher d'en revendiquer la paternité. "D'Annunzio m'accueillit - raconte Pastrone - et daigna m'écouter. Il me dit : "Il est écrit dans le Livre de Job : Le nombre des imbéciles est incommensurable. Mais de toute évidence nous n'appartenons pas à cette catégorie, ni vous, ni moi. Combien me donnez-vous pour signer votre film ?". Nous avons discuté. Je lui ai donné 50.000 francs. Je devais lui en donner autant par la suite pour qu'il me laisse tranquille."

Moyennant une copieuse rétribution, donc, Gabriele d'Annunzio, avait accepté de signer de son nom le scénario de Pastrone. "De quoi acheter de la viande rouge pour mes chiens", susurrera-t-il après coup, ce qui ne l'avait point empêché de déclarer à l'époque au Corriere della Serra : "Une firme turinoise, dirigée par un homme cultivé et énergique, doué d'un extraordinaire instinct plastique, prépare un essai d'art populaire d'après un sujet inédit que je lui ai fourni."

Quoi qu'il en fut, il semble que les noms des héros, Cabiria et Maciste, furent inventés par d'Annunzio et que le poète rédigea des intertitres du film. Emphatiques parfois, ils gardent néanmoins une certaine tenue poétique et l’envoûtante Sinfonia del fuoco de Pizzetti, pour baryton, choeur et orchestre, contribue au fort impact de la grande scène du sacrifice au dieu Moloch. Cet épisode, caractérisé par un usage virtuose des inserts (gros plan de la main du prêtre, poing fermé, qui s’ouvre lentement) et un formidable travail sur la photo en clair-obscur rehaussée de virages de couleurs, est indiscutablement un des points d’orgues du film.

Deux ans après l’annexion de la Libye, la romanité est glorifiée mais l'aspect nationaliste est finalement peu accentué, moins en tous cas que ne le laisserait penser la présence au générique du nom de D’Annunzio et la proximité thématique avec un autre film sur les guerres Puniques, réalisé en 1937 par Carmine Gallone : Scipion l’africain. Si ce dernier est entièrement phagocyté par le message idéologique, il n’en va pas de même pour le film de Pastrone.

La conquête de l'espace

Pastrone, qui réalisa le film sous le pseudonyme de Piero Foscoinnova, innova constamment durant le tournage de cette superproduction qui, pour reprendre l'expression des historiens du cinéma, "consacra la conquête de l'espace par le cinéma", en imposant définitivement le décor construit et en bannissant les trompe-l'œil, afin que la profondeur - la troisième dimension - fut perceptible par le spectateur.

Les décors de studio, construits sur le terrain de l’Itala Film, le long de la Dora à Turin à mi-chemin entre l’exactitude historique et la fantaisie la plus échevelée, étonnent. Mais les vastes extérieurs (falaises en bord de mer, désert de sable, pics alpins) ne sont pas moins impressionnants, d’autant que la profondeur de champ est magistralement utilisée.

La composition de l’image, très élaborée, vise toujours à introduire du mouvement, même quand la caméra est fixe. Pastrone usa systématiquement de la lumière artificielle des réflecteurs pour créer des effets et non pas tant pour suppléer à la lumière solaire. Mais ce sont les nombreux déplacements sur rails (latéraux, mais aussi avant-arrière, ou les deux combinés) qui confèrent à Cabiria un pouvoir de fascination presque hypnotique. Pastrone fit à cette occasion breveter un nouveau dispositif dont il a été l'inventeur : le carello, mieux connu aujourd'hui sous le nom de travelling .

Les nombreux personnages secondaires sont caractérisés fermement mais sans excès par des acteurs au métier solide tels que Vitale di Stefano en Massinissa. Côté protagonistes, Lidia Quaranta en Cabiria et Umberto Mozzato en Fulvio Axilla sont aisément éclipsés par deux bêtes de scène qui crèvent l’écran : la diva Italia Almirante Manzini en Sophonisbe, parangon de femme fatale identifiée d’emblée à la panthère qui l’accompagne, et Bartolomeo Pagano, ex-docker du port de Gênes, qui allait faire du bon géant Maciste, héros de nombreux films entre 1915 et 1927, une figure d’identification extrêmement populaire.

Film capital de l'histoire du cinéma, sorti à la veille de la Grande Guerre, Cabiria connu partout un succès considérable. Cabiria fut l'apogée du cinéma italien à grand spectacle et son influence sur D.W. Griffith évidente. Il semble établi que le metteur en scène américain fit l'acquisition d'une copie du film de Pastrone pour en étudier la technique. Les décors de studio, à mi-chemin entre l’exactitude historique et la fantaisie la plus échevelée du film se retrouveront presque à l’identique, dans l’épisode babylonien d’Intolerance.

source : http://www.peplums.info/pep11a.htm