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Upstream

1927

Avec : Earle Foxe (Eric Brasingham), Nancy Nash (Gertie Ryan), Grant Withers (Juan Rodriguez), Lydia Yeamans Titus (Miss Hattie Breckenbridge Peyton), Raymond Hitchcock (Le pensionnaire vedette), Emile Chautard (Campbell-Mandare), Ted McNamara et Sammy Cohen (Callahan et Callahan). 1h00.

Juan Rodriguez est le pseudonyme sous lequel un romantique jeune homme exécute son numéro de lanceur de couteaux espagnol. Juan est mécontent de surprendre sa partenaire, la jolie Gertie, en train de flirter avec Eric Brasingham, rejeton d'une célèbre famille d'acteurs aussi peu doué qu'infatué de lui-même. Juan a engagé Eric sur son seul nom de famille qui fait venir les spectateurs mais il est bien prêt de se battre avec son nouveau partenaire tant la prétention de celui-ci l'indispose.

L'appel pour le diner met fin à la dispute. Les trois jeunes gens se trouvent en effet dans une pension pour acteurs tenue par une ancienne actrice, miss Hattie Breckenbridge Peyton qui essaie tant bien que mal de récupérer ses loyers auprès d'acteurs désargentés. Il y a Campbell-Mandare, un acteur de tragédie de 70 ans, un charlatan ambulant, une mère et sa fille qui font un numéro de deux sœurs, un pensionnaire vedette encore pas trop désargenté, une actrice spécialisée dans l'interprétation des soubrettes et les Callahan et Callahan, duettistes qui font trembler le plafond de la salle à manger quand ils s'entrainent.

Le repas est chamboulé par la visite inattendue et inespérée d'un imprésario, Al Forest. Le pensionnaire vedette quitte la table et va à sa rencontre prêt à tout pour obtenir un contrat. Forest reste insensible à ses attentions serviles et lui annonce que c'est Brasingham qu'il est venu voir. Londres réclame un représentant de cette grande famille d'acteurs pour jouer Hamlet. Qu'importe qu'Eric joue mal, l'important est le nom qu'il porte. Brasingham apprécie son propre profil dans la glace et, toujours aussi infatué de lui-même, se lance dans une tirade qui suscite le rire général.

Gertie s'en prend à Juan lorsqu'il ironise sur le départ de Brasingham, lui enviant son engagement. Elle est surtout emplie d'espoir quand Brasingham lui annonce qu'il a quelque chose d'important à lui demander. Brasingham est interrompu par Campbell-Mandare qui lui propose de lui donner un cours d'interprétation. Après cette répétition, tous les pensionnaires applaudissent Brasingham. Juan, de son côté a décidé de remplacer Brasingham par le domestique noir de la pension. Mais Gertie, confiante dans la promesse de Brasingham lui annonce qu'elle le quitte pour suivre celui-ci à Londres. Juan reçoit le coup de grâce quand le domestique noir, effrayé par le rôle qu'il doit jouer, l'abandonne à son tour.

Brasingham se prépare à partir pour Londres non sans oublier de demander à Gertie... un prêt de 50 dollars. Gertie masque sa cruelle déception et donne l'argent demandé pendant que les pensionnaires sont aux petits soins pour Brasingham. Campbell-Mandare lui dit ainsi "Go upstream to success ! Wear humbly the regal laurel of genius ! (Remontez le courant vers le succès ! Portez humblement les lauriers du génie !)"

Gertie fait contre mauvaise fortune bon cœur et reprend son numéro avec Juan. Après trois mois, elle n'a aucune nouvelle de Brasingham, mais prie pour son succès.

A Londres, Brasingham a bien répété son rôle et, se souvenant des conseils de Campbell-Mandare, triomphe dans Hamlet. Il est même félicité par les occupants de la loge royale.

A New York, les pensionnaires vivent difficilement et vont souvent au mont de piété pour survivre. Juan annonce à tous le succès de Brasingham qu'il a lu dans le journal. Celui-ci les a négligés comme il néglige ses fans anglais. Campbell-Mandare retrouve néanmoins confiance dans son savoir.

C'est l'automne et tous se retrouvent à la pension après leur tournée d'été dont chacun cache qu'elle fut difficile. Le pensionnaire vedette conseille à Juan, qui est l'un des seuls artistes à gagner correctement sa vie, de faire sa demande en mariage auprès de Gertie. Celle-ci accepte immédiatement... à la grande joie de tous les pensionnaires.

Brasingham est de retour à New York. Pour soigner sa publicité, son imprésario lui conseille de convier les journalistes dans son ancienne pension pour montrer le chemin parcouru. Il arrive le jour du mariage et survient juste après la cérémonie au moment où le photographe prend la photo des pensionnaires autour des mariés. Brasingham n'a pas changé et croit que c'est lui que l'on a pris en photo.

Gertie est émue par son retour et monte dans sa chambre, bientôt suivie par le célèbre acteur. Dans le salon, le pensionnaire vedette fait son discours aux jeunes mariés. Quand Juan s'aperçoit que Gertie ne descend pas, il monte dans la chambre et surprend Brasingham essayant de séduire Gertie. Il le conduit manu-militari vers l'escalier qu'il lui fait dévaler d'un coup de pied. De son côté, Campbell-Mandare, scandalisé par le mépris du théâtre de l'acteur qu'il espérait avoir formé prévient les journalistes dehors qu'ils vont bientôt avoir à filmer la sortie de Brasingham. Après avoir été jeté dehors par Juan et Campbell-Mandare, Brasingham ne se démonte pas et présente son meilleur profil, toujours avidement filmé par les cameramen

Sur un scénario qui aurait pu être celui d'un mélodrame ou d'une comédie sentimentale, John Ford brode une comédie burlesque qui, mieux sans doute qu'un drame, rend compte de la difficile vie d'artiste.

Une comédie burlesque

Le carton initial donne le ton : "Si la vie en général est une pièce de théâtre, la vie dans une pension pour artistes doit être un spectacle burlesque". Même ironie dans la présentation des personnages principaux "Juan Rodriguez, un jeune et romantique lanceur de couteaux espagnol, né dans l'Iowa sous le nom de John Rogers" et "Eric Brasingham, le dernier et le moindre, d'une famille d'acteurs". Mais ce qui définit mieux que tout la tonalité burlesque du film, plus encore que l'insistance sur les travers de chacun, c'est de faire du personnage principal, un incorrigible fat. Earle Foxe est bien davantage que Grant Withers, le centre du film. le premier à descendre manger, le seul à se désintéresser de l'art théâtral au profit de sa seule gloire, obsédé par son profil, insensible aux coups de bâtons (à la fin) qu'aux hommages (la rose d'une fan dédaignée), il échappe à toute finesse psychologique et sert de repoussoir aux autres.

La cruauté de la vie d'artiste n'en est pas moins traitée. Les acteurs sans contrat doivent payer d'avance. Le porte cure-dent en forme de crâne qui inspire à Campbell-Mandare un début de réplique d'Hamlet "Pauvre Yorick..." est immédiatement interrompu par Brasingham par un "pauvres de nous". Les voyages au mont de piété et les mises aux enchères sont le lot commun des artistes. La gloire enfin ne frappe pas à la porte des plus méritants.

Teintée de romantisme plus que d'expressionnisme

Entre 1922 et 1931, Ford travaille pour la Fox dont il est l'un des plus brillants réalisateurs. En 1927, l'arrivé de Murnau influence tous les réalisateurs de la Fox et Ford restera marqué par l'expressionnisme du maitre allemand comme en témoigneront Le Mouchard (1935), Je n'ai pas tué Lincoln (1936) ou Dieu est mort (1947). Néanmoins Upstream, réalisé probablement au début de l'année 1927 (car muet, sans utilisation du procédé Movietone), ne porte encore aucune trace d'expressionnisme. Même la répétition d'Hamlet ou la rapide séquence montrée sur une scène anglaise sont d'une tonalité romantique. Il en est de même du traitement du personnage féminin, interprété avec grâce et mystère par Nancy Nash.

Jusqu'en 2009, on a cru le film perdu. Cette année là, les Archives du film de Nouvelle-Zélande appellent l'Académie américaine des arts et des sciences du cinéma pour venir identifier soixante-quinze films miraculeusement retrouvés au fond d'une malle dans le grenier d'un petit-fils de projectionniste. Dans le lot on reconnait Upstream.

Le film est diffusé par Patrick Brion dans son Cinéma de minuit le 22 juillet 2012 dans la version hélas teintée de vert, de bleu et de jaune et accompagné d'une bande-son inutile mais néanmoins passe partout qu'il est toujours possible de supprimer (rappelons notre engagement contre le respect servile des conditions de projections de l'époque du film : libérons les films muets de contraintes commerciales qui n'ont plus lieu d'être et qui gâchent le rythme du film -la musique- et ses thématiques -les teintes "symboliques"-).

Jean-Luc Lacuve le 24/07/2012.

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