Impitoyable

1992

Voir : photogrammes
Genre : Western

(Unforgiven). Avec : Clint Eastwood (William Munny), Morgan Freeman (Ned Logan), Gene Hackman (Little Bill Dagget), Richard Harris (English Bob), Jaimz Woolvett (le Kid de Shofield). 2h10.

Le Wyoming en 1880. Deux cow-boys juvéniles défigurent une prostituée de la petite ville de Big Whiskey, lors d'une relation sexuelle qui tourne mal. Le shérif Little Bill Dagget ne les contraint qu'à payer une amende, et ce au propriétaire de l'établissement, commercialement lésé. Face à cette injustice, les filles de joie se cotisent et offrent, rancunières, une prime de 1000 dollars à qui abattra les deux coupables. Cette prime attire le Kid de Schofield qui se prétend tireur hors pair ayant déjà exécuté cinq hommes.

Le jeune fanfaron propose à William Munny de l'accompagner dans sa chasse à l'homme. Ce vétéran de l'Ouest, fort d'une réputation de tueur impitoyable, tueur notoire de femmes et d'enfants, est aujourd'hui à la retraite dans une petite ferme où il élève seul ses deux enfants depuis la mort de sa femme. Décédée trois ans plus tôt, elle a fait promettre à Munny de devenir sobre et d'éradiquer sa cruauté légendaire. Mais la vie de fermier n'est pas facile et la fièvre décime les cochons, si bien que nourrir ses enfants décemment relève de plus en plus de la gageure. Munny, bien que terriblement rouillé au tir, part avec le Kid de Schofield, s'adjoint Ned Logan, fidèle ami et compagnon et se dirige vers Big Whiskey et les dollars de récompense.

Dans le même temps, la prime attire English Bob, redoutable chasseur à prime, qu'un scribouillard peureux et crédule, Beauchamp, accompagne en tant que biographe. A son arrivée, il est passé à tabac par Little Bill qui l'emprisonne. Impressionné, Beauchamp se met au service du shérif et entreprend l'immortalisation de ses prétendus exploits.

Munny, Ned et Le kid arrivent en ville. Ned et Le kid vont voir les filles de joie qui les ont engagés alors que Munny, fiévreux, reste au bar. Il est alors pris à partie par Litlle Bob qui lui fait subir le même sort qu'à English Bob.

Munny est soigné par ses deux compagnons et l'aide des prostituées à l'écart de la ville. Le trio se remet en chasse et, à la faveur d'une embuscade, descend le premier des deux cow-boys, le moins coupable des deux, le vouant par leur maladresse à une insoutenable et interminable agonie.

Ecœuré par ce spectacle qui le ramène quinze ans en arrière, Ned renonce à la prime et quitte le groupe pour rejoindre sagement sa femme. Mal lui en prend puisqu'à peine chevauche-t-il seul qu'il est capturé par les hommes du shérif qui pratiquent, sous la direction de Little Bill, un interrogatoire au fouet.

Ignorant tout du malheur de leur ami, Munny et Le Kid continuent leur traque. Dans un ranch en dehors de la ville, le kid profite d'un moment où sa victime est aux toilettes pour l'abattre à bout portant. Leur mission accomplie, les deux hommes voient s'approcher l'une des prostituées avec les 1000 dollars de récompense. Elle leur apprend la mort injuste de Ned, fouetté jusqu'à n'en plus pouvoir supporter la douleur. C'en est trop pour Le Kid. Il refuse finalement sa part d'argent, choqué par son acte. Il n'imaginait pas qu'il était aussi traumatisant d'ôter la vie à un homme : le jeune tueur n'avait en fait jamais tué. Il décide de s'en retourner vers une activité plus paisible dans les terres de son père. Munny se dirige donc seul vers la ville pour venger son ami.

Sous une pluie battante, il entre au crépuscule dans la ville. Alors qu'il se dirige vers le saloon-bordel, il croise le cadavre de son ami, exposé au regard des autres et lacéré de part en part. Lorsqu'il entre dans l'établissement, tous les hommes de la communauté, du shérif à ses sous-fifres, jusqu'au tenancier malhonnête, sont réunis. Le tueur sanguinaire renaît alors dans le corps vieilli de William Munny. Tel un spectre invincible, il n'est pas touché par aucune des balles qui sifflent à ses oreilles alors que chacun de ses coups fait mouche. Le règlement de compte tourne au carnage. Quand Little Bob, à la merci de son bourreau, plaide son innocence, invoquant qu'il n'a pas mérité ça, Munny l'abat froidement. Après quoi, il repart vociférant ses commandements de moralité aux oreilles invisibles des habitants de Big Whiskey.

Rentré chez lui, Munny honore une dernière fois la tombe de sa femme avant de quitter avec ses enfants la campagne pour la ville, où, nous dit-on, il prospéra.

Le thème de la transmission, si cher à Clint Eastwood, est ici traité par l'absurde. En montrant toutes les difficultés à tuer et l'horreur de l'assassinat, Munny dégoûte à jamais Le kid de s'engager dans la même voie que lui. C'était aussi la conclusion à laquelle était arrivé Ned. Relaps, si l'on peut dire, celui-ci paiera de sa vie, terminée dans une torture christique, ce retour à la violence. Seule une protection mi-divine, mi-diabolique assure à William Munny une protection contre les balles qui auraient dû le tuer.

Munny a probablement ainsi définitivement payé ses mauvaises actions passées. La vie à la ferme, un paradis terrestre dégradé, n'était pas faite pour lui. Il ne s'agissait que d'un acte de contrition, accepté comme un hommage à sa femme. Munny sera récompensé de s'être confronté au monde. Il s'installera en ville où il profitera selon la morale puritaine protestante qui permet à l'homme de racheter sa faute par ses actions.

Eastwood donne raison aux prostituées d'avoir voulu se venger. Quant à ceux qui ont organisé un déni de justice, qu'ils prennent garde : la vengeance divine peut parfois tomber sur eux. Eastwood ne s'éloigne ainsi pas de la morale des Inspecteur Harry (1983) qui l'avait pourtant presque fait passer pour un cinéaste fasciste, prônant le contournement des institutions lorsqu'elles sont corrompues. Probablement, la décontextualisation sociale permise par le western rend plus acceptable ce message. Munny apparaît aussi bien moins arrogant et davantage meurtri dans sa chair que l'imperturbable Harry.

Eastwood transpose une dernière fois le thème de la justice biblique dans le western après les déjà très réussis Homme des hautes plaines (1973) et Pale Rider (1985). Dans ce western crépusculaire, il se désigne clairement comme l'héritier de John Ford. La discussion sur la tombe de la femme aimée disparue trop tôt évoque sans conteste La charge héroïque alors que les déformations des faits par les journalistes pour écrire la légende de l'ouest au mépris des remords des vétérans renvoie à la fin de Fort Apache ou à l'Homme qui tua Liberty Valance.

Jean-Luc Lacuve, le 15/05/2006

Source : résumé dans Eastwood, la boucle et le trait d'union de Nicolas Chemin, Dreamland éditeur, 2002.

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