1910. Ransom Stoddard et sa femme sont venus assister à l'enterrement de Tom Doniphon. Stoddard, devenu un homme politique éminent, raconte à un jeune journaliste sa jeunesse et son arrivée dans l'Ouest vongt ant plus tôt.
1889-90. La diligence de Ransom Stoddard est arrêtée par des bandits conduits par un certain Liberty Valance. Révolté, Stoddard est fouetté et humilié par Valance, et jure de faire arrêter Valance. En ville, celui-ci agit en toute impunité, car le shérif n'ose pas intervenir.
Tom Doniphon se prend de sympathie pour Stoddard et lui enseigne la loi de l'Ouest, celle du plus fort. Stoddard reconnaît qu'un colt est un argument convaincant dans ce pays, mais parallèlement, étant avocat, il ne renonce pas à la voie légale. Il organise les habitants de la ville, les laissant voter contre les grands propriétaires de bétail, dont Valance est l'homme de main.
Doniphon propose que Stoddard soit le délégué des habitants, avec le rédacteur en chef du journal, Peabody. Ce dernier est fouetté à mort par Valance. Ulcéré, Stoddard provoque Valance en duel. Contre toute attente, cest celui-ci qui est tué. Hallie, la fiancée de Tom, choisit finalement Ransom. Tom noie son chagrin dans l'alcool. Il révèle alors à Ransom qu'en fait c'est lui qui a tué Valance : il a tiré en même temps que Ransom !
Récoltant les lauriers de cet exploit, Ransom épousera Hallie et sera trois fois gouverneur de l'Etat avant de devenir sénateur. Doniphon restera dans l'ombre, seul et oublié.
Ransom et Hallie repartent non sans que cette dernière ne dépose un cactus en fleur sur le cercueil de Tom. Ransom déclare vouloir revenir terminer sa vie ici comme avocat. Hallie l'y encourage : "C'était sauvage autrefois aujourd'hui c'est un jardin. Tu n'en es pas fier ?". Mais Jason, le responsable du train, leur fait remarquer qu'il doivent cela à L'homme qui tua Liberty Valance.
Pour cette méditation sur le mythe et la réalité, l'histoire et la légende, le passage à l'époque moderne, Ford refuse la couleur et tourne entièrement en studio malgré la pression des producteurs. L'homme qui tua Liberty Valance est en effet une vision désenchantée et crépusculaire de l'Ouest américain. Mais il est aussi un testament moral de son auteur qui affirme la nécessité de la loi et, in fine du peuple, dans toutes ses composantes. Ce qui en 1962, en pleine lutte pour les droits civique, relève d'un engagement politique fort.
La fin du mythe de la frontière
Si Ford refuse la couleur et le lyrisme des grands espaces, c'est bien pour affirmer, comme déjà dans Les deux cavaliers (1961), qu'il n'est plus temps de raviver les légendes de l'Ouest d'autrefois. Le western et son thème de la frontière, que l'on repousse toujours plus à l'Ouest, ont servi à unifier le peuple américain dans ce grand mythe de la constitution de leur état, si nouveau.
Le directeur du Shinborne Star fait remarquer au sénateur Stoddard que "Nous sommes dans l'Ouest ici. Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende". Il refuse ainsi, in fine, de publier son récit démystificateur.
Mais l'on se méprend souvent sur l'attitude de Ford face à cette formule. John Ford, lui, montre la réalité. Il montre comment se fabrique l'idéologie. Il change ainsi d'attitude face aux justifications imaginaires de la réalité telles qu'il les assumait à la fin du Massacre de Fort Apache. Le personnage incarné par John Wayne exaltait les vertus de son prédécesseur, pourtant officier vaniteux et incompétent.
Ford ne condamne pas la légende qui, un temps fut nécessaire. Il en élargit le champ. Ainsi, une première version du duel s'en tient à un champ tronqué : Stoddard tirant sur Liberty Valance et celui-ci s'écroulant. La version réelle la complète en montrant la vraie mort du bandit et le coup de feu simultané de Doniphon. Ce procédé de mise en scène, l'image modifiée, est fréquent chez Ford (La prisonnière du désert, Les deux cavaliers) et prend toujours chez lui une dimension symbolique qui vise à faire sentir la différence entre la situation de départ et celle d'arrivée.
C'est sur ce crime fondateur que s'est construit le nouvel ordre de la civilisation : la mort de Liberty Valance qui devient, par un paradoxe uniquement apparent, la légitimation politique de Ransom Stoddard. Heureusement, le mensonge n'a plus lieu d'être et Ford propose à ses héros un rôle de passeur, aussi bien à Tom Doniphon qu'à Ransom Stoddard
De la violence à la loi
La région où le film se déroule n'est pas dévoilée, mais, par déduction, il s'agirait du Wyoming où, tout comme dans le film, des affrontements appelés "guerre du comté de Johnson" se sont déroulés entre la fin des années 1880 et le début des années 1890 entre des grands éleveurs, qui souhaitaient la préservation du statu quo du Wyoming en tant que territoire libre d’accès, et des petits colons cherchant à protéger leur nécessaire fourrage de l'hiver par des barbelés.
Liberty Valance c'est, presque phonétiquement, la violence en liberté, déchainée et sans entrave. Et l'avocat est celui qui restreint cette violence à la loi. Il est aidé par un autre homme de l’écrit, le journaliste Peabody. Les deux grands accès de violence de Liberty Valance sont déclenchés par des écrits. Dans la scène initiale, Ransom Stoddard roué de coup et laissé pour mort devant ses livres de loi déchirés et Dutton Peabody laissé pour mort également avec son journal dans la bouche.
Autre écrit la Constitution américaine, le texte majeur de la République. En 1962, en pleine lutte pour les droits civique, c'est Pompey, le serviteur Noir de Doniphon qui en fait état. Il bute cependant sur son affirmation initiale, « les hommes naissent libres et égaux en droits" comme si sachant à quel point cette déclaration n’est pas respectée. Et c'est Ransom Stoddard qui énonce la phrase que « l’on l'oublie trop souvent aujourd’hui" dit-il en forme de commentaire, comme une mise en garde aux racistes de tout bord.
Les hommes sont des passeurs
Tom Doniphon sert d’intermédiaire, de passeur, entre la violence et la loi. Sa maison est à l'extérieur de la ville mais à proximité quand même. La fleur qu'il offre à Hally est une fleur du désert cultivée, un cactus. Ramson dévalue sans le vouloir ce cadeau en évoquant la rose, fleur que ne connait pas Hallie. Mais il est lui-même un héros du passé . En reprenant le train, Stoddard ne peut s'empêcher de penser à ce qui se serait passé si on avait su quel était le véritable héros responsable de la mort de Liberty Valance : Tom Doniphon aurait sans doute épousé Hallie et serait devenu une figure légendaire du Far-West, alors que lui serait demeuré un petit avocat de province.
Lorsque le sympathique vieux Jason Tully, responsable du train, lui dit que rien n'est trop bon pour "l'homme qui tua Liberty Valance", Stoddard et sa femme semblent écrasés par cette fatalité. Il ne peut même plus allumer sa pipe. Il renonce à briguer la vice-présidence et, selon le souhait de sa femme, revient vers la terre qui a vu naitre leur amour et où elle a ses racines.
Le peuple à la parole
C'est en effet au peuple maintenant constitué que Ford, vieilli comme Stoddard laisse la parole dans un idéal de vie sans cesse régénéré si la loi veille. C'est l'indulgence pour Link Appleyard cherchant toujours, dans un comique à répétition très efficace à se défiler. Même indulgence pour l’alcoolisme de Peabody qui trouverait presque que c’est un abus de pouvoir de la démocratie d'interdire de servir de l'alcool au moment des élections.
Il ne s'agit plus de tromper le monde par des exploits qui n’ont plus court mais d'élargir la réflexion, mettre en perspective et, tant que faire se peut, laisser la parole au peuple américain dans toutes ses composantes : les noirs, les mexicains, la jeunesse aussi avec la fille du shérif. Fierté des émigrants, les parents suédois de Hallie, Nora et Peter Ericson d'appartenir aux Etats-Unis. Peter est très fier d'exhiber son certificat de nationalité américaine pour pouvoir voter pour son délégué. C'est dans cette pièce où se réunissent les votants que Liberty Valance perd de sa superbe où il n'est pas écouté malgré ses menaces. Le peuple, s'il sait se référer à la loi, a raison de la violence.
Ford enchainera avec une comédie, La taverne de l'Irlandais (1963), un dernier film épique sur les conditions tragiques faites aux Indiens, Les Cheyennes (1964) et un autre film mental, féministe, cette fois, Frontière chinoise (1966)... se réinventant ainsi sans cesse.
Jean-Luc Lacuve, le 15/05/2006.
Ressource internet : Youri Deschamps, Renaud Prigent : Fiche interactive Lycéens et apprentis au cinéma