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Dahomey

2024

Thème : art africain

Avec : Les intervenants de l’Université d’Abomey-Calavi, l’équipe des conservateurs et régisseurs de l’exposition, le commissaire de l’exposition Alain Godonou. 1h08.

9 Novembre 2021, vingt-six trésors royaux du Dahomey s’apprêtent à quitter Paris pour être rapatriés vers leur terre d’origine, devenue le Bénin. Avec plusieurs milliers d’autres, ces œuvres furent pillées lors de l’invasion des troupes coloniales françaises en 1892. Pour elles, 130 années de captivité touchent à leur fin.

Les caméras de surveillance du sous-sol du musée du quai Branly découvrent les couloirs vides menant aux réserves. Dans une pièce noire, s’élève une voix s'exprimant en langue fon: "Au plus loin que je puisse remonter, jamais une nuit n'a été si profonde et si opaque; ici elle est l’unique réel possible, le commencement et la fin. Nous sommes des milliers dans cette nuit. Nous portons tous et toutes les mêmes stigmates déraciné.e.s et arraché.e.s, butins d'un immense pillage".

Dans le musée, des manutentionnaires emballent avec précaution les statues, trônes et autres asens. La voix est celle de la statue homme-oiseau du roi Ghézo. Elle s'indigne de n'être reconnue que comme sur le numéro d’inventaire 26 et appelle ses congénères à rentrer chez eux ; "remontez à la surface, rentrez chez vous".

Alors qu'enfermée dans une caisse, la statue de Ghézo est embarquée dans l’avion, sa tête encore meurtrie par le bruit des chaines, elle se demande si elle sera reconnue dans son pays.

A Cotonou, des ouvriers impriment le journal la Nation où le retour des trésors royaux est triomphalement annoncé. L’accueil à l'aéroport et le trajet jusqu'au palais présidentiel de Cotonou sont suivis par une foule enthousiaste. La statue mise sur pied à Cotonou éprouve un sentiment étrange, si loin du pays qu’elle voyait dans ses rêves. Elle est émue par la caresse du vent tropical, l’odeur des fleurs et des plantes alors que les jardins du palais présidentiel sont arrosés la nuit par les employés du palais. Le conservateur du béninois constate l’état des trésors royaux, leur poids, les lacunes dans la couche picturale, les structures stables malgré des fissures. Les ouvriers manutentionnaires regardent ces statues qui trouvent leur place dans le musée, grande pièce rénovée et repeinte pour l’occasion.

Les officiels en tenue traditionnelle assistent à l’inauguration. Le président, Patrice Talon prononce son discours. Il se dit fier de respecter les standards d’une bonne conservation, conformes aux normes internationales, dit-il pour ce qui est revenu et qui sont garants de ce qui reviendra.

Les étudiants de l’université de l'Université d'Abomey-Calavi sont conviés à débattre sur le retour de ces trésors royaux. Leurs interventions sont retransmises à la radio. Un jeune homme déclare avoir été nourri des dessins animés de Walt Disney mais n’avoir rien vu basé sur son héritage, telle l’épopée du roi Béhanzin. Il n’a pas eu vent des œuvres qui leur appartiennent et qui ont été déportées. Peut-être 90 % du patrimoine matériel est à l'extérieur mais tout le patrimoine immatériel se trouve à l'intérieur du pays. Ils ont les moyens financiers et humains pour gérer ces œuvres.

Une étudiante remarque que les ancêtres du président Patrice Talon étaient les interprètes des français qui ont fait ce pillage.Aujourd’hui, le président intervient pour ramener une partie du trésor mais c’est très peu. Un autre intervient pour confirmer que le but est d’avoir de la notoriété auprès du public. Un autre va dans le même sens. Ce retour, c’est pour donner une bonne image de la France qui est en train de perdre du territoire, de perdre le pouvoir en Afrique. En fait, Macron ne le fait pas parce qu’on lui a demandé. Il le fait pour sa propre image mais cela va permettre aux historiens et aux artistes de se réapproprier cette histoire-là.

Une jeune femme proteste et demande à ce que l’on ne crache pas dans la soupe. On a peu certes mais il vaudrait mieux développer une technique pour récupérer les autres trésors aujourd’hui à l’étranger. Un jeune homme dit qu’il faudrait une révolution pour récupérer les quelque 7 000 œuvres à étranger tant que nous sommes vivants pour raconter notre histoire à nos enfants. Le droit à l'autodétermination n’a rien changé à ce vaste chantier qu'est l'histoire; il faut un nouveau commencement. Une jeune femme raconte que sa grand-mère lui parlait de Ghézo et Béhanzin quand elle avait trois ans. Elle s'est accrochée à ces noms d’hommes, de rois, pour ne pas oublier.

L’un exprime un besoin de réparations alors qu'un autre constate le parallèle entre ce retour et un mouvement d'afro-descendants qui reviennent sur le continent africain. Donc les objets rentrent chez eux petit à petit, tout comme les personnes. Il faut dire aux colonisateurs : allez dans vos musées locaux et apprenez qui vous êtes ; apprenons sur nous-même, apprenons sur notre histoire. Une jeune femme est en colère : "les colons nous ont rendus esclaves de notre propre langue. Notre culture a été apprise dans la langue française". Un autre remarque, on nous oblige à citer des philosophes étrangers et seulement ceux-là pour atteindre l'excellence".

Une autre remarque toutefois que les enfants des écoles ne pourront pas visiter le palais de la Marina pour se reconnecter à leur culture; il faut agir sur le pouvoir d'achat des classes populaires, sur l'éducation. Un autre remarque, le musée c'est une erreur. Ces trésors, à la base, sont dédiés au culte. Mais une jeune femme proteste, elle ne veut pas d'eouvre cultuelle, c'est de l'art. Le premier proteste  : les piller c'est piller l’âme des peuples et ici le vaudou, capacité à être fier de notre propre essence. Rendons leur vie qui a été volée.

Après que les visiteurs sont partis et les lumières du musée éteintes, la voix s'élève de nouveau: "encore cette nuit et je sens à l’extérieur l’océan atlantique, rivage de la blessure". Parvient-elle à se glisser et s'incarner sur le rivage puis dans la rue à la rencontre des habitants : "Je suis le visage de la métamorphose. Je me vois si nettement à travers vous. Le n°26 n’existe pas et moi je résonne à l'infini." 

Dahomey est moins un documentaire sur l'art fon qu'un film politique. Il se présente en deux parties et un épilogue, le tout en moins de 70 minutes. La première partie, poétique et grave, narre le voyage des 26 œuvres du "Trésor de Béhanzin" restitué par la France entre les réserves du Quai Branly et le musée de Cotonou au Bénin. Elle est racontée en voix off par l'esprit de Ghézo contenu dans sa statue.

La seconde partie, joyeuse, tendue et effervescente, est constituée des interrogations politiques des étudiants et étudiantes de l'Université d'Abomey-Calavi à propos de cette restitution. Sont interrogés le faible degré de restitution et qui, à Paris et à Cotonou, peuvent en être tenu pour responsables et pourquoi ; le statut d'oeuvres d'art dans un musée ou d'oeuvres tribales propres aux cultes vaudous; au delà de la dimension politique, qui appellerait sans doute à une révolution, quels changements économiques et sociaux sont nécessaires pour restituer toute sa fierté au peuple fon ?

Ces questions rejoignent pour partie celles de Chris Marker dans Les statues meurent aussi (Alain Resnais, 1953) ou du débat organisé dans Carnet de notes pour une orestie africaine (Pier Paolo Pasolini, 1970). La forme du débat au sein de l'oeuvre se retrouve aussi dans R.M.N (Cristian Mungiu, 2022) ou (Le mal n’existe pas, Ryusuke Hamagachi, 2023).

Carnet de notes pour une orestie africaine Le mal n’existe pas
 
R.M.N Dahomey

Mati Diop, par la forme poétique de sa photographie et de son montage, propose dans son épilogue sa propre réponse,au delà de l'importance muséale, à l'impact du retour des statues dans leur pays : libérée, l'âme de Ghézo s'incarne dans les gens qui peuplent la rue, la nuit.

L'âme des oeuvres d'art imprègne les peuples.

La voix de Ghézo est obtenue à partir d'un mixage de six voix enregistrées sur place par l'ingénieur du son. Ce mixage donne une tonalité fantastique et moderne à cette voix qui s'exprime off et, trois fois, sur un écran noir. Le sous-titrage en écriture inclusive renforce l'aspect moderne que Mati Diop veut donner à son engagement. Cette indistinction de genre est aussi assez logique puisque ce n'est pas tant Ghézo, le roi, qui s'exprime que la statue. La voix de Ghézo n'est ainsi pas celle du roi au règne contestable, un des pires négriers et asservisseurs des peuples voisins d'Afrique. La voix est celle de l'esprit de la statue aujourd'hui, s'interrogeant sur son rôle possible dans la république du Bénin actuelle.

Ce rôle est celui d'un fantôme du passé venu hanter le présent comme le suggèrent de nombreux plans depuis les couloirs vides des réserves du musée du quai Branly,  inquiétants car filmés en noir et blanc par les caméras de surveillance, toujours prêtes à réveler l'inattendu. Celui-ci se matérialise par la voix de l'esprit de Ghézo. On ne fera pas grief à Mati Diop de cette mis en scène qui ne respecte pas la réalité muséale de la statue, star de la collection du musée Branly et bien exposée avec celles de Glélé et Behanzin. Ici l'esprit de Ghézo est celui de toutes les oeuvres d'art africaines pillées qui sont, pour 95%, confinées dans les réserves des musées.

L'esprit de Ghézo, devenu celui de toutes celles restituées et pas seulement celui de la n°26 par laquelle on veut la cantonner, se trouve donc bientôt prêt à être embarqué pour Cotonou et s'interroge sur ce qu'il va retrouver dans son pays et comment il va être accueilli. Le trajet des caisses dans trois camions parcourant les routes de l'aéroport au palais de la Marina est l'occasion de réjouissances populaires et officielles avec le défilé des rois et reines des ex-petits royaumes d'avant la colonisation franco-anglaise du Bénin et du Nigéria. Mais Mati Diop s'attarde ensuite sur la pièce où sont toujours entreposées les caisses contenues dans les trois camions. Ghézo s'exprime derrière un rideau agité par le vent, nouveau signe de sa présence fantomatique. Il faut en effet deux mois pour que les œuvres d'art absorbent le choc thermique, ce qui est suggéré par le plan sur le climatiseur. L'esprit de Ghézo parcourt donc en pensée les jardin de la Marina donnant lieu aux superbes plans de plantes et fleurs filmées en fondus-enchaînés.

Une fois exposées derrière les vitrines ,les statues sont observées par les ouvriers et visiteurs. Le filmage derrière les vitrines suggère cependant plutôt un regard à l'intérieur de celles-ci; ce sont moins les spectateurs qui regardent que les statues qui regardent les visiteurs. Ces statues n'ont pas perdu leur pouvoir chamaniques; comment voir autrement ce plan à travers la vitrine, de l'enfant de dos qui commence à danser, comme saisi de l'esprit de la statue ?

La sortie fantastique

L'esprit de Ghézo, une fois les lumières du musées éteintes, s'échappe de la prison du palais. Il médite sur la déchirure que représente l'Océan Atlantique tout proche. L'océan l'éloigna de sa patrie pour les musées français ; l'océan dans lequel se noient ses concitoyens contemporains cherchant une vie meilleure en Europe. Mati Diop retrouve là la problématique d'Atlantique, son précédent film. Et, là encore, c'est l'esprit du disparu qui donne sa force aux vivants. Ghézo prend forme sur la plage et va en ville s'incarner dans chacun, lui redonnant la fierté d'un peuple à sa culture propre.

Si le film s'appuie ainsi sur une solide base documentaire, toute la mise en scène de Mati Diop suggère un éveil puis une libération de l'esprit des oeuvres d'art qui viennent s'incarner dans le peuple, lui insufflant sa culture propre.

Jean-Luc Lacuve, le 28 septembre 2024, après Le ciné-club au Café des Images

Histoire d'une restitution.

-1892 : Pillées dans le palais de Béhanzin, par les troupes coloniales françaises du général Alfred Dodds, 26 œuvres du « Trésor de Béhanzin » sont ensuite offertes au Musée d’Ethnographie du Trocadéro (aujourd’hui disparu) avant d’intégrer les collections du musée du quai Branly-Jacques Chirac en 2003.

Les langues Gbe et les statue Ghezo
(1818-1858)
Glélé
(1858-1889)
Béhanzin
(1889-1894)

- 2006 : une partie du Trésor du Béhanzin est présentée à Cotonou

- 2016 (août) : Le Bénin présente une demande officielle de restitution des 26 pièces pillées en 1892
- François Hollande rejette la demande.

- 2017 (28 novembre) : Emmanuel Macron annonce sa volonté de rendre une partie du patrimoine africain "pour être en mesure de reconstruire un imaginaire commun" dans son discours à Ouagadougou au Burkina Faso.

- 2018 (23 novembre) : Le Rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain "Vers une nouvelle éthique relationnelle" est remis à Emmanuel Macron

- 2020 (Le 17 décembre) : L'Assemblée nationale, sur demande la ministre de la culture Roselyne Bachelot vote la restitution des pièces grâce à la loi dérogatoire au code du patrimoine français; promulguée le 24 décembre

- 2021 : Exposition événement au musée du quai Branly-Jacques Chirac.

- 2021 (9 novembre) : est signé à l’Élysée l’acte de transfert de propriété de ces 26 biens à la République du Bénin par la République française. Le lendemain, les 26 œuvres arrivent à Cotonou dans un avion spécialement affrété par le gouvernement béninois et sont réceptionnées au palais de la Marina

- 2022 : Après deux mois sans ouverture des caisses pour éviter le choc thermique, s’ouvre l’exposition

- 2022 (27 juillet) : Emmanuel Macron visite l’exposition Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui, de la restitution à la révélation à Cotonou mais n’accorde pas la restitution de la fameuse sculpture du Dieu Gou.

Sources :

 

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