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L'inconnu de la Grande arche

2025

Cannes 2025 Avec : Claes Bang (Johan Otto von Spreckelsen), Sidse Babett Knudsen (Liv von Spreckelsen), Xavier Dolan (Jean-Louis Subilon), Swann Arlaud (Paul Andreu), Michel Fau (François Mitterrand), Alessandro Bressanello (Le marbrier), Micha Lescot (Leloup), Jean des Forêts (Alain Juppé), Cédric Appietto (Tavelli le grutier). 1h46.

1983, François Mitterrand annonce le gagnant du concours d'architecture international pour le projet phare de sa présidence : la Grande Arche de la Défense, dans l'axe du Louvre et de l'Arc de Triomphe ! A la surprise générale, c'est Otto von Spreckelsen, architecte danois, qui remporte le concours. Étrangement il n'a laissé qu'une adresse postale dans son dossier ainsi est-il impossible de lui signifier immédiatement sa victoire

Jean-Louis Subilon, haut fonctionnaire, directeur de la mission de coordination des grands projets d'architecture de la présidence se rend ainsi dans la campagne danoise pour trouver le lauréat du concours, qui passe son temps à la pêche dans un lac avec Liv, son épouse. Logé à Paris dans un hôtel de luxe, le couple savoure cette victoire inattendue. Liv a préparé le contrat et demandé 10% du coût des travaux pour rémunérer son mari, ce que celui-ci trouve extravagant.

Spreckelsen prend son petit déjeuner à l’Élysée avec Mitterrand qui veut voir avec des jumelles au petit matin la perspective de l’avenue des Champs-Élysées. Il veut que le reflet du bâtiment soit rose plutôt que bleu et demande à recommencer l’essai le soir même. Tavelli, venu de Marseille avec la seule grue capable de tendre une toile assez haute pour simuler le toit de l'Arche, exige 400 000 francs pour rester jusqu'au soir ce que Subilon se voit obligé d'accepter. L'essai se révélant concluant le contrat est signé selon les termes préparés par Liv.

L'architecte entend bâtir la Grande Arche telle qu’il l’a imaginée, mais a besoin d'un maître d'œuvre expérimenté. Sur le chantier de celui qu'on lui propose, Spreckelsen découvre un défaut de jointure entre les dalles du parvis, ce qui suffit à tenter même de discuter. C'est avec Paul Andreu, qui admire son projet et qui a réalisé le terminal de l'aéroport de Roissy que Spreckelsen accepte de travailler, même s'il aurait préféré un entrepreneur danois. Spreckelsen fait visiter à Paul Andreu les proportions parfaites de l’église qu'il a conçue de A à Z au Danemark. Andreu aimerait être l'architecte de la maîtrise d'œuvre mais Spreckelsen tient à être le seul architecte. Andreu se satisfait de la maîtrise d'œuvre.

Spreckelsen refuse de travailler avec un ordinateur et transmet ses idées à l'aide de dessins et de maquettes. Il veut une surface de verre uniforme pour les parois extérieures de la grande arche. Andreu objecte qu'il ferra trop chaud. Mitterrand lui conseille de voir Pei son architecte pour la pyramide du Louvre dont les travaux sont concomitants. Pei lui suggère l'utilisation du verre collé au silicone comme il l'a expérimenté pour  la John Hancock Tower de Boston. Mais une telle technologie est refusée par les normes de sécurité française. Spreckelsen veut aussi utiliser du marbre de Carrare et non un marbre plus quelconque. Jean-Louis Subilon s'étrangle devant le surcoût et Andreu accepte s'il est possible de traiter ce marbre qui risque de se détériorer avec le temps. Avec l'appui de Mitterrand qui vient visiter le chantier, Spreckelsen obtient gain de cause. Il laisse alors les rênes du chantier à Andreu et part en voiture pour Carrare afin de choisir le marbre.

Spreckelsen apprécie d'avoir choisi pour son cube la même carrière dont fut extrait le marbre pour la piéta de Michel-Ange. Il refuse les propositions de l'assistante du marbrier que son attitude a séduit mais il est appelé d'urgence en France. Dès son retour d'avion Jean-Louis Subilon lui explique que Mitterrand a perdu les législatives de mars 1986 et que s'est mis en place la cohabitation entre un président qui a perdu du pouvoir et un premier ministre, Jacques Chirac, chargé de rétablir les finances publiques.

Alain Juppé, ministre du budget, refuse tout financement public et met en demeure Jean-Louis Subilon et Andreu de trouver des financements privés. Andreu propose de surélever le cube de 15 étages,Spreckelsen refuse mais se voit obligé de renoncer à ses cubes latéraux pour sauver le grand cube. Mais pire encore, son marbre de Carrare est remplacé par un autre beaucoup moins cher. Il s'emporte contre Andrieu mais surtout Liv qu'il accuse de le trahir. Il tente de voir Mitterrand mais celui-ci est parti au Venezuela. Après avoir fait un sitting sur la cour de l’Élysée, il est renvoyé chez lui. Là Liv lui annonce qu'elle rentre au Danemark.

Mitterrand organise une réunion avec Jean-Louis Subilon , Andreu et Spreckelsen. Ce dernier annonce sa démission irrévocable du projet. Mitterrand l'accepte en lui conservant des émoluments Subilon et Andreu l'accuse de lâcheté sans parvenir à la retenir.

Spreckelsen a retrouvé sa femme au Danemark et ses cours d'architecture. Il fait un voyage à Paris et est pris de malaise en voyant ce qu'est devenu son cube. Il meurt quelques jours plus tard, le 16 mars 1987. Subilon et Andreu vont au Danemark mais ne parviennent pas à trouver sa tombe, marquée d'un simple carré de pierre dans un petit cimetière. Ils errent sous la pluie.

Il s'agit de l'adaptation du roman La Grande Arche de Laurence Cossé, paru en 2016, inspiré de l'histoire vraie de la construction de l'Arche de la Défense par l'architecte danois Johan Otto von Spreckelsen. François Mitterrand (1916-1996) et Paul Andreu (1938-2018), architecte spécialiste des constructions aéroportuaires, notamment celui de Roissy-Charles-de-Gaulle qu'il conçoit à l'âge de 29 ans et est à l'origine de sa renommée, ont joué des roles semblables à ce qui est montré dans le film. Le personnage de l'épouse de l'architecte est fictif. Le personnage de Jean-Louis Subilon est également fictif, bien qu'étant grandement inspiré de Jean-Louis Subileau qui était à l'époque "directeur de la mission de coordination des grands projets d'architecture de la présidence" puis directeur général de Tête Défense, maître d'ouvrage de la Grande Arche de 1986 à 1991.

Le film dresse le portrait d'un artiste sans compromission, grand homme au propre et au figuré, mais dont l’exigence de pureté le rend inapte au commerce avec le monde. Il est d'abord vu quasi nu au milieu d'un lac, n'a réalisé que des projets modestes qu'il a pu maîtriser de A à Z ainsi cette belle église aux proportions parfaites et n'est confronté qu'à des contraintes faibles voir inexistantes : ses étudiants l'admirent et Liv, sa femme, médiatise son rapport au monde, s'occupant des parties administratives et juridiques et le laissant libre de créer comme il le conçoit.

Dès lors, il suspecte tout le monde de vouloir s'approprier son projet, ne voulant en référer qu'à Mitterrand. Cette suspicion frappe tout particulièrement Paul Andreu. Spreckelsen ressent les contraintes administratives françaises et les difficultés techniques comme des attaques personnelles aussi bien l’interdiction de pose du verre sur les façades que l’objection qu’on lui fait de la porosité à moyen terme du marbre de Carrare

Mais c'est la perte de pouvoir de Mitterrand, obligé à la cohabitation, qui signe la dégradation du projet. Mitterrand avait des moyens infinis pour mener à bien ses grands travaux, un programme ambitieux de modernisation architecturale à Paris avec l'Institut du Monde Arabe en 1987, L'opéra Bastille en 1990 la Grande Arche entre 1985 et 1989, inaugurée pour le bicentenaire de la révolution en juillet 1989. La pyramide commandée en 1984 et réalisée sur la même période pour être inaugurée en mars 1989 quelques mois avant la grande arche. La bibliothèque François Mitterrand sera réalisée en 1989-1995 pour des inaugurations successives des bâtiments en 1996 puis 1998.

La cohabitation qui se met en place le 20 mars 1986 avec Jacques Chirac comme premier ministre d’un gouvernement de droite remet aussitôt en question la structure publique du projet au profit de l’économie privée. Le projet est ainsi complètement dénaturé et Mitterrand, qui n’a plus la main, lâche von Spreckelsen. Ce dernier préfère alors démissionner et abandonner la paternité d’un monument qu’il ne reconnaît plus comme sien. L’arche, terminée par Andreu, est inaugurée en juillet 1989. Demoustier ne la montre pas comme ce qui aurait pu être un triomphe posthume; il préfère montrer la tombe simple et ignorée à l'image de son auteur. Andreu et Subilon errant sous la pluie... Triste France sans grand projet.

Jean-Luc Lacuve, le 18 novembre 2025

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