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The deep blue sea

2011

Genre : mélodrame

Avec : Rachel Weisz (Hester Collyer), Tom Hiddleston (Freddie Page), Simon Russell Beale (Sir William Collyer), Ann Mitchell (Mrs. Elton), Jolyon Coy (Philip Welch). 1h38.

En ce matin froid de 1950, Hester Collyer a décidé de mettre fin à ses jours. Elle laisse une lettre à son amant, Freddie Page, avale tous les cachets d'un tube de médicaments, ouvre le gaz et s'allonge sur le sol. Ses yeux se ferment. Elle se souvient. La silhouette de son mari Sir William Collyer, haut magistrat britannique fait rapidement place à celle de Freddie Page. Celui-ci lui déclara une passion brulante durant la guerre. Elle le revit la guerre terminée et devint sa maîtresse.

Le souvenir de leurs jambes enlacées sur le lit recule bientôt sous les cris de sa logeuse, Mrs Elton, qui appelle à l'aide le vieux médecin de la pension. D'une claque énergique, le vieux médecin réveille Hester et lui administre une piqure qui lui fait vomir ses cachets. Encore sonnée, Hester remercie ceux qui ont si gentiment pris soin d'elle.

Dans les volutes des fumées de sa cigarette, Hester se souvient. Elle vivait une passion éperdue pour Freddie mais avait dû accompagner son mari chez sa mère. Les deux femmes se détestaient aussi instinctivement que profondément. Hester ne supportait pas ses leçons sur les bienfaits du sport et de l'enthousiasme modéré préférable à la passion et sur une santé du corps qui ne se trouverait que dans le sport et le jardinage. Comme elle était remontée passer un coup de fil à son amant, son mari l'avait surprise. Il lui avait donné le choix de rompre ou de partir avec son amant sans espoir de divorce. Il la condamnait ainsi à une vie de réprouvée avec son amant. Hester n'avait pas hésité. Freddie l'avait alors logée dans la pension de Mrs Elton...

Cet appartement n'était pas au goût d'Hester mais la douce compréhension de Mrs Elton l'avait aidé à accepter cette situation. Plus grave était pour elle l'impossibilité qu'avait Freddie de trouver sa place dans la société d'après-guerre. Il se contentait de vivre au jour le jour sans rien construire.

Ainsi, ce jour, où il est parti jouer au golf pour gagner quelque sous a-t-elle décidé de se suicider. Comme Freddie grimpe les escaliers, Hester tente de retrouver une attitude normale. Freddie trouve que quelque chose ne va pas et comprend bientôt qu'il a oublié l'anniversaire de sa maîtresse. Il s'excuse tendrement mais comme il cherche une cigarette dans la robe de chambre d'Hester, il tombe sur la lettre qu'elle lui destinait après son suicide. Il se met en colère devant cet amour immodéré qu'il ne peut satisfaire et s'enfuit au café. Hester veut le rattraper mais surgit alors son mari que Mrs Elton a fait appeler. Il se montre aujourd'hui beaucoup plus ému et conciliant qu'autrefois et accepte dorénavant le divorce tout en espérant toujours qu'Hester lui revienne. Hester le remercie mais court après Freddie dès qu'il est parti.

Freddie est au café avec son ami Philipp et signifie durement à Hester leur rupture définitive. En rentrant, Hester tente de se suicider une deuxième fois en se jetant sous une rame de métro. Le souvenir du courage des Anglais durant la guerre l'en empêche. Elle rentre donc. Son mari l'attend devant chez elle dans sa voiture et lui offre les sonnets de Shakespeare comme cadeau d'anniversaire. Hester ne peut que constater ce qu'elle a perdu avec Freddie qui lorsqu'elle l'amena à la National Gallery se moquait du cubisme de Braque pour se réfugier dans la beauté évidente des Monet. Néanmoins son amour reste le plus fort et elle laisse partir son mari, assumant de vivre dorénavant probablement seule.

Hester appelle Freddie pour venir chercher ses affaires puisqu'il lui a dit accepter de partir en Amérique du sud comme pilote d'essai. Freddie accepte finalement de passer une dernière nuit avec elle puisqu'elle a, de son côté, renoncé à le suivre. Il s'en va sur la pointe des pieds au petit matin.

Après son départ, Hester ouvre le gaz, mais cette fois allume la flamme qui vient réchauffer l'appartement. Elle ouvre les rideaux sur la rue où, derrière les barrières de bois cassées, se dessine la silhouette de la cathédrale saint Paul.

Terence Davies adapte la pièce du même nom, éditée en 1952 du dramaturge anglais Terence Rattigan (1911–1977). La mise en scène très démonstrative de Davies utilise au moins trois grands mouvements d'appareil à visée signifiante. Comme l'Angleterre de 1950 se reconstruit, nous dit Davis, Hester va pouvoir, elle-aussi, reconstruire sa vie. Ainsi peuvent, peut-être, se comprendre les deux mouvements de grue initiaux et finaux qui fonctionnent en miroir et le grand travelling latéral lors du flash-back du bombardement dans le métro. Le soin apporté à la mise en scène vient néanmoins comme nuancer, adoucir, le destin des personnages au profit d'un discours moral bien convenu (vive l'amour) et d'un discours politique qui nous est apparu inutilement volontariste et fonctionnant en définitive contre le discours moral apparent.

Une mise en scène de mélodrame

Le premier plan saisit une barrière de bois à l'aube d'un petit matin de 1950 et s'en vient, en grimpant le long d'un mur d'immeuble, jusqu'à la fenêtre d'Hester dont la voix off nous apprend son intention de se suicider. Le dernier plan du film démarre après qu'Hester ait ouvert les rideaux de la fenêtre derrière laquelle elle se tient en ayant, cette fois, allumé la flamme du gaz qu'elle a ouvert. La caméra en s'éloignant élargit le cadre, descend du mur et saisit un homme sortant de l'immeuble qu'elle suit jusqu'à la barrière de bois à droite qui se révèle cassée à son extrémité, laissant apparaitre à l'arrière-plan la silhouette de la cathédrale saint Paul. Ainsi de cernée par la fenêtre de l'appartement où elle vit avec son amant au premier plan, Hester en semble délivrée dans le dernier (plans typiques du cinéma de Douglas Sirk) comme si la modernité de l'Angleterre allait lui permettre d'assumer sa vie solitaire.

Le grand et démonstratif travelling le long du quai de métro durant la guerre survient après qu'Hester ait voulue se suicider une seconde fois quand son amant refuse de venir même chercher ses affaires. Elle se précipite alors dans la station dans l'intention de se jeter sur la voie. Alors que le bruit du métro se fait de plus en plus assourdissant, elle se souvient d'être venue là durant la guerre. Le souvenir du courage des anglais, résumé dans ce travelling emballé dans la chanson Moly Malone, la mère courage irlandaise, l'empêche de se suicide. Le plan sur Hester, hallucinée et éclairée des wagons du métro renvoie à celui après le passage du train dans Brève rencontre.

Chez Lean, Celia est ahurie d'avoir pu penser à se suicider. C'est sur cette émotion, cet affolement qu'insiste le réalisateur alors qu'ici c'est sur l'idée de l'exemple du courage qu'insiste Davies. C'est comme si le social venait au secours du personnage.

Tout ce que le ciel permet (Douglas Sirk, 1955)
Brève rencontre (David Lean, 1945)

Un discours politique volontariste pour adoucir un discours moral convenu

Si les trois mouvements d'appareils les plus notables du film nous disent bien que les souvenirs de la guerre et la reconstruction vont pourvoir aider Hester, il s'agirait là d'un discours plutôt incohérent avec la tragédie vécue par Hester. En 1950, les femmes adultères ou divorcées mènent une vie de réprouvée. On voit mal comment est-ce que la société va les aider à se reconstruire.

Mais trop de fois hélas, on sent le discours abstrait venir polluer le mélodrame que voudrait être le film. Ainsi du discours surplombant, assez vain aujourd'hui, comme quoi mieux vaut une longue vie d'amour partagé (Mrs Elton et son mari qu'elle assiste dans son agonie) puis une vie d'amour même non partagée ou déséquilibrée (Hester et son amant) et enfin une vie sans amour (Hester et son mari). Sommet symbolique de ce conflit qui n'est plus guère cornélien aujourd'hui : Hester se saisissant des gants que son amant a abandonnés pour y pleurer alors qu'elle dédaigne les sonnets de Shakespeare offerts par son mari.

Avec Loin du paradis (2002) Todd Haynes s'était déjà essayé à refaire un mélodrame sans transposer son contexte d'origine. Du moins son discours moral est-il moins surplombant. Pour Sirk et Fassbinder l'important est que le personnage puisse aller jusqu'au bout de son désespoir ou de sa rédemption quitte pour cela à adapter le pire scénario pour midinette. La mise en scène montre que leur parcours est un leurre (miroirs, fenêtres, encadrements) ce qui en fait des personnages tragiques, victimes des préjugés de leur époque.

En ne choisissant pas le désespoir mais la reconstruction sociale, Davies tient à distance l'émotion pour une morale positive pas très enthousiasmante. Dommage pour la belle Rachel Weisz condamnée au flou, aux volutes de fumées et aux jérémiades. Du coup, Davies échoue, nous semble-t-il, à nous faire ressentir son amour pour Freddie dont l'interprétation est aussi, sans doute, trop fade.

Jean-Luc Lacuve le 26/06/2012.