1848. Emily, 17 ans, termine ses études par le séminaire du Mont Holyoke (Massachussetts) fondé par Mary Lyon. Sa rébellion contre la ferveur évangélique de l’école met fin à cette expérience. Son père, son frère, Austin, et sa sœur, Vinnie, viennent la chercher pour la ramener dans leur maison d'Amherst. Même si la distance n'est pas longue (16 km), la mère, affectée des maladies chroniques n'a pu les accompagner. Tout quatre décident d'un passage par Philadelphie pour voir leur tante Elizabeth et assister à une représentation musicale qui heurte le père par la présence d'une femme sur scène.
De retour chez eux, les Dickinson reçoivent la visite de tante Elizabeth qu'ils morfondent par leur goûts littéraires (Jane Eyre, Les hauts de hurlevent...) et leur sens de l'ironie et de l'irrévérence. Passionnée de poésie, Emily écrit nuit et jour dans l’espoir d’être publiée. Samuel Bowles, le propriétaire et éditeur en chef du Springfield Republican publie l'un de ses poèmes.
Les années passent, Emily poursuit sa recherche de la quintessence poétique. La rencontre avec Vryling Buffam, une jeune mondaine indépendante et réfractaire aux conventions sociales, ravive la rébellion d'Emily. Elle refuse d'aller prier à l'église du fait de l'attitude trop rigoriste du pasteur.
1856. Austin leur présente Susan Gilbert qu'il vient d'épouser après une cour de quatre ans. Susan confie à Emily que leur mariage n’est pas heureux. La mère d’Emily est clouée au lit par de nombreuses maladies chroniques.
1861. La guerre de Sécession commence. Austin veut s'engager mais son père le lui interdit. La guerre se termine en 1865 en ayant fait plus de 600 000 morts. Emily approuve rétrospectivement l'attitude de son père.
Vryling Buffam se marie ce qui fait prendre conscience à Emily de sa solitude. Elle entretient une relation qu'elle souhaiterait amoureuse avec le révérend Wadsworth qui aime sa poésie. Elle est effondrée quand elle apprend qu'il déménage avec sa femme, une puritaine bornée, pour Chicago
En 1874, le père d’Emily meurt. Elle décide alors de ne plus s'habiller que de blanc. Elle commence à parler à ses visiteurs à travers une porte plutôt que face à face.
En 1882, se détachant irrémédiablement de sa femme, Austin tombe amoureux de Mabel Loomis Todd, qui vient d’emménager récemment dans la région. Emily prend fait et cause pour Susan et tance sévèrement son frère. Celui-ci se venge en lui lisant un article du Springfield Republican qui nie aux femmes recluses et aigries la possibilité d'écrire de la belle poésie. La mère d’Emily meurt le 14 novembre. Le médecin d’Emily, devant ses crises de tremblements et de douleur aigue de plus en plus répétées lui diagnostique le Mal de Bright. Elle ne quitte plus guère sa chambre.
Le 15 mai 1886, après plusieurs jours d’aggravation de son mal, Emily meurt, souffrant terriblement, à l’âge de 55 ans, entourée d'Austin et Vinnie.
Terence Davis avait étouffé par son académisme la passion brulante de son héroïne dans The deep blue sea. Il est plus à son affaire dans ce biopic consacré à ce personnage mystérieux devenu mythique, Emily Dickinson, considérée comme l’une des plus grandes poétesses américaines.
Une mise en scène élégante mais académique
Le film ne brille pas par sa mise en scène. Le panoramique à 360° démarrant d'Emily se récitant un de ses poèmes sur l'étroitesse de sa vie familiale pour revenir à elle dans un cercle complet capte chaque membre de la famille plus au moins afféré autour du feu de bois. Ce mouvement de caméra dit platement et académiquement cette étroitesse. Tout pareillement, dans le théâtre de Philadelphie, le mouvement d'appareil qui saisit la chanteuse pour remonter vers la famille se disputant dans la loge au sujet de son exubérance pour revenir dans un mouvement de grue symétrique vers la chanteuse se transformant par fondu-enchainé en Emily revenue chez elle, dit qu'elle ne sortira plus maintenant du cadre de sa maison.
Ces mouvements d'appareils élégants sont une paraphrase de la biographie. Ils n'engagent pas un parti pris de mise en scène, regard particulier que Terence Davies pourrait avoir sur son personnage et qu'il nous transmettrait au moyen d'une forme.
Les procédés classiques de l'adaptation
Davies s'en tient à la vie d'Emily où, sans altérer sa poésie, son caractère s'aigrit devant son peu de séduction et sa poésie peu éditée. Emily est amère devant ses seuls 11 poèmes édités et souvent mal ponctués sur les quelques 1800 poèmes qui, l'ignore-t-elle, seront publiés à titre posthume. Davies en fait entendre un certain nombre, en voix off, toujours adaptés aux circonstances décrites dans le film.
Davies adopte les procédés classiques de l'adaptation. L'attestation de l'adéquation au réel se fait toutefois au travers du daguerréotype final qui, par un procédé de morphing fait rajeunir l'actrice pour lui redonner les traits d'Emily au sortir du collège d'Amherst à 17 ans. Ce même procédé du morphing avait été utilisé pour passer d'une Emily adolescente à l'Emily adulte avec, déjà, les traits vieillies de ses dernières années.
Le principe de condensation, qui rassemble plusieurs évènements en un seul, permet de condenser dans la seule Vryling Buffam l'ensemble des rapports amicaux qu'entretint Emily. Le goût d'Emily pour le blanc dès la fin des années 60 devient l'événement succédant à la mort de son père en 1874. Le déplacement est un autre procédé de l'adaptation académique. Les trois semaines de 1855 où avec sa mère et sa sœur, elles passent d’abord quinze jours à Washington, où son père représente le Massachusetts au Congrès des États-Unis, puis visitent de la famille à Philadelphie, sont placées au début, au retour de séminaire de Mont Holyoke, sans la mère mais avec le père et le frère chez Tante Elizabeth.
Davies se permet même des rapports psychologiques inversés par rapport aux biographies des personnages : Susan Gilbert, la femme de son frère, apparait comme soumise à Emily alors que c'est elle qui sollicita son amitié et ses conseils. Plus subtil sans doute, la passion du jardinage d'Emily, qui n'aurait été qu'illustrative est ramenée dans les plans avec nombre de magnifiques, discrets et élégants bouquets de fleurs.
Comme tout biopic académique celui-ci, à défaut d'être passionnant, fourmille d'idées de mises en scène et donne envie d'approfondir sa connaissance du personnage et de son oeuvre.
Jean-Luc Lacuve, le 14/05/2017