Tout est merveilleux chez Frank et Cathy Whitaker, couple modèle de l'Amérique en cette fin d'année 1957. Leur villa est splendide, coquette comme les robes de madame, moderne comme le job de monsieur, ingénieur chez Magnatech, quelque chose comme "magnats de la technologie au service du bonheur quotidien". Deux enfants et un grand jardin parachèvent cette vision de rêve.
Alors qu'ils devaient sortir, monsieur rentre tard. La police l'a retenu. On l'aurait pris pour un "rôdeur" dans un parc. Une erreur décrètent Franck et Cathy. Celle-ci jette à la poubelle le compte-rendu de la garde à vue. Le lendemain, la responsable d'une gazette locale vient interviewer cette admirable maîtresse de maison. Soudain, alors que Cathy déclare n'avoir jamais rêvé d'une autre vie, elle distingue une ombre inquiétante au travers de la fenêtre : il y a un noir dans le jardin ! Cathy s'apprête à le faire déguerpir comme un chien, mais découvre qu'il s'agit du fils de son ancien jardinier, qui vient de mourir. Pour compatir à la douleur de cet homme, Raymond, elle met une main sur son épaule. La dame de la gazette ne manquera pas de relever perfidement sa gentillesse envers les noirs. Un jour, l'écharpe mauve de Cathy s'envole, Raymond la lui rend.
Frank rentre de plus en plus souvent très tard. En voulant lui apporter son dîner au bureau, Cathy découvre le pot aux roses : son mari en train d'embrasser un autre homme à pleine bouche. Franck et Cathy décident de consulter un médecin psychiatre. Rien n'y fait. Raymond devient le seul soutien de Cathy. Admirateurs de Miro, ils communiquent sur l'art moderne et il l'emmène un après-midi en forêt puis dans un bar. Ils sont découverts, la ville se retourne contre eux et Franck, à bout, reçoit un congé forcé d'un mois. Ils voyagent à Miami, où Frank fait la connaissance d'un jeune homme qui voudra bientôt vivre avec lui. Pendant leur voyage, Sarah, la fille de Raymond a été agressée par des garçons de sa classe. Cathy folle d 'inquiétude file chez Raymond qui lui fait comprendre qu'ils ne pourront jamais vivre ensemble. Le jour de son départ, elle lui fait un signe de la main sur un quai de gare. Elle conduit ses enfants à leur activité. La caméra s'élève pour saisir les fleurs du printemps.
Depuis les lettres du générique jusqu'au plan final, aussi symbolique qu'ironique sur les fleurs du printemps, Haynes accumule les références. Une nature étincelante et des voitures rutilantes comme chez Douglas Sirk, des costumes et des décors déjà vus chez Coppola (Peggy Sue s'est mariée), une musique extrêmement présente, des comportements de citadins désuvrés et méchants comme chez Burton (Edward aux mains d'argent), un séducteur tranquille sincèrement épris d'une bourgeoise comme chez Eastwood (Sur la route de Madison).
De Loin du paradis, on pourrait reprendre in extenso le commentaire de Lourcelles sur Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk :
"L'intrigue épouse les sentiments de l'héroïne, ses élans de bonheur et ses déceptions, et c'est pourquoi il s'agit bien d'un mélodrame. Mais Sirk (Haynes) utilise le genre de manière à y insérer le plus grand nombre possible de notations sociales. Le film devient alors un exposé des pressions qui accablent l'héroïne et la poussant vers le malheur ; elles viennent de l'opinion publique, de ses voisins, de ses amis et même de ses enfants. Pas de catastrophe spectaculaire ni de délire mais une description incisive et extrêmement juste de la moyenne bourgeoisie américaine à l'époque où le film fut tourné."
L'intrigue est modernisée et balance constamment entre l'hommage et la saisie des tensions contemporaines. Sans retrouver les scènes vraiment fortes, longues et risquées de Sirk (le poste de télévision, le cerf à la fenêtre...), on en notera pourtant quelques unes :
Bibliographie : article de Frédéric Strauss dans Télérama