En 1926 à Los Angeles, le cinéma muet bat son plein. Manuel Torres, un immigré d'origine mexicaine, est homme à tout faire pour le studio Kinoscope. Il doit notamment transporter un éléphant pour une fête donnée par ses employeurs. Les hauts de Hollywood ne sont accessibles que par une côte très pentue; l'éléphant s'affole et défèque sans compter sur son malheureux dresseur. Arrivé en haut, un flic vient réclamer un permis mais se laisse corrompre par une invitation pour lui et sa grande famille pour la fête du soir. Lors de cette soirée orgiaque, Manuel aide Nellie LaRoy, une jeune femme qui rêve d'être actrice, à franchir l'entrée sans qu'elle soit invitée. En sniffant de la cocaïne sous son impulsion, Manuel lui avoue lui aussi vouloir entrer dans le monde du cinéma pour faire partie de "quelque chose de plus grand". Peu après, alors que Nellie participe à une danse endiablée, il réalise qu'il vient de tomber amoureux d'elle.
Sont également présents à la soirée, Lady Fay Zhu, une danseuse de cabaret s'occupant des intertitres et Sidney Palmer, un trompettiste noir. Au cours de la fête, l'actrice Jane Thornton fait une overdose après une séance d'ondinisme et Manny propose de faire entrer l'éléphant pour l'emmener discrètement à l'hôpital. Le directeur de Kinoscope, se retrouvant sans actrice pour tourner le lendemain, propose à Nellie de la remplacer au pied levé, ce qu'elle accepte sans hésiter.
Au petit matin, Manuel doit ramener Jack Conrad, la star du studio, chez lui. Complètement ivre, Jack lui explique qu'il attend un événement qui changera la face du cinéma. Se liant d'amitié avec Manuel, Jack lui propose de l'accompagner sur un tournage, où Manuel sauve une séquence en allant chercher une caméra, toutes les autres ayant été détruites. Sur ce, le jeune homme gravit les échelons de la Kinoscope, tout en s'occupant des affaires de Jack. Nellie devient également la nouvelle coqueluche d'Hollywood suite à son premier rôle et est suivie par la critique Elinor St. John qui s'occupe également de la carrière de Jack.
En 1927, Manuel est envoyé par Jack à New York dans le cinéma des frères Warner pour voir Le Chanteur de jazz, le premier film parlant. Par hasard, il retrouve Nellie et découvre que sa mère est internée dans un sanatorium. Après leur séparation, Manuel visionne le film et prévient Jack que la révolution qu'il attendait est arrivée.
Les débuts du cinéma parlant sont difficiles pour les techniciens et les acteurs, qui doivent apprendre à faire avec le son. Si Manuel (qui anglicise son nom en « Manny ») et Sidney ont réussi leur transition, l'un en s'occupant des affaires managériales des studios et l'autre en devenant une star grâce à son instrument, Fay Zhu, Jack et Nellie n'ont pas cette chance. Les studios n'ayant plus de besoin d'intertitres, Fay Zhu est sur la touche, les spectateurs rient en voyant Jack parler et Nellie est accro aux casinos et à la drogue. La Kinescope débauche Manny et lui demande de reprendre la carrière de l'actrice en main. Malgré les efforts de son ami, Nellie n'arrive pas à se sortir de sa spirale infernale.
Lors d'une fête donnée par Jack, Nellie entend deux invités rire aux éclats en parlant d'elle et ivre, elle propose aux convives de voir son père, businessman incompétent,se battre contre un serpent. Tout le monde se rend en plein milieu du désert, où le père de Nellie s'effondre, complètement saoul, face à un serpent à sonnette. Nellie, ivre de colère, s'empare du serpent, qui la mord, et est sauvée de justesse par Fay Zhu, qui l'embrasse. Quelques jours plus tard, Jack apprend que son ami de longue date et producteur, George, s'est suicidé.
En 1932, Jack continue de tourner pour la MGM dans des productions médiocres, mais sent que sa popularité décline. Sidney, au sommet de sa gloire, se voit contraint de noircir son visage avec du cirage pour que le film puisse être diffusé dans les États du Sud. À la fin du tournage, le musicien, humilié, préfère démissionner et revenir à sa vie d'avant. Manny, lui, n'a pas abandonné à relancer la carrière de Nellie. Le cinéma devenant plus puritain, la relation lesbienne entre l'actrice et Fay s'arrête à la demande du studio. Avec l'aide d'Elinor St. John, Nellie est introduite dans la haute société d'Hollywood, mais ruine définitivement ses chances en insultant les convives et en vomissant sur l'un d'eux.
En se rendant à la MGM, Jack découvre un magazine où Elinor parle de sa popularité en chute libre et vient lui demander des explications. La critique estime que son temps est révolu, mais qu'il restera à jamais immortalisé grâce à la pellicule. Une nuit, Nellie débarque en sanglots chez Manny. Ses addictions l'ont conduit à devoir de l'argent à un gangster, James McKay, qu'elle ne peut payer. D'abord insensible, Manny trouve de l'argent via Le Comte, un dealer bien connu des tournages. Ravi que l'argent arrive aussi vite, James commence à donner des idées de films à Manny, mais Le Comte lui avoue discrètement que l'intégralité des billets sont des faux, fabriqués par un accessoiriste. James McKay les emmène ensuite dans un tunnel, où les excès les plus malsains sont permis, mais il se rend compte de la supercherie. Manny et Le Comte s'enfuient, tuant au passage l'homme de main du gangster.
Manny rentre chez lui, avoue son amour à Nellie et lui demande de s'enfuir avec lui au Mexique, où ils pourront commencer une nouvelle vie. D'abord réticente, l'actrice accepte. De nuit, Manny passe prendre Le Comte, mais un tueur de James abat le dealer et son colocataire. Manny demande grâce et l'homme accepte en échange qu'il ne revienne jamais à Los Angeles. Manny retourne dans sa voiture, mais ne trouve nulle trace de Nellie, qui a préféré revenir sur sa décision, et le jeune homme part d'Hollywood. Jack, après avoir échangé une dernière fois avec Fay Zhu, qui part travailler pour Pathé en Europe, se suicide.
Les journaux apprennent la mort dans l'indifférence de Nellie à 34 ans et celle d'Elinor à 76 ans.
En 1952, Manuel revient à Los Angeles avec sa femme et sa fille pour leur montrer où il travaillait. Seul, il se rend dans un cinéma où est projeté Chantons sous la pluie, qui raconte la transition du cinéma muet vers le parlant, le faisant éclater en sanglots. Des extraits de différents films montrant l'évolution du cinéma défilent ensuite. La caméra retourne sur Chantons sous la pluie et Manny sourit.
L'action du film se situe entre 1926 et 1932 avec un épilogue en 1952 quand Manny va voir Chantons sous la pluie. Babylon se présente ainsi comme le double cauchemardesque du film de Stanley Donen, hymne au cinéma parlant et musical. Babylon reprend d’ailleurs des scènes de Chantons sous la pluie et deux de ses thèmes principaux : la chute des acteurs ou actrices dont la voix ne passe pas le parlant et les déplacements contraints par la sensibilité et la place des micros. Mais Babylon développe plus amplement le contexte de ce basculement du muet au parlant. Il reprend ainsi le côté sombre de l'époque, déjà évoqué par Le Dahlia noir, et le retour en force de la morale qui s'en suit, mettant fin aux orgies et à la prostitution, mais aussi aux relations homosexuelles trop voyantes. Est également évoqué l'argent de la mafia à recycler. Enfin, comme dans Une étoile est née ou The artist, est mis en scène le sort des stars vieillissantes. Autant de thèmes contés dans Hollywood Babylon (1975) auquel le film emprunte probablement son titre. L’amputation du premier terme du livre de Kenneth Anger dit la détestation de Chazelle pour l’industrie aux produits codifiés qui en sortiront.
On fera dès lors grâce au réalisateur franco-américain des excès de son film, volontiers traités sur le mode burlesque ou emportés par la musique endiablée de Hurwitz. En multipliant les sujets, Chazelle maintient l'intérêt pendant ses trois heures mais peine à susciter l'émotion. Moins parce qu'il veut faire "un film sur le cinéma" mais par l’impossibilité de faire dévier de leur route des personnages emportés par une passion unique.
Le choix de l'excès
Le ton est donné dès l'entame du film : le conducteur du camion est très gros, l'éléphant est très gros, la cote à monter trop raide, les déjections de l'animal trop grosses. Est ainsi introduit un second degré burlesque dont le film ne se départit jamais. Même la scène qui clôt le tournage du film de chevalerie, avec tous ses excès, est délibérément trop romantique avec ses deux acteurs filmés aux derniers rayons du coucher du soleil et son papillon- délibérément numérique- qui vient se poser sur l'épaule de Jack Conrad. Il en va de même de la scène de danse de Nellie LaRoy filmée par la réalisatrice Ruth Adler. En alternant la prise de vue réelle avec sa projection en noir et blanc au format carré, Chazelle en retrouve cependant l'émotion. Il rend ainsi hommage au cinéma muet, à sa liberté créatrice ainsi qu'aux réalisatrices qui vont ensuite disparaître des studios.
La musique de Hurwitz soutient heureusement les séquences héroïques. Le compositeur oscarisé a souhaité s'éloigner du jazz en vogue à l'époque des années folles, pour une approche plus personnelle et originale en s'inspirant de genres contemporains comme le rock, la house ou la musique dance électronique mais composé pour et joués avec l'instrumentation et l'orchestration d'un ensemble jazz. La party chez Don Wallach qui sert de prologue en est époustouflante rendant presque sobres les déplacements en plans longs de la steadycam.
Très belle séquence du tournage du premier film parlant de Nellie LaRoy et ses épuisantes prises successives pour respecter la marque sur le sol et multiplication des incidents sonores jusqu'au décès du caméraman, littéralement mort de chaud, dans le caisson de la caméra. A l'orgie du prologue sur les hauteurs de Hollywood répond le monde souterrain des mafieux où l'animalité domine avec son monstre ingurgitant des souris.. et son crocodile qui remplace l'éléphant.
L'hommage au cinéma de Chazelle au travers des emprunts à son histoire est plutôt bienvenu. Certes les excès de flux de peinture ou de monochrome font un peu arty au milieu de la Plaque 626. Galop, jument baie pur-sang (Muybridge, 1887) puis des images de Méliès, Chaplin jusqu'aux images de synthèse, d'abord expérimentales puis incarnées dans Matrix, Terminator 2 et Avatar. C'est une belle manière de compléter Hollywood chante et danse (Charles Reisner, 1929) où est recréé le numéro Chantons sous la pluie et les extraits du Chanteur de jazz (Alan Crosland, 1927) et de Chantons sous la pluie (1952).
Un ressort unique pour chaque personnage
L’excès, la démesure, l'ampleur du regard sur l’époque s'incarnent hélas dans des personnages définis par un seul trait de caractère. L'ambition conduit le comportement de Nellie LaRoy. Ses soubassements, dus à une enfance pauvre, la conduisent à des excès permanents sans que sa conduite ne puisse changer ainsi lors de la réception chez les Rothschild ou l'accumulation de ses dettes de jeu. Son éphémère conversion aux valeurs de la famille ne peut que la conduire à s'enfoncer dans le noir pour une disparition inéluctable. Manny Torres est aveuglé par son amour pour une fille qui ne lui convient pas. Jack Conrad est mu par sa croyance au cinéma qui lui fait renoncer aux excès de l'alcool mais pas à sa place d'acteur d'importance. Son suicide est traité dans une très longue scène de découragement et une fausse discrétion avec la porte entrouverte pour mieux y voir gicler le sang sur un mur. Elinor St. John est une parasite assumant son rôle de cafard. Sidney Palmer (clone de Sidney Poitier?) est tout empli de sa dignité. George Munn est réduit à aimer des femmes qui l'abandonnent aussitôt.
Si Chazelle donne une densité à ses personnages, leur trait dominant ne variant pas, nulle interaction n'est possible entre eux. C'est sans doute pourquoi, au-delà de l'indéniable virtuosité du film, de son burlesque assumé, l’émotion peine à se dégager.
Jean-Luc Lacuve, le 28 janvier 2023