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Resurrection

2025

Genre : Film épique

Festival de Cannes 2025 (Kuangye shidai). Avec : Jackson Yee (La créature / Qiu / Fils de Chien / L'arnaqueur / Apollo), Shu Qi (La Grande Autre), Mark Chao (Le Commandant), Li Gengxi (Tai Zhaomei), Jue Huang (Mr. Luo), Chen Yongzhong (L'esprit de l'amertume), Guo Mucheng (La fillette), Yan Nan (L'instrumentiste), Zhang Zhijian (Le Vieux). 2h40.

Prologue. "Dans une époque sauvage, les gens ont découvert le secret de l'immortalité : ne plus rêver. Comme une bougie qui ne se consume plus, ils existent à jamais. Certains rêvent en cachette, ce sont les Rêvoleurs. Avec eux, la réalité est douleur ; l'Histoire chaotique et le temps se convulse."

Une toile s'enflamme. Les spectateurs du cinéma nous regardent. La salle est évacuée par les forces de l'ordre. La Grande Autre vient avec un appareil photographique nous prendre en photo.

1 - "Il existe un Rêvoleur dont on ne connaît pas l'apparence parce qu'il s'est glissé dans un temps ignoré de tous : le cinématographe". Film documentaire d'une rue chinoise où les gens vont à reculons. Un enfant qui dort. "Seules les Grandes Autres peuvent percer le voile de l'illusion. Elles ramènent les Rêvoleurs à la réalité en se faisant la douceur même".

La Grand Autre ouvre la fenêtre où viennent s’ébattre des pigeons. Elle pose une photo sur un plaque et du haut d'un immense appareil photo, plonge dans la pupille de l’œil pour y découvrir des pavots. "Ce Rêvoleur se cacherait-il dans une fumerie d'opium?"

Dans la fumerie, un riche client à moitié saoul trébuche et s'empare d'un paon blanc sur une balustrade avant de monter à l’étage. La femme entre à son tour dans la fumerie. Des mains dont le corps reste hors champ font des signes. L'une ouvre une porte empruntée par L'hôtesse qui sonne de sa boucle d'oreille en clochette et, s'adressant au jeune serviteur : Vite ces seigneurs en redemandent. Nourris encore la créature. Elle doit produire encore plus de larmes et s'en va son verre de larmes rempli alors que le serviteur déverse du pavot dans un grand réservoir.. La Grande Autre qui avait suivi l'hôtesse trouve la prison du Rêvoleur grâce à l'écoutille du réservoir qui ressemble au champ de pavot entraperçu sur la photographie. S'y mêlent fleurs et têtes de mort. Au fond du puits: des murs et couloirs, jaunes puis rouge, (des squelettes devant un pot d'opium) et bleu (Nosferatu bossu, la lune au visage de Méliès) elle danse puis dans une spirale de lumière jaune est transporté dans un niveau supérieure où elle est suivie par la créature. "Le Rêvoleur ne veut pas la blesser mais juste lui offrir des fleurs au risque qu'elles dévorent son âme". "Pour sortir de l'illusion, elle tend son œil au Rêvoleur qui y découvre sa laideur. Il en laisse tomber son cadeau. Elle pleure puis sort de cet étage. Elle retrouve le Rêvoleur allongé, mangeant les fleurs de pavot "Arrête de rêver" lui dit-elle. Tu brûles ta vie et le feu se propage.- Les illusions font peut-être mal mais elles sont si réelles. Je ne veux plus vivre dans ce monde trompeur. Tues moi je t'en supplie.- A quoi le Rêvoleur s'accroche-t-il ? Elle l'ignore et l'emmène discrètement". Sa poussière est aspirée dans le flash de son appareil photo, le déclencher permet au monstre de se réincarner devant elle. Elle l'emmène dans son studio et entoure sa tête d'un rideau rouge derrière lequel elle l'opère : elle retire l'opium de sa bosse-sa mémoire pour voir ce qui se cache dans son cœur. Met une bobine de film dans la caméra. Le Rêvoleur voit et enregistre le film. Il se retrouve dans la nature sur une toile où se joue l'arroseur arrosé; elle interrompt le jet mais en s'arrosant il tombe et le film brûle. "La vue du mécanisme réveille en elle une sensation lointaine". La pâquerette qu'il tient dans la main fond. "sensation inconnue, risquée et libre, loin de celle d'opium, la sensation de rêver. Elle ferme les yeux du Rêvoleur; sa façon à elle de le faire mourir. A cet instant, les quelques chutes de film prolongent de 100 ans le rêve du Rêvoleur".

2 - "Le Rêvoleur continue son chemin et glisse dans les profondeurs. Il ne sait plus s'il est cette lourde créature ou cet homme, là dans le miroir. Il entend un bruit terrible, un bruit qui semble présager, un grand danger". Il recoud une longue blessure sur le torse.

Dans un compartiment, un groupe d'hommes sous la conduite d'un Commandant s'active pour retrouver une partition. Le commandant ordonne qu'on ramène l'homme blessé. Dans cette maison, autopsie d'un homme poignardé dans le cou du côté gauche, la carotide tranchée. Ses oreilles ont été transpercées, les conduits auditifs déchirés; un suicide probable. Le commandant sort un rapport d'enquête sur "le meurtre de la gare". Le suspect en Qiu, atteint probablement de troubles mentaux. Il reçoit un appel téléphonique où le correspondant rit et croasse. Qiu se rappelle avoir fui la gare ; il est torturé. Il se rappelle une maison pleine de miroirs. "Qiu Moyun, pourquoi l'as-tu tué ?" interroge le commandant. La maison était un labyrinthe. Lui seul l'en a tiré. Il est devenu fou, l'a plaqué sur les voies alors que le train arrivait. "Pour pouvoir entendre ta voix , je suis prêt à rendre le monde silencieux". "Quelle chanson fredonnait-il ?", reprend le commandant. Il y avait un numéro, 478 . Le correspondant au téléphone, un nain, veut qu'il le sorte vivant et est prêt à payer pour cela, mission secrète Qiu. Le commandant voudrait savoir pourquoi un homme psychiquement instable vaut tant d'efforts. Il donne au nain de l'argent pour son train, alors que celui-ci ironique, remarque qu'il joue aussi du thérémine. Le commandant accepte de détruire les preuves matérielles et se crève le tympan. Sur une partition, BWV 478, le commandant griffonne des annotations alors qu'il écoute sur un magnétophone à bandes. Qiu est fouetté, la tête en bas pour savoir quel lien il entretenait avec la victime : "Il aimait le son de sa voix plus que son instrument. Il avait une valise lourde, des bombardiers sont arrivés, elle est restée à la gare". Dans celle-ci, émeute pour un billet. Le nain, qui les vend, raconte au commandant l'histoire des grenouilles qui coassent toute la nuit pour attirer leur partenaire au risque d'attirer les chauve-souris. Désir et mort sont liés. Le commandant veut la valise, pourtant elle rend fou. Le nain lui conseille de profiter du brouillard pour emmener le prisonnier à l'endroit habituel : l'arbre de feu. 

Dans la gare, soumise au risque de bombardement, on danse à la lumière des bougies. Le commandant exfiltre Qiu, habillé en femme. Puis il conduit le prisonnier dans voiture dans le brouillard vers l'arbre de feu puis dans la miroiterie où se trouve la valise contenant le thérémine. "Valise est mon nom de code donné par l'agent japonais". Il a peur de sa voix intérieure. Le prisonnier se cache aimerait que personne n'entende sa voix. Il poignarde le commandant à l'oreille. Des enfants de cœurs voient le prisonnier depuis l'intérieur d'un train. Le commandant se perce la deuxième oreille se souvenant de la phrase : pour entendre ta voix je suis prêt à rendre le monde silencieux. Musique retour à l'image initiale de Qiu endormi dans le lit du wagon. Le commandant, ensanglanté, joue du thérémine et poignarde Qiu dans le dos, de la blessure profonde s'échappe de la lumière qui le consume ainsi que le wagon sur la musique de Bach. La cire fond. "Pour l'amener vers un sommeil profond, elle ferme les oreilles du Rêvoleur"

3 - "20 ans plus tard, à une saison où d'ordinaire il ne neige pas, le Rêvoleur avance, ballotté en tous sens. Il s'est habitué à changer d'apparence". Au temps de la révolution culturelle, c'est un ancien moine chargé de guider ses collègues communistes pour récupérer ce qui reste des statues dans le temple, déjà en grande partie pillé. Son chef pisse sur l'une des statues et lui offre une cigarette, s'étonnant qu'il la refuse "quand Bouddha a annoncé ses principes, il ne connaissait pas la nicotine. Comme son chef remarque que la statue sonne creux, le Rêvoleur touche la statue de bouddha qui s'écroule. Le chef constatant que le camion est plein des statues laisse l'ouvrier seul jusqu'au lendemain. Celui-ci est surtout préoccupé par sa rage de dent. Il rassemble de la paille pour dormir et récupère les allumettes du chef pour faire un feu. Dans son sommeil il entend une voix qui lui promet de le soulager : "Du bout de ta langue cherche la pierre la plus amère et frappe la contre ta dent; Le Rêvoleur voit l'écroulement de la statue qu'il a provoqué dans la journée et va chercher la pierre amère avec laquelle il s'extrait la dent. Il l'entoure la dent de neige et la jette par-dessus l'enceinte du monastère, en surgit un moine qui lui rappelle que le lieu est sacré.

Le moine prétend être l'esprit de l'amertume qui va attendre l'éveil et affirme que dans sa dent il a vu ses péchés et  voudrait connaître le goût de la chose la plus amer. L'esprit de l'amertume sollicite le Rêvoleur car dit-il le gras bouddha lui a prédit que si son corps s'écroule un jour il le saura. Quant à la pierre amère, c'est celle où son chef a pissé. Le Rêvoleur reprend l'esprit, ce n'est pas gras mais grand bouddha et il aimerait que l'esprit quitte l'apparence de son père, un fin lettré, bien différent de ce fantôme. L'esprit trace le mot "amertume" dans les lentilles d'eau d'un bassin alors que le Rêvoleur trace le mot "douceur" dans la neige. Des ronflements se font entendre. Alors qu'il partage sa pomme de terre cuite dans la baise avec l'esprit, le Rêvoleur raconte que son père a été mordu par un chien enragé. Il a alors perdu toute dignité et le Rêvoleur l'a empoisonné avec un germe de pomme de terre. Il en est mort, ce qu'il a immédiatement, sachant qu'il n'entendrait plus jamais son père ronfler. Au matin, un chien sort du monastère. ""Elle a le cœur brisé de voir le Rêvoleur à l'état de chien, avaler le fruit amer qu'il a semé de ses propres mains"

4 - "Dix ans plus tard, le Rêvoleur se fond dans le néant". Arrivé à la gare sur un camion de marchandises, il ramasse de l'argent un paquet enveloppé de papier journal tombé du sac d'un voyageur. Il n'a pas le temps de l'ouvrir qu'un homme lui prend des mains pour s'isoler un peu plus loin et affirmer à l'homme qui cherche son paquet qu'il ne l'a pas vu. Puis il montre au Rêvoleur le contenu du paquet, une liasse de billets, suggérant d'en partager la valeur. Le Rêvoleur donne de l'argent et récupère le paquet qui s'avère rempli de carton.

Le Rêvoleur apprend du papier journal qui entoure le paquet qu'une forte somme d'argent est promis par "Le vieux" à qui saura faire preuve de pouvoirs surnaturels. Après s'être installé dans un hôtel, il retourne à la gare retrouver les arnaqueurs, non pour se battre mais pour qu'ils lui fournissent un enfant intelligent capable d'arnaque. Cet enfant intelligent est une gamine d'une dizaine d'années aux cheveux courts. Elle aime les devinettes : qu'est ce qui remplit une pièce en entier : la lumière ; Qu'est ce qu'on peut faire seul mais pas à deux : Rêver. Elle voudrait qu'il l'aide à en résoudre une troisième, plus difficile. Mais le Rêvoleur la remet sur la piste de leur arnaque à venir et la stupéfait en trouvant trois cartes successives qu'elle tient dans les mains avant qu'elle ne comprenne qu'il les voyait dans le reflet de la glace. Il prétendait avoir des pouvoirs surnaturels ; être capable de sentir les cartes et faire preuve de pensée inversée.

Elle énonce aussi sa devinette : Qu'est-ce qu'une fois lâché, on ne retrouve jamais ?" Son père est parti lui laissant un billet avec cette devinette. Après quelques essais, le Rêvoleur et la fillette décident de se rendre chez le vieux. Elle devine l'as de pique grâce à une remarque sibylline sur le fond de la mer, qu'il promet de lui faire voir. Elle trouve aussi que la seconde carte brûlée est toujours l'as de pique. Comme elle s'étonne qu'il ait pu l'aider, il explique qu'il a  soudoyé le majordome. Le soir, il lui laisse la somme convenue et promet de lui donner la réponse à la devinette le lendemain. Mais il s'enfuit à la gare routière sous la pluie. Il voit sur un billet que la réponse à la troisième devinette est "un pet". Il est déplumé par les deux complices, l'un d'eux exige sa veste et ce qu'il tient dans la main.

Au matin, la fillette pleure puis est conduite chez le vieux. Elle subit l'épreuve du détecteur de mensonge avant que le vieux explique que la gamelle devant lui est ce qu'à emporté sa fille avant leur brouille de dix ans. Elle voulait la détruire comme preuve qu'il avait survécu à la guerre. Elle est morte dans un incendie, il veut connaître le contenu de la lettre brûlée à l'intérieur. La fillette entreprend de lui en faire part : "Comme elle ne sait comment l'appeler, la première ligne restera vide" commence t-elle. Dans un nouveau camion de marchandise, le Rêvoleur a les mains tachées de sang, vides.

"Elle sent le souffle du Rêvoleur faiblir. Le temps est compté. le Rêvoleur arrive au dernier soir de 1999"


5 - Sur le dock, Apollo voit un gang à moto torturer un homme. Le gang parti, il vole le téléphone de l'homme qui lui apprend que le bateau arrivera le lendemain matin à 7 heures. Une femme croquant une pomme l'observe. Riant avec elle, Il la suit. Elle lui dit s'appeler Tai Zhaomei. Apollo découvre un revolver dans un étui à violon. Il la suit, bassine sur la tête pour se protéger de la pluie, dans le quartier des prostituées. Ils se rapprochent dans une ancienne maternité. C'est alors que surgit Monsieur Luo. Tai Zhaomei lui rappelle sa promesse de la libérer le lendemain. Il lui répond que ce n'est donc pas encore l'heure. Devant lui, tous le respectent et lui libèrent le passage. Alors que la pluie redouble, ils entrent dans un karaoké, L'aurore. Tai Zhaomei, en colère, brise les bouteilles rouge d'une valise. Dans une autre valise, on présente un micro à Monsieur Luo pour qu'il chante une romance exaltant la douceur et l'inutilité des armes. Apollo surgit, brise une fenêtre pour pénétrer dans le karaoké et est roué de coups par le gang des impers qui va jusqu'à lui fracasser un bloc de glace sur la tête. Il est amené face à Monsieur Luo qui lui fait remarquer qu'il ne s'est pas servi de son arme pour se défendre. "C'est pour protéger celle que j'aime". "Oublie moi" réplique pourtant celle-ci. Comme Monsieur Luo lui ordonne d'enlever ses gants, Apollo lui tire dans la main. Calme, Monsieur Luo laisse le sang se déverser sur un verre. Monsieur Luo parti, Tai Zhaomei chante "Prends plaisir aux premières lueurs de l'aube. Achète une fleur de magnolia". Apollo voit le jour s'accélérer par la fenêtre. Dans la rue, projection de L'arroseur arrosé. Au petit matin, ils s'enfuient. Sur le quai, le bateau rouge les attend. Elle lui avoue être un vampire. Il se laisse mordre et l'embrasse. Le soleil levant est devant eux.

Épilogue. "Pour elle, deux petites heures viennent de s'écouler Mais pour le Rêvoleur, un siècle entier vient de passer. Elle s'immisce dans le dernier rêve du Rêvoleur pour qu'il puisse se sentir de nouveau près de sa mère". Elle déshabille Apollo, le lave et le rase. Remet son masque blanc, gants et peau aux pied. Elle fignole la peinture et le conduit à l'ascenseur puis à la porte rouge qui ouverte permet au corps de se dissoudre dans un océan étrange. "Avant qu'il ne disparaisse définitivement, elle comprend à quoi s'accrochait tant le Rêvoleur. Elle décide d'utiliser le cinématographe, cette magie oubliée de tous, pour avoir un dernier dialogue avec lui. Je ne sais pas qui tu seras à l'avenir mais je sais que nous sommes tous des ossements de l'histoire. A cet instant, tu te trouves à l'extérieur de l'écran. Adieu, malgré ce rêve plein de souffrance et d'amertume. Adieu même si ce rêve s'est déjà brisé".

Des hommes et des femmes de lumière viennent assister à un spectacle dans un théâtre de cire, c'est le cinéma du début. Les êtres s'éteignent et les décors fondent. Dans cet océan de cire, apparaît le mot "résurrection".

Le récit s’attache à un dissident, surnommé "le Rêvoleur", et à une femme, dite "La Grande Autre", qui l’accompagne fantômatiquement par la voix, dans son état soumis à des songes multiples et presque tous douloureux et violents. Ces voyages sont faits au travers d'une créature-cinéma, ce qui permet Bi Gan de déployer cinq moments clés de l'histoire du cinéma. Mais c'est bien davantage à un éloge de notre être de spectateur, à notre capacité à glisser sur les déplacements temporels, thématiques et visuels qu'il en appelle. Être immortel sans pouvoir rêver, c’est être condamné à rester dans la même vie, indéfiniment. Ceux qui acceptent que leur vie se consume comme une bougie, métaphore qui intervient à la fin de chaque partie, ont la possibilité d'une résurrection; plus simplement d'une nouvelle séance de cinéma. Ainsi, c'est bien à un éloge du spectateur de cinéma que nous convie Bi gan à condition que celui ci veille sur le cinéma comme une mère, La grande autre, ou un père, thème récurrent des différentes parties.

Cinq moments clés de l'histoire du cinéma.

Le film se compose de cinq parties. Chacune propose incarnation puis réincarnations successives du Rêvoleur en monstre, Qiu, Fils de Chien, Arnaqueur et Apollo en insistant, dans chacune des parties, sur l'un des cinq sens et déployant plusieurs formats d'image.

La première partie, axée sur la vue, s'attache au cinéma muet et propose son format d'image presque carré associé, le 1.33. On y voit un pastiche de L’arroseur arrosé (Louis Lumière, 1895), le visage lunaire cher à Georges Méliès depuis Le voyage dans la lune (1902) jusqu'à La conquête du pôle (1912). L'influence du cinéma expressionniste allemand  y est évidente avec les décors tarabiscotés du Cabinet du Dr Caligari (Robert Wiene, 1920) et la créature qui évoque Nosferatu (Friedrich W. Murnau, 1922). Débarrassé des fumées d'opium, le monstre voit sa laideur dans les yeux de la Gande Autre et voit enfin la nature même s'il est gravement blessé par La Grande Autre dans son jeu involontaire qui le conduit à être un arroseur arrosé.La transition avec la partie 2 s'effectue par le procédé cher au cinéma muet : une fermeture à l'iris, dans la campagne et une ouverture l'iris (dans le train).

Cette seconde partie est axée sur l’ouïe, notamment avec le thérémine, l'un des plus anciens instruments de musique électronique, inventé en 1920 par le Russe Léon Thérémine. Elle s'attache à l'athmosphère du film noir des années 40 et 50. Le changement d'époque est manifesté par l'élargissement de l'écran au 2.35, sciemment anachronique. Si la séquence dans la miroiterie évoque La dame de Shanghai (Orson Welles, 1946). C'est En quatrième vitesse (Robert Aldrich, 1955) qui en est le modèle principal avec la valise qui rend fou. Elle libère in fine l'énergie atomique d'où la lumière qui surgit du corps du Rêvoleur, brûlant le commandant et le train entier. Formellement, dominent les figures du fondu-enchaîné et du flash-back. Située à la fin de l'invasion japonaise de la Chine, l'exfiltraion de Qiu, habillé en femme, dans la gare éclairée de bougie évoque aussi le Wong Kar-wai de In the mood for love.

Ces deux premières parties sont emplies de références et de formalisme, ce qui est moins le cas des parties suivantes où s'affirme davantage la nostalgie d'une liaison père-fils. Il en est ainsi de la troisième partie, axée sur le  goût, l'amertume, avec un film de fantôme chinois au format 2.35 et se situant lors de la révolution culturelle dans les années 60. La douleur d’un deuil et d’un remords est transcendée par une renaissance canine. Cette partie centrale fait intervenir le bouddhisme à l'origine, peut-être, du projet de Bi Gan de percevoir le monde par les cinq sens plus l’esprit.

La quatrième partie est axée sur l’odorat et probablement située au moment de l'insurrection de la place Tienanmene en 1989. L’arnaque de prescience aide un père à entendre les derniers mots de sa fille disparue par la "lecture" d’une lettre brûlée. La cinquième partie, un film de vampire, lyrique histoire d'amour, axée sur le toucher, se clôt sur le soleil levant au matin du 1er janvier 2000. Bi Gan y déploie son plan-séquence avec encore plus de virtuosité que dans ses deux films précédents. D'une durée de 37', certes "moindre", il comporte en effet une partie en caméra subjective (Monsieur Luo) et un plan en accéléré au travers d'une fenêtre. Il est filmé au format 1.85.

Bi Gan utilise le plan-séquence comme permettant une distorsion généralisée, celle où, selon le carton initial, le temps se convulse dans l'espace, une expérience optique où tout se déforme sous l’effet du rêve. En brouillant les échelles, il redonne à l’image une dimension d’incertitude, oscillant entre perception et hallucination, entre expérimentation et romantisme. La porosité entre surnaturel et supposé réalisme constitue la clé de chaque accomplissement intime dans le rêve. C'était aussi le cas dans la première partie avec les figurines de la fumerie d'Opium ou le corps démesurément serpentant de La Grande Autre.

La distosion joue aussi dans le bric à brac de l'épilogue où l'on retrouve le paon blanc, de multiples statues de Bouddha , la valise du thérémine et les fleurs de pavot. Le monte-charge par lequel il descend ne peut manquer d'évoquer l'étrange réservoir dans lequel Qiu est torturé. Mais ce sont les variation sur le rapport père enfant que l'on retrouve le plus souvent : le père assassiné dans le conte chinois, le père disparu de la fillette de la quatrième partie, ce rôle possible pour M. Luo qui doit laisser Tai Zhaomei s'émanciper

Eloge du spectateur de cinéma

Que restera t-il du cinéma si, à l'image de Xi Jinping, on rêve de prolonger éternellement la vie et de dictature sans fin du parti communiste dans des objectifs uniformisés ? Que reste t-il au commandant prêt à se percer les oreilles pour entendre une voix unique : sans doute ce qu'il retranscrit de l'auteur anonyme sur lequel Bach à composé son chant « Komm süsser Tod » BWV 478. Cette mélodie funèbre aspire à la paix du repos éternel : "Viens, douce mort, viens, bienheureux repos ! Viens, et conduis-moi dans la paix, car je suis fatigué du monde, viens, je t'attends, viens, conduis-moi et ferme mes yeux ".

En choisissant de rêver, les rêveurs font le choix de visions personnelles face à un contemporain uniformisé et dénué de toute individualité, quitte à souffrir et à finir pourchassés et condamnés à la clandestinité. L'épilogue nous invite à rester des êtres de lumière allant au cinéma en assumant de finir consumé à chaque fin de représentation pour une résurrection pour assister à une nouvelle séance. C'est ainsi que le film se termine par son titre, non pas placé au début comme habituellement, mais comme image finale.

Réflexion lyrique et douloureuse sur le cinéma, Resurrection est le digne successeur de Holly motors, lui-même film cinéma d'un personnage en mutation à chacune de ses missions.

Jean-Luc Lacuve, le 20 décembre 2025, aprés le ciné-club au Café des Images.

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