There will be blood

2007

Genre : Film épique

D'après Pétrole !, le roman de Upton Sinclair. Avec : Daniel Day-Lewis (Daniel Plainview), Paul Dano (Paul Sunday / Eli Sunday), Kevin J. O'Connor (Henry Brands), Ciarán Hinds (Fletcher Hamilton), Dillon Freasier (H.W. Plainview), Russell Harvard (H.W. adulte). 2h38

1898, Daniel Plainview creuse en plein désert pour trouver du pétrole. En se précipitant pour voir le résultat de sa dernière explosion, il se brise une jambe au fond du trou mais réussit à remonter la force des bras. Il achète la concession de Coyote Hills.

1902 Daniel Plainview a embauché une équipe pour extraire le pétrole. Celui-ci est remonté par seau du fond du puits. Un ouvrier y laisse la vie. Il élevait seul un bébé et Daniel Plainview l'adopte alors.

1911. Avec son fils, H. W., Daniel Plainview fait la tournée des fermiers à la recherche de pétroliers pour exploiter leurs concessions. Il obtient celle de Signal Hill en se servant de la figure d'angelot de son fils pour amadouer les fermiers. Un soir, le jeune Paul Sunday, en rupture avec sa famille californienne, vient lui parler du ranch de son père où, dit-il, le pétrole affleure à même le sol.

Plainview décide d'aller tenter sa chance et part avec son fils H. W. à Little Boston où, pour 3700 dollars, il achète le ranch d'Abel Sunday. Il promet aussi à Eli, le frère de Paul, 5000 dollars s'il trouve du pétrole afin que celui-ci construise l'église de ses rêves. Plainview rachète les terres environnantes promettant aux fermiers éducation et pain pour leurs enfants. Fletcher Hamilton, son contremaître, et les ouvriers arrivent à la gare. Eli vient lui demander de bénir le puits de forage. Plainview accepte mais, le jour de l'inauguration, il le dédaigne et met en valeur Mary, sa jeune sœur, dont H. W. s'est épris.

Soudain, le gaz sort du puits et explose en projetant HW à terre qui perd l'ouïe. Le pétrole s'enflamme et Plainview parvient à éteindre l'incendie. Eli vient réclamer son dû, les 5000 dollars mais est corrigé par Plainview lorsqu'il lui reproche de n'avoir pas pris soin de son fils en l'empêchant de bénir le puits.

Débarque un inconnu qui dit être Henry son frère d'une autre mère. Aux négociateurs de la Standard Oil, Plainview vend Coyote Hills pour 150 000 dollars mais refuse pour 1 million de dollars de vendre les nouveaux puits de Californie même si se pose l'épineux problème du transport du pétrole jusqu'à la côte. Il a pour cela besoin d'acheter les terres de William Bandy dont il avait négligé jusqu'alors l'offre de négociation. Au cours du voyage d'exploration du futur pipeline, Plainview fait des confidences à Henry. Il s'aperçoit alors que celui-ci ne connait pas un détail important de sa prime jeunesse.

Henry réclame l'indulgence de Plainview et propose de partir mais celui-ci le tue. Bandy le découvre au matin et lui impose de faire partie de l'église de la troisième révélation ; de se faire baptiser pour obtenir son accord pour le pipeline et taire qu'il a tué son faux frère. Plainview doit se résoudre à une cérémonie humiliante où il déclare avoir abandonné son fils, demander à boire le sang du christ, et est battu par Eli.

Le pipeline est construit. Et Plainview récupère son fils auprès de lui. Celui-ci joue avec Marie. Marie est devenue grande. Elle est sa femme elle lui parle par signes. Nous sommes en 1927.

HW lui annonce son départ pour le Mexique où il veut monter sa propre entreprise. Plainview y voit là une menace et il lui révèle qu'il n'est pas son fils et le rejette comme pire qu'un batard... ce qu'il regrette en pensant au passé.

Eli vient lui rendre visite. Il est ruiné par la récente crise économique et veut lui vendre pour 100 000 dollars l'exploitation du pétrole des Bandy, maintenant propriété du fils. Pour cela Plainview réclame qu'il dise "Je suis un faux prophète et Dieu est une superstition". Une fois cela fait et à plusieurs reprises, Plainview lui révèle qu'il n'y a plus de pétrole chez les Bandy; qu'il l'a siphonné depuis longtemps par drainage. Puis il se met sauvagement en colère contre Eli et le tue d'une quille de bowling. Au serviteur qui vient, intrigué par le bruit, il déclare : "J'ai fini "

Jonny Greenwood, le guitariste de Radiohead joue les premiers rôles dans la séquence d'ouverture où sa musique accompagne la vue des imposantes collines sous lesquelles creuse en solitaire Daniel Plainview. L'obstination et l'impression constante du danger viennent autant de la partition contemporaine stridente et rythmée que des coups de pioche et des explosions du prospecteur. Se mettent déjà en place les deux constantes du personnage : sa misanthropie et son obsession masochiste à relever les défis.

Anderson a considérablement réduit la dimension sociale du roman de Upton Sinclair en évacuant notamment le rôle des syndicats. Il s'est focalisé sur le destin de Plainview (plein la vue !?) décrivant son ascension puis sa chute à la manière du Barry Lyndon de Kubrick. Il n'a pas cherché à introduire de dimension amoureuse dans l'histoire de cet homme torturé. Cela le distingue du pensum de Georges Stevens, Géant, l'autre long (à défaut de grand) film de la découverte du pétrole. Si le film fait parfois penser au Citizen Kane de Welles c'est moins par la structure du récit, classiquement linéaire ou par la dimension du personnage (il recherche moins la reconnaissance politique que le combat) que par l'errance finale dans sa grande maison déserte, sorte de Xanadu empli d'un bric-à-brac de nouveau riche inculte.

Le cœur du propos d'Anderson semble bien être plutôt la névrose du combat permanent qui anime ce personnage épique sans épopée. Au mieux voit-on deux ou trois derricks et quelques morceaux de pipe-line. There will be blood, tout entier tourné vers son personnage central, raconte l'histoire d'un solitaire misanthrope sans famille qui ne peut vivre que dans l'opposition. C'est ce combat tragique contre le bonheur que met en scène avec brio et discrétion Paul Thomas Anderson.

Une famille impossible

Le scénario privilégie ainsi tous les personnages qui pourraient constituer une famille et qu'il contraint à se détourner de lui. C'est d'abord H. W. que l'on voit d'abord dans les bras d'un homme qui pourrait être son père et que Daniel semble adopter lorsque l'homme est victime d'un accident. S'en servant comme d'une mascotte (il le baptise au pétrole), il est fort probable qu'il ne l'adopte que pour l'air respectable qu'il peut ainsi se donner auprès des paysans. C'est bien comme ça que le comprend son alter ego prospecteur qui lui envie cet angelot à ses côtés.

La mise en scène dit pourtant assez à quelle torture il condamne son fils lorsqu'il le gêne. Il le tranquillise à coup de whisky dans le verre de lait, rappel trash du biberon humecté de whisky lorsqu'il tentait de calmer le bébé en pleures. H. W. , lisant dans le vrai journal du faux frère, la froideur de celui qu'il prend pour son père prépare un parricide en mettant le feu à sa baraque. Daniel lui jettera finalement à la figure sa bâtardise lorsqu'il estimera avoir en face de lui un concurrent regrettant dans un flash mental un instant de bonheur parmi d'autres avec celui qui aurait pu être son fils.

Seconde figure familiale après celle du faux fils, celle du faux frère. Celui-ci a pourtant repris toutes les caractéristiques du frère et se comporte avec amitié avec Daniel qu'il semble mieux comprendre que quiconque acceptant par exemple d'un même mouvement le départ de la table de négociation avec la Standard Oil. Daniel l'abat en dehors de toute considération de morale ou de profit seulement parce qu'il s'est dressé contre lui en ne respectant pas les règles du jeu. Là encore, la régénération possible, celle par le plaisir des filles ou de l'océan n'aura pas lieu.

C'est même à l'enfer qu'il se condamne ou plutôt à la troisième fausse figure de la famille ; celle de la communauté élargie. Le vieux Bandy a retrouvé l'arme du crime et le condamne à rejoindre la congrégation de la troisième révélation. Daniel finira là aussi par obtenir une victoire à la Pyrrhus contraignant Eli à la fameuse phrase : "I am a false prophet! God is a superstition!" qu'il noiera dans un bain de sang.

La verticalité des Derricks permet de nombreux symboles depuis celui, manifestement phallique, de la fin de Ecrit sur du vent.

Ecrit sur du vent : industrie et désir plein champ

Ici la verticalité est plutôt associée au danger qu'elle soit descendante (la masse mal accrochée à la corde qui menace toujours celui qui creuse au fond du puits) ou ascendante (le jaillissement du pétrole associé au gaz qui provoque la surdité de HW). Ici la dégradation du monde ramène Daniel à la position allongée, celle qu'on le voit prendre lorsqu'il parvient à se traîner vers le bureau de vente des concessions ; celle d'où son frère le réveille pour le faire échapper à l'incendie et celle qui le voit avachi lorsque Eli vient le retrouver dans sa maison.

There will be blood : affrontement et masochisme

Les jeux d'échos sont nombreux : le baptême au pétrole de HW renvoie au fait qu'il en sera couvert pour son malheur lors du jaillissement assourdissant du pétrole. La séquence attendrissante dans le train avec HW jouant avec la moustache de son "père" renvoie à son abandon plus tard dans un train similaire.

baptisé puis aspergé de pétrole
recueilli puis abandonné dans un train

La mise en scène se charge aussi de dire le mensonge : l'opposition entre un discours qui parle de famille et la caméra qui montre des hommes seuls. Un discours qui parle de culture du blé et la caméra qui montre des terres arides.

L'opposition la plus forte est celle entre Daniel et Eli n'est pas traitée sur le mode épique d'un but à atteindre pour l'un des deux. Eli ne menace jamais Daniel. Certes l'un fait payer un peu plus cher à l'autre le terrain, certes l'un refuse à l'autre sa reconnaissance officielle comme chef de la communauté religieuse puis les 5000 dollars promis mais si la détestation est profonde elle n'est jamais montée en épingle pour obtenir quelque chose. Et l'on sent l'effondrement de Daniel lorsque son meilleur ennemi s'en va.

Probablement l'assassinat final est-il une façon de mener un dernier combat aussi tragique et inutile que les précédants : Daniel Plainview était au fond du trou depuis longtemps.

Jean-Luc Lacuve, le 3 mars 2008