Gloria se rend dans le club de Kendo où elle travaille comme femme de ménage. L'un des combattants s'attarde sous la douche et Gloria n'est pas insensible à son corps. L'homme lui fait signe de venir. Cependant, après un bref début d'étreinte échevelée, Gloria est déçue. Frustrée, elle s'entraine à donner des coups de shinai, le sabre de bambou du kendo, dans la salle déserte.
Antonio, son mari, conduit son taxi et charge un client, Lucas Villalba, pour le 4 avenue Donostiarra, justement l'immeuble où il habite. Lucas remarque qu'il écoute une chanson de Lotte von Mossel. Antonio lui avoue qu'il fut un temps chauffeur à Berlin d'une amie de la chanteuse, elle-même jeune chanteuse Ingrid Muller. C'était sa maitresse. Pour elle, il écrivit avec son talent de faussaire des lettres d'Hitler pour les mémoires de Lotte, qu'elle rédigeait. En bas de l'ascenseur, ils croisent Juani qui maltraite sa fille, la petite Vanessa. Celle-ci, par ses pouvoirs magiques, provoque la panne d'ascenseur. Antonio laisse Lucas chez leur voisine, Cristal, une prostituée.
Gloria n'a guère le temps de souffler : elle fait la vaisselle et le linge. Quand Lucas l'interroge pour ses devoirs, s'estimant peu compétente, elle le renvoie vers sa belle-mère. Celle-ci, Abuela, le renseigne avec aplomb en ne lui fournissant que des réponses inexactes.
Antonio, macho, attend d'être servi par sa femme tout en regardant la télévision avec sa mère. Gloria doit se contenter de la part du poulet qu'elle a trop laissé griller. La belle mère échange la peau des os de poulet contre de l'eau gazeuse qu'elle garde sous clé.
Cristal vient demander si, par hasard, Gloria n'aurait pas un fouet pour son client. En effet Lucas, journaliste-écrivain, est venu se documenter pour écrire un roman porno mais il est déçu des prestations trop conventionnelles de Cristal. Elle doit se contenter d'un bâton, porte bonheur d'Abuela, qui ne convient pas à Lucas. Il propose en partant à Cristal d'employer Gloria comme femme de ménage chez lui et chez son frère. Cristal lui dérobe un chèque supplémentaire qu'elle fait signer par Toni qui a le même talent de faussaire que son père.
Miguel, le cadet rentre après avoir couché comme habituellement l'un des papas de ses petits copains. Cristal accepte de le nourrir mais ne parvient pas à le tenter de coucher avec elle. Gloria sniffe de la colle avant de dire bonne nuit à ses deux garçons.
Le lendemain matin, Gloria se dispute avec son mari qui refuse qu'elle fasse des ménages. Mais comme il n'a pas d'argent à lui donner pour les courses, elle s'y rend quand même. Elle marche dans la rue avec Juani qui maltraite toujours Vanessa. Gloria voudrait s'acheter un fer à friser. Lucas et Patricia, sa femme se disputent, en panne d'inspiration. Ils se rendront le soir chez son frère psychiatre, complètement perdu car Marisol, sa fiancée, l'a quitté.
Toni, que la drogue de la veille indispose, ne va pas à l'école. Il rencontre sa grand-mère dans le café où il deale un peu d'herbe. Puis dans un parc désolé autour des immeubles, ils découvrent un lézard qui hiberne. Elle le nomme "argent", c'est ce qu'elle aime et il est vert, de la couleur des dollars.
Gloria de retour de son ménage tient bon, grâce aux amphétamines que Toni mélange aussi avec la drogue qu'il vend. Gloria emmène Miguel son rendez-vous chez le dentiste dont elle remarque la pédophilie qui convient à son fils. Elle lui propose de l'adopter s'il veut bien satisfaire tous ses désirs : cours aux beaux-arts et chaine hifi. Gloria peut ainsi s'acheter son fer à friser. En rentrant, Cristal lui propose de venir l'assister avec un client exhibitionniste qui prétend avoir une très grosse bite.
Pendant ce temps, Lucas propose à Antonio de rédiger à la main les fausses mémoires d'Hitler qu'il va lui écrire. Mais Antonio refuse. Le soir, Pedro, le frère de Lucas, refuse d'aller à Berlin et de traduire les futures fausses mémoires d'Hitler. Lucas et Patricia le saoulent et le volent.
Le lendemain, nouvelle dispute entre les époux alors qu'il écoute Lotte von Mossel très fort. Chez Pedro, Polo, vient consulter pour son impuissance. Gloria qui est venue faire le ménage reconnait en Polo l'homme avec qui elle tenta de faire l'amour sous la douche. Pol découvre qu'il a été volé la veille mais pense qu'il s'agit de Marisol, venue reprendre ses cadeaux.
Pendant ce temps, Lucas a pris l'avion pour Berlin afin de convaincre Ingrid Muller de persuader Antonio de rédiger pour elle les mémoires d'Hitler. Lucas arrive juste pour empêcher le suicide d'Ingrid qui se laisse convaincre de téléphoner à Antonio. Celui-ci se révèle prêt à tout pour elle, ce qui irrite Gloria qui assiste à la conversation téléphonique. Il se fâche contre elle. Abuela va avec Toni voir La fièvre dans le sang au cinéma.
Excédée, sans antidépresseur, Gloria court à la pharmacie mais la pharmacienne refuse de lui vendre amphétamines ou antidépresseur. De retour chez elle, Gloria craque. Elle n'accepte pas de repasser une chemise de son mari qui s'apprête à rejoindre Ingrid à l'aéroport. Une violente dispute éclate entre les deux époux. Il la gifle, Gloria se défend avec un os de jambon qui assomme Antonio. Gloria ne voit pas qu'il se brise la nuque en tombant contre le rebord de la cuisinière. Gloria est appelée par Cristal pour séparer Juani et Vanessa qui se disputent. Au retour, les deux femmes constatent la mort d'Antonio.
Une enquête est ouverte mais la police innocente Gloria, ne retrouvant pas l'arme du crime : l'os du jambon qui mijote. Les policiers, excédés, tuent le lézard. C'est Pedro qui conduit l'enquête ce qui l'amène à interroger Cristal.
Quelques jours plus tard, Lucas et Patricia vont chercher Ingrid à l'aéroport. Ils apprennent d'un journal ramené par des touristes qu'elle s'est suicidée. Ils apprennent aussi la mort d'Antonio. Voila leur espoir de gains faramineux détruits. Abuela désire rentrer au village et Toni décide d'arrêter l'école et de l'accompagner.
Gloria est désormais libre ; elle décide de refaire le papier-peint de sa cuisine. Elle est aidée en cela par les pouvoirs surnaturels de Vanessa. Pedro a emmené Cristal chez le psychiatre et la présente comme sa fiancée. Polo prescrit à Pedro des jeux érotiques avec Cristal mais lui interdit malicieusement de la pénétrer... ce qu'il ne fera pas.
Dans la salle de Kendo, Gloria avoue à Pedro qu'elle a tué son mari. Il lui conseille d'éviter de parler de cela.
Gloria accompagne sa belle-mère et Toni au car pour le retour au village. La vie dans son appartement, devenu soudain trop grand, trop vide, n'a plus de sens. Elle est sur le point de se suicider, mais le retour de Miguel à la maison l'empêche de commettre l'irréparable.
Quatrième film de Pedro Almodovar, Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? (1984), est une œuvre clé et pourtant peu connue et peu diffusée. Dans ce film extrêmement personnel, Pedro Almodovar y joue, ainsi que sa mère, un petit rôle. Ce réquisitoire implacable contre l'urbanisme franquiste, garde pour autant toute la fantaisie débridée de la période de la Movida.
Gloria et ses soeurs
Almodóvar, à la manière de Visconti dans Rocco et ses frères, s'est souvenu de ses origines modestes pour écrire ce film à la fois mordant et émouvant, qui décrit une famille venue de La Mancha, la terre d'origine du cinéaste, pour vivre à la périphérie de Madrid, dans un affreux ensemble de HLM. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? est le film dans lequel Pedro Almodovar a mis le plus de souvenirs liés à sa propre famille : Le personnage de Chus Lampreave est inspiré de sa mère et utilise des expressions courantes qui sont typiquement celles qu’elle emploie. Pedro Almodovar a été jusqu'à habiller Carmen Maura, avec les vêtements qui appartenaient à ses sœurs ou à des amies de ses sœurs chez qui il est allé les chercher. La mère du réalisateur, Francisca Caballero, fait d’ailleurs ici sa première apparition au cinéma, en jouant son propre rôle.
Pedro Almodovar rend très sensible le supplice consistant à affronter chaque jour le monde le plus terne qui soit, comme doit le faire son héroïne, Gloria. Sa souffrance n'est cependant jamais feinte, et l'interprétation de Carmen Maura rend le personnage poignant.
Madrid, et en particulier son quartier de la Concepción, est aussi primordial. Dans un entretien avec Borjo Cassini pour le dossier de presse du film, Pedro Almodóvar précise :
"[Ce quartier] représente l’idée que Messieurs Banus (célèbre constructeur immobilier) et Franco se faisaient du confort, un confort exclusivement destiné au prolétariat. […] Des commodités grotesques, infernales, impossibles à vivre. L’esthétique du quartier m’avait profondément impressionné. […] Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? est un film très laid… Autant les intérieurs que les extérieurs, tout est moche…
Pour accentuer ce sentiment de laideur et d’isolement, les couleurs sont hivernales et les plans sont pour la plupart fixes, rendant palpable le confinement de ce petit appartement.
Femme au bord de la crise de nerfs.
Ménages et scènes de ménage ont fait de cette prolétaire une femme au bord de la crise de nerfs. Gloria sniffe des produits ménagers ou de la colle avant de s'en servir. Elle recourt quotidiennement à des amphétamines, tandis que Toni vend de l'herbe et Gloria use de l'héroïne pour rester mince. Miguel se fait de l'argent en couchant avec le père d'un copain. Abuela est accro aux madeleines et au Vichy Catalán.
Autour de Gloria, s'immisce pourtant une fantaisie débridée : son mari macho est amoureux d'une chanteuse allemande, Ingrid Muller, qui rédigea les mémoires de Lotte von Mossel, qui fut la maîtresse d'Hitler. Le loufoque abonde dans quelques scènes : l'aplomb de la grand-mère radine et se prétendant moins analphabète que sa progéniture pour délivrer pourtant systématiquement des réponses fausses. Le dentiste excessivement pédéraste. L'exhibitionniste dont on attendra (vainement) qu'il montre la "grosse bite" qu'il prétend avoir. Le plan secret des fausses mémoires d'Hitler révélé devant une vitre où tout le monde est agglutiné et suit la conversation pendant qu'un habitué du bar imite une voiture des 24 heures du Mans et une camionnette qui a du mal à démarrer. Il n'y a pas jusqu'au maniement du shinai, le sabre de bambou du kendo, qui sera utile à Gloria pour assommer son mari et le tuer en l'assommant d'un coup de jambon à l'os avant qu'il ne se brise la nuque accidentellement. Enfin les inspecteurs ne voient pas l'arme du crime en train de mijoter dans la soupe préparée pour Gloria, référence à l'épisode télévisée de Hitchcock, L’inspecteur se met à table (Lamb to the slaughter, 1958).
Une libération impossible
Deux spots publicitaires sont diffusés à la télévision. Dans le premier, une jeune femme toute enamourée raconte comment son idylle amoureuse s'est mal terminée. Au matin, son chéri qui lui préparait son café bouillant le lui a accidentellement renversé sur le visage la défigurant à vie. Le second est un duo musical que Pedro interprète avec son complice de la Movida, Fabio McNamara (qui tournera bien mal une fois sa folle jeunesse passée...) ; une interprétation totalement kitsch d'un air mexicain. L'un et l'autre de ces spots sont en complet décalage avec l'art revendiqué par Almodovar. Le premier est une parodie de la célèbre séquence de Règlements de comptes (Fritz Lang 1953), dans laquelle Gloria Graham reçoit une cafetière bouillante sur la figure. Le second est totalement contraire à l'esthétique de la Movida, esthétique rock et débridée.
Ces spots publicitaires, compagnons de la ménagère et asservissements des masses, condamnent à un kitsch constant qui est une forme d'emprisonnement. Cristal a transformé son appartement en lieu de prostitution et celui de Gloria est encombré de décorations plus laides les unes que les autres (tapisseries, vases, figurines...). L'image finale de réconciliation avec son fils, Miguel, qui l'empêche de se suicider, serait un happy end plus certain si, à l'arrière-plan ne figurait le tableau d'une nature, eau et forêt, très artificielle.
Rien n'est toutefois perdu. Avec L’inspecteur se met à table (Lamb to the slaughter, 1958) Hitchcock adaptait une nouvelle de Roald Dahl de 1953. On aurait pu penser qu'Almodovar surenchérissait en empruntant aussi à Roald Dahl le personnage de Vanessa qui comme dans le roman Matilda (1988) possède des pouvoirs magiques de télékinésie qui la protègent de sa famille indigne... mais le roman parait quatre ans après le film. On y retrouve toutefois la possibilité (illusoire ?) d'échapper par la magie à une condition sociale difficile.
Jean-Luc Lacuve, le 22 mars 2018