Volume dirigé par Yann Calvet et Jérôme Lauté
Tim Burton, le fils prodige du septième art
Introduction
par YANN CALVET ET JÉROME LAUTÉ
L'uvre de Tim Burton n'a de cesse d'interroger la mythologie américaine et ses relations à la création. Ainsi, dans la grande tradition du fantastique, le rapport de la normalité à la monstruosité se situe au cur des stratégies narratives du cinéaste. La question de l'altérité et du morcellement de la personnalité sont autant de marqueurs d'une approche quasi existentialiste du cinéma, via laquelle le réalisateur questionne tout autant notre personnalité profonde que notre rapport au monde.C'est ce que prouve et illustre ce numéro d'Eclipses-revue du cinéma avec ses articles thématiques ou consacrés à une uvre particulière du cinéaste.
I. Vers une esthétique burtonienne
II. Les créatures animées : du conte aux mythes
III. Reflexivité et intertextualité
IV. Précis d’animalité et de monstruosité
Dans Le maître de marionnettes, Yann Calvet soutient que Tim Burton a de ses personnages une approche plus graphique que psychologique. A partir des corps d'acteurs, il invente des personnages cartoonesque ; le corps humain est souvent animalisé (Batman returns) ou travesti. Le cinéaste développe ainsi une conception de l'acteur alternative a celle de l'interprète psychologique de la tradition classique. Le jeu de Johnny Depp dans Edward aux mains d'argents, Ed Wood et même Charlie et la chocolaterie comme celui de Jack Nicholson dans Batman est ainsi plutot proche de la tradition expressionniste avec son côté excessif, crispé, tendu aux gestes brusques, saccadés, parfois violents. La conclusion est que Tim Burton est un démiurge marionnettiste qui fait du cinéma pour satisfaire sa nécrophilie, c'est à dire son besoin de manipuler des choses inanimées pour leur redonner vie.
Fantaisie militaire d'Arnaud Devillard fait une comparaison entre La planète des singes de Franklin J. Schaffner et celle de Tim Burton qui n'est pas à l'aventage de cette dernière.
Dans son article, No exit, Jérôme Lauté analyse le film Sweeny Todd, souvent sous-estimé. Son sujet principal est l'exploitation de l'homme par l'homme et la violence faite à l'homme par l'homme, sous toutes se formes, jusqu'aux plus extrêmes, la vengeance s'y trouvant réduite à l'état d"épiphénomène. A ce titre la séquence centrale est le moment où Sweeny et Mrs Lowett conçoivent l'idée d'utiliser les corps des clients assassinés par le barbier pour garnir les tourtes de la tenancière, c'est à dire d'interpréter au sens littéral l'idée que les hommes se dévorent entre eux comme Plaute l'avait préconisé dans sa Comédie des ânes : l'homme est pour l'homme un loup. Il suffit de franchir un degré supplémentaire pour aboutir au cannibalisme, ce que Sweeny exprime ainsi dans le film : "Ecoutez ces sons sortants de la terre/ ces craquements qui envahissent l'air/ ce sont les hommes dévorant leurs frères ma chère..."
Pour la première fois dans l'univers du cinéaste, les machines absurdement et poétiquement compliqués donc anti-productives, aux utilisations diverses et variées, de la machine à préparer le petit déjeuner de Pee-wee, à la fabrique de chocolat de Willy Wonka, en passant par la machine à gâteaux de l'inventeur d'Edward, sont productives au sens propre, même si elles réduisent les cadavres en chair à tourte
A Jack l'éventreur, premier serial killer de l'ère industrielle, on attribue ces paroles : "L'histoire retiendra que j'ai fait basculer mon époque dans le XXe siècle". Que ces propos soient apocryphes ou authentiques, ils insistent sur le fait que dans la dénomination serial killer, réside l'idée de série et, partant de mise à mort mécanisée, froide, dépourvue de sens et d'affect. Ainsi Sweeny ne fait aucune distinction entre ses victimes, et ne manifeste aucune émotion en leur tranchant la gorge. Le serial killer est un produit de l'industrialisation de la société, non une aberration c'est ce qu'assène avec désespoir et conviction Tim Burton.