Coup de tête (Jean-Jacques Annaud, 1979)
Timbuktu (Abderrahmane Sissako, 2014)

Pour les élites anglaises qui inventent le football à la fin du XIXe siècle, ce jeu s'inscrit dans un projet éducatif global. Le rôle du sport dans la formation de l'individu y est clairement souligné. Dans les pays catholiques, le sport est une pratique secondaire dans la formation des jeunes mais il existe une exception de taille : l'Italie où le football a été pris en charge par l'Eglise après la libération. La façon dont les curés italiens ont chapoté cette pratique à d'ailleurs joué dans la définition du "jeu à l'italienne" : sobre, défensif et discipliné.

Au cinéma cette influence est explicite. Dans Rome, ville ouverte (Roberto Rossellini, 1945), c'est le prêtre arbitre qui est fusillé par les Allemands. Dans Le petit monde de don Camillo (Julien Duvivier 1952), d'âpres rivalités de clocher font bouillonner le petit village italien de Bassa et c'est sur le terrain de foot aussi que se règlent des comptes entre le maire du pays, Peppone, un rouge, et Don Camillo. Dans La messe est finie (Nanni Moretti, 1985), on voit un prêtre tenter de jouer au foot avec des gamins. Mais il bien vite mis à terre et doit se relever seul, métaphore de la perte d'influence de l'Eglise sur la jeunesse italienne.

En France le sport n'a jamais été le grand sport populaire hexagonal. C'est le vélo qui a , historiquement, occupé la première place dans le coeur des masses. Dans les campagnes, la bicyclette "parlait" à tout le monde. Le football a été privé des ressources financières des élites en particulier des dirigeants de la grande industrie. Certes à Lens, Sochaux (avec Peugeot) Saint Etienne (avec Geoffroy Guichard, fondateur de Casino) certains grands patrons ont bien essayé de développer le club local mais cela s'est toujours fait dans l'esprit paternaliste de la première moitié du XXe siècle, pour distraire les ouvriers. On en trouve une critique au vitriol dans Coup de tête (Jean-Jacques Annaud, 1979). Quant aux sommes investies, elles n'avaient rien de commun avec ce qu'a pu mettre la famille Agnelli (patronne de Fiat) dans la Juventus de Turin. Chez nous ce sont les PME régionales qui ont financé le foot, des petits patrons visant la notoriété locale, éventuellement nationale, mais jamais internationale.

Il faut attendre 1954 pour que l'Allemagne se passionne pour son équipe nationale : cette année là, elle remporte la coupe du monde et de footabll et devient la seule instance du pays à utiliser le qualificatif National (dans le mot Nationalmannshaft), banni depuis 1945. Cette fierté amnésique, alors que le travail idéologique sur la responsabilité du nazisme n'est qu'à peine amorcé mais que la course à un capitalisme sans moral est lancé, Fassbinder en fait la dernière sequence du Mariage de Maria Braun (1979) qui se suicide à la fin du match de 1954.

La crise de la classe ouvrière anglaise et la percée du thatchérisme sont le terreau du hooliganisme en Angleterre mais c'est cette même frustration sociale que l'on trouve à l'origine d'À mort l'arbitre (Jean-Pierre Mocky, 1984). Aux ouvriers qui passent leurs semaines à travailler durement avec une condition de vie difficile, il ne reste en effet que le football, nouvelle religion avec la fierté d’appartenir enfin à une équipe victorieuse. Avec son rôle d'inspecteur cynique toujours en retard, Mocky laisse ainsi apercevoir ce qui se passe si la frustration devient trop grande. Rico est conscient de sa bêtise ; dans les dédales d’un chantier il s'obstine à sa traque tragique, corrida sanguinaire, en criant "Allez les cons !";  bel exemple d'autodestruction d'une classe ouvrière frustrée, prête à tous les débordements quand on lui a ôté sa fierté. Le football peut néanmoins servir d'antidote à la déprime sociale, ainsi dans My name is Joe (Ken Loach, 1999), Joe, chômeur, ancien alcoolique, Joe ne baisse pas les bras. Il participe à des réunions d'Alcooliques Anonymes, entraîne avec son ami Shanks une équipe de foot, la plus mauvaise de Glasgow, regroupant les paumés du quartier, qui ont nom, si l'on en croit leurs maillots, Beckenbauer ou Ronaldo...

Pourtant le football est synonyme de joie pure. Ainsi des jeunes supportrices dans Mustang (Deniz Gamze Ergüven, 2015) qui ont enfin un stade à eux lorsque les hommes ont été interdits de stade pour violences répétées. Le match n'est pas filmé, seulement le contrechamp sur ses spectatrices heureuses et enthousiastes. La jeune fille de Hors jeu (Jafar Panahi, 2006) n'avait pas eu cette chance et n'avait pu assiter au match de qualification de l'Iran pour la coupe du monde de football. Restée aux abords du stade, elle avait néanmoins profité de la liesse populaire (l'Emirat de Bahreïn battu 1-0) et ainsi s'échapper du fourgon de police.

Même attachement au football comme signe de joie et liberté dans Timbuktu (Abderrahmane Sissako, 2014). Le football est puni de vingt coups de fouets. Mais Les jeunes gens du village, jouent sans ballon sur le terrain et miment de la gymnastique quand la police islamique vient les surveiller. Apres ce match, dernier instant joyeux du film, le drame se noue avec meurtre, lapidation et exécutions.

Pour voir au cinéma un match dans son entier, on pourra voir  Zidane : un portrait du XXIème siècle (P. Parreno, D. Gordon, 2006) ou Match retour (Corneliu Porumboiu, 2014) mais l'un est l'autre sont surdéterminés par d'autres enjeux que sportifs : faire oeuvre plastique pour le premier; évoquer des souvenirs d'enfance et la fin de la dictature pour le second. C'est encore dans, À nous la victoire (John Huston, 1981) que l'on peut probablement voir mis en scène un match avec suspens... même s'il se passe en 1943, sans oublier les belles séquences de Didier (Alain Chabat, 1997) ou, plus experimental, Substitute(2006) : Fred Poulet propose au footballeur Vikash Dhorasoo de lui confier deux caméras super 8, pour qu’il filme son quotidien jusqu’au 9 juillet, date de la finale de la Coupe du Monde de football à Berlin.

Source : Le football des nations. Des terrains de jeu aux communautés imaginées. Fabien Archambalut, Stéphane Beaud et William Gasparini (dir), Publications de la Sorbonne.

Rome, ville ouverte (Roberto Rossellini, 1945)
La messe est finie (Nanni Moretti, 1985)
 
Coup de tête (Jean-Jacques Annaud, 1979)
À mort l'arbitre (Jean-Pierre Mocky, 1984)
 
Mustang (Deniz Gamze Ergüven, 2015)
Timbuktu (Abderrahmane Sissako, 2014)
Principaux films :
       
Marinette Virginie Verrier France 2023
Comme des garçons Julien Hallard France 2018
Football infini Corneliu Porumboiu Roumanie 2018
Becoming Zlatan Fr. et Magnus Gertten Suède 2015
Mustang Deniz Gamze Ergüven Turquie 2015
Timbuktu Abderrahmane Sissako France 2014
Match retour Corneliu Porumboiu Roumanie 2014
Dans la cour Pierre Salvadori France 2014
L'arbitro Paolo Zucca Italie 2013
Looking for Eric Ken Loach G-B 2009
Maradona Emir Kusturica France 2008
She's the man Andy Fickman U.S.A. 2006
Hors jeu Jafa Panahi Iran 2006
Substitute Fred Poulet France 2006
Zidane : un portrait du XXIème siècle  P. Parreno, D. Gordon France 2006
Joue-la comme Beckham Gurinder Chadha G-B 2002
My name is Joe Ken Loach G-B 1999
Didier Alain Chabat France 1997
La messe est finie Nanni Moretti Italie 1985
À mort l'arbitre Jean-Pierre Mocky France 1984
À nous la victoire John Huston U.S.A. 1981
Coup de tête Jean-Jacques Annaud France 1979
Le mariage de Maria Braun R. W. Fassbinder Allemagne 1979
Le passager Abbas Kiarostami Iran 1974
Le petit monde de don Camillo Julien Duvivier France 1952
Rome, ville ouverte Roberto Rossellini Italie 1945

 

Retour