Une gazelle, silencieuse et affolée, court devant un pick-up sur lequel quatre hommes tirent à la mitrailleuse alors que flotte le drapeau noir du djihad. La violence du son des balles, qui déchiquètent les statues de bois d'un artisan malien, accompagne le générique.
Non loin de Tombouctou, un otage européen est transféré d'une bande de djihadistes à une autre. Dans les dunes à proximité, Kidane mène une vie simple et paisible, entouré de sa femme, Satima, sa fille, Toya et de Issan, son petit berger âgé de 12 ans. En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi.
"Où est la clémence ? Où est le pardon ? Où est Dieu dans tout cela ?" interroge l'imam. Mais rien n'y fait : fini la musique et les rires, les cigarettes et même le football alors que les djihadistes eux-mêmes se disputent sur les mérites comparés de Zidane et de Messi.
Zabou, la chamane créole aux vêtements multicolores, toujours accompagnée de son coq de cérémonie, bénéficie de la liberté accordée aux fous. Les jeunes du village jouent au football avec un ballon invisible et narguent les autorités qui viennent les surveiller en mimant alors de la gymnastique. Mais les femmes sont bientôt contraintes de porter non seulement le voile mais aussi des gants, même la vendeuse de poissons. Des tribunaux improvisés rendent chaque jour leurs sentences, coups de fouets ou lapidations pour un homme et une femme non mariés, découverts ensemble dans une chambre.
Kidane et les siens sont inquiets du départ des autres Touaregs, las des diktats des djihadistes. L'un de leur chef, Abdelkrim, quand il n'apprend pas à conduire, vient souvent faire des avances à Satima ou se cache pour fumer. Las d'être chaque jour un peu plus humilié, Kidane prend une arme quand Amadou, un pêcheur, tue GPS, sa vache préférée, que Issan avait laissé s'échapper. Il le tue accidentellement et est immédiatement arrêté par les djihadistes. Pendant ce temps, une jeune fille est enlevée de force à sa mère pour être mariée contre son gré à un djihadiste. L'imam fait inutilement la leçon à ses chefs.
La Charia est implacable : comme Kidane n'a que sept vaches, il est bien incapable d'en rassembler quarante pour obtenir le pardon de la famille d'Amadou. Il est condamné à mort. Le jour de l'exécution, un motard mystérieux vient chercher Satima. En l'apercevant, Kidane se précipite vers elle et tous les deux sont tués. Le motard tente vainement d'échapper aux djihadistes, Toya tente vainement de courir vers ses deux parents. Ces deux gazelles seront sans aucun doute bientôt abattues.
Abderrahmane Sissako se refuse à faire un film violent contre la violence des djihadistes pour privilégier le récit épique, ample et lumineux, qui célèbre la résistance des hommes de bien et le courage tranquille de ceux qui osent chanter, fredonner à voix basse alors que d'autres s'engagent dans la violence. Ce faisant, il prend le risque, en décontextualisant son propos, d'être mal compris par ceux qui ont subi cette violence en 2012. Il reste en revanche imperméable à l'optimisme lié à l'intervention internationale conduite par la France en 2013.
Un récit épique
Timbuktu euphémise la violence des djihadistes. Il les montre écoutant les propos moraux de l'imam. Même s'ils ne les appliquent pas, c'est là une retenue qui n'appartient sans doute pas au monde réel. Tout pareillement, les djihadistes n'arrêteront pas la musique un premier soir parce qu'elle chante les louanges du prophète. Leur violence terrible s'incarne dans ces plans de deux têtes, celle d'un homme et d'une femme, qui sont lapidés. Mais plus que l'horreur de l'action, dont chaque spectateur est convaincu, c'est la beauté de cette simple résistance que Sissako veut que l'on retienne d'où la stylisation de ces plans. Le plan large sur le lac, où Kidane a tué Amadou, se prolonge aussi longuement (1'30) pour magnifier la nature et souligner par là peut-être que l'horreur ne peut effacer la beauté.
L'allégorie d'un Eden menacé est permanente. Le campement de Kidane, sans la moindre crotte de chèvre ou de vache, bénéficie des lumières changeantes du désert, de la beauté de sa femme, de sa fille et de son fils adoptif. La gazelle silencieuse du début, traquée par les djihadistes avec ces mots mystérieux : "Ne la tuez pas, il faut la fatiguer !", on comprendra, à la fin seulement, qu'ils s'appliquent à ceux qui résistent encore : le motard ou Toya. Allégorie de la résistance aussi avec le match de football avec son ballon invisible ou avec Zabou, la chamane créole aux vêtements multicolores, toujours accompagnée de son coq de cérémonie, qui bénéficie de la liberté accordée aux fous et est même capable de provoquer une danse chez un djihadistes. Ceux-ci semblent souvent un peu perdus, appliquant avec une rigueur incertaine les terribles principes qui semblent leur échapper.
Une violence décontextualisée
En nommant son personnage principal Kidane, évocation phonétique de la région de Kidal, Sissako tente une forme de réconciliation des peuples du Mali. Les touaregs n'ont en effet bien souvent pas résisté aux violences mais en sont, pour une bonne part, responsables.
De janvier à avril 2012, la rébellion Touareg, constituée du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), renforcée par les Touaregs mercenaires fuyant la Libye et par plusieurs mouvements salafistes dont Ançar Dine, MUJAO et AQMI attaquent les camps militaires maliens et les villes situés dans les régions de Gao, de Tombouctou et de Kidal remettant en cause l'unité territoriale du Mali dont l'armée est mise en difficulté alors que le pouvoir politique est soumis à un coup d'Etat.
L'action du film se situe ainsi donc à partir du 1er avril 2012 où les rebelles contrôlent les trois régions situées au nord du Mali. Le MNLA réclame alors l'indépendance de l'Azawad tandis qu'Ançar Dine souhaite imposer la charia. Les deux mouvements revendiquent le contrôle des principales villes. Abdelkrim est ainsi probablement un Touareg mercenaire venu de Lybie moins embrigadé que le chef djihadiste qu'il ne peut empêcher d'exécuter Kidane.
source : Wikipedia
Sissako ne laisse en revanche guère d'espoirs d'une paix prochaine faisant fi de l'intervention française. En effet le 11 janvier 2013, devant la progression des groupes djihadistes au-delà de la ligne de cessez-le-feu et la prise de la localité de Konna, verrou stratégique dans la marche sur Bamako, l'état d'urgence est déclaré dans le pays. À la suite de la demande du président du Mali par intérim Dioncounda Traoré, le Tchad est venu aux secours du Mali avec un nombre important de militaires, ensuite la France sollicite l'accord de l'ONU pour déclencher une intervention militaire (Opération Serval) de libération du pays. Le 13 janvier 2013 marque le début du recul des djihadistes, l'Armée française poursuivant sa progression vers le nord.
Ce sera vraisemblablement trop tard pour Toya et le motard ; trop tard pour la jeune femme mariée de force ; trop tard pour ceux qui résistent et dont le courage permanant est seul garant d'une beauté et d'une philosophie qui n'ont rien à faire avec la violence.
Jean-Luc Lacuve, le 14/12/2014