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Gilles Deleuze distingue quatre écoles de montage : la tendance organique de l'école américaine, la dialectique de l'école russe, la quantitative de l'école française d'avant-guerre, l'intensive de l'école expressionniste allemande. En reprenant le terme de Vincent Amiel, on leur ajoutera le montage collage.
Le montage organique :
Un film de Griffith est conçu comme une grande unité organique. L'organique c'est d'abord une unité dans le divers, c'est à dire un ensemble de parties différenciées : les hommes et les femmes, les riches et les pauvres, la ville et la campagne, le Nord et le Sud, les intérieurs et les extérieurs. Ces parties sont prises dans des rapports binaires qui constituent un montage alterné parallèle, l'image d'une partie succédant à celle d'une autre suivant un rythme.
Mais il faut aussi que la partie et l'ensemble entrent eux-mêmes en rapport, qu'ils échangent leur dimension relative. L'insertion du gros plan, en ce sens n'opère pas seulement le grossissement d'un détail mais entraîne une miniaturisation de l'ensemble, une réduction de la scène à l'échelle d'un personnage. En montrant la manière dont un personnage vit la scène dont il fait partie, le gros plan dote l'ensemble objectif d'une subjectivité qui l'égale ou même le dépasse.
Enfin, il faut encore que les parties agissent et réagissent les unes sur les autres, à la fois pour montrer comment elles entrent en conflit ou restaurent l'unité. De certaines parties émanent des actions qui opposent le bon et le méchant, mais d'autres parties émanent des actions convergentes qui viennent secourir le bon : c'est la forme du duel qui se développe à travers toutes ces actions et passe par différents stades.
En effet il appartient à l'ensemble organique d'être toujours menacé ; ce dont les noirs sont accusés dans Naissance d'une nation c'est de vouloir briser l'unité récente des Etats-unis en profitant de la défaite du Sud. Les actions convergentes tendent vers une même fin, rejoignant le lieu du duel pour en renverser l'issue, sauver l'innocence ou restaurer l'unité compromise, telle la galopade des cavaliers qui viennent au secours des assiégés. C'est la troisième figure du montage, montage convergent, qui fait alterner les moments des deux actions qui vont se rejoindre. Et plus les actions convergent, plus la jonction approche, plus l'alternance est rapide (montage accéléré)
Le montage dialectique :
La loi du processus quantitatif et du saut qualitatif : le passage d'une qualité à une autre et le surgissement soudain de la nouvelle qualité. L'un qui devient deux et redonne une nouvelle unité, réunissant le tout organique et l'intervalle pathétique.
Eisenstein fait un reproche majeur à Griffith : les parties différenciées de l'ensemble sont données d'elles-même comme des objets indépendants. Il est dès lors forcé que lorsque les représentants de ces parties s'opposent ce soit sous forme de duels individuels où les motivations collectives recouvrant des motivations étroitement personnelles (par exemple une histoire d'amour, élément mélodramatique). Griffith ignore que les riches et les pauvres ne sont pas donnés comme des phénomènes indépendants, mais dépendent d'une même cause qui est générale qui est l'exploitation sociale. Ce qu'Eisenstein reproche à Griffith, c'est de s'être fait de l'organique une conception toute empirique, sans loi de genèse ne de croissance ; c'est d'en avoir conçu l'unité d'une manière toute extrinsèque, comme unité de rassemblement, assemblage de parties juxtaposées et non pas unité de production, cellule qui produit ses propres parties par division, différenciation ; c'est d'avoir compris l'opposition de manière accidentelle, et non comme la force motrice interne par laquelle l'unité divisée reforme une unité nouvelle à un autre niveau.
L'organique est une grande spirale conçue scientifiquement en fonction d'une loi de genèse, de croissance et de développement. La spirale organique trouve sa loi interne dans la section d'or, qui marque un point césure, et divise l'ensemble en deux grandes parties opposables mais inégales. On a un montage d'opposition et non plus un montage parallèle.
La composition dialectique ne comporte pas seulement la spirale organique, mais aussi le pathétique ou le développement. Il n'y a pas seulement unité organique des opposés, lien organique entre deux instants, mais bond pathétique où le deuxième instant acquiert une nouvelle puissance puisque le premier est passé en lui. De la tristesse à la colère, du doute à la certitude, de la résignation à la révolte. Le pathétique est passage d'un terme à l'autre, d'une qualité à une autre, et le surgissement soudain de la nouvelle qualité qui naît du passage accompli. Il est à la fois compression et explosion. La ligne générale divise sa spirale en deux parties opposées, "L'ancien" et "Le nouveau" et reproduit sa division, répartit ses oppositions d'un côté comme de l'autre : c'est l'organique. Mais, dans la scène célèbre de l'écrémeuse, on assiste au passage d'un moment à l'autre, de la méfiance et de l'espoir au triomphe, du tuyau vide à la première goutte, passage qui s'accélère à mesure que s'approche la qualité nouvelle, la goutte triomphale : c'est le pathétique, le bond ou le saut qualitatif.
Le montage quantitatif :
Dans l'école française d'avant guerre (Abel Gance) on assiste aussi à une rupture avec le principe de composition organique. Avec un certain cartésianisme le maximum de mouvements est recherché, composition mécanique (fête foraine d'Epstein dans Cœur fidèle, Le bal de Marcel L'Herbier dans El Dorado, les farandoles de Grémillon. Plus que la conception organique des danseurs ou la conception dialectique de leurs mouvements, on cherche à abstraire un seul corps qui serait le danseur et un seul mouvement. A la limite, la danse serait une machine dont les pièces seraient les danseurs. Le type de machine privilégié est l'automate, machine simple ou mécanisme d'horlogerie. Clair mouvement mécanique comme loi du maximum de mouvement pour un ensemble d'images qui réunit en les homogénéisant les choses et les vivants, l'animé et l'inanimé. Les pantins, les passants, les reflets des pantins, les ombres de passants vont rentrer dans des rapports très subtils d'alternance, de retour périodiques et de réaction en chaîne qui constituent l'ensemble auquel le mouvement mécanique doit être appliqué (la fugue de L'Atalante, la composition de La règle du jeu, les abstractions géométriques dans un espace homogène lumineux et gris, sans profondeur de René Clair, Un chapeau de paille d'Italie, Le million). L'objet concret, l'objet de désir, apparaît comme moteur ou ressort agissant dans le temps. L'individualisme est partout l'essentiel, il tient le rôle de ressort ou de moteur développant ses effets dans le temps, fantôme, illusionniste ou savant fou destiné à s'effacer quand le mouvement qu'il détermine aura atteint son maximum ou l'aura dépassé. Goût général pour l'eau, la mer ou les rivières permettent de trouver dans l'image liquide une nouvelle extension de la quantité de mouvement dans son ensemble ; de meilleures conditions pour passer du concret à l'abstrait, une plus grande possibilité de communiquer aux mouvements une durée irréversible indépendamment de leurs caractères figuratifs. Pour la lumière, l'école française substitue l'alternance à l'opposition dialectique et au conflit expressionniste.
Le montage expressionniste :
La force infinie de la lumière s'oppose les ténèbres comme une force également infinie sans laquelle elle ne pourrait se manifester. La lumière n'a qu'une chute idéale, mais le jour, lui, a une chute réelle : telle est l'aventure de l'âme individuelle, happée par un trou noir dont l'expressionnisme donnera des exemples vertigineux (la chute de Marguerite dans le Faust de Murnau, celle du Dernier des hommes avalé par le trou noir des salles de toilette du grand hôtel, ou chez Pabst celle de Lulu). La vie non organique des choses, une vie terrible qui ignore la sagesse et les bornes de l'organisme. Un mur qui vit est quelque chose d'effroyable; mais ce sont aussi les ustensiles, les meubles, les maisons et leurs toits qui penchent, se serrent guettent ou happent. L'expressionnisme est un mouvement violent qui ne respecte ni le contour organique, ni les détermination mécaniques de l'horizontal et du vertical. Worringer, qui a créé le terme expressionnisme, l'a défini par l'opposition de l'élan vital à la représentation organique, invoquant la ligne décorative " gothique ou septentrional ": ligne brisée qui ne forme aucun contour où se distingueraient la forme et le fond, mais passe en zigzag entre les choses, tantôt les entraînant dans un sans fond où elle se perd elle-même, tantôt les faisant tournoyer dans un sans-forme où elle se retrouve en "convulsion désordonnée ".
Le montage-collage :
Apparaît à la fin des années 50. Le principe est de laisser les plans voisiner, se heurter dans leurs formes. Le son jaillit avec l'image mais pas pour assurer la transition. Il y a juxtaposition de contenus, sans projet prédéterminé.
Dans le cinéma, Cassavetes, Godard ou Rozier sont les premiers à initialiser ce procédé, comme Mallarmé a pu le faire dans la littérature, ou les surréalistes dans la peinture avec le collage. Le télescopage des hasards est plus beau et plus censé que les plans réfléchis et prémédités.
En cinéma, il y a bien sûr eu aussi des précurseurs. Robert Bresson a élaboré une théorie du montage à partir du milieu des années 40, avec Le journal d'un curé de campagne. Il associe des réalités qui n'étaient pas destinées à l'être. En eux-mêmes, les plans n'ont pas d'intérêt, seul leur accolement leur donne du sens. Les images filmées au tournage doivent être les plus plates possible. En cela, Bresson est un précurseur radical du montage-collage. Puis, à la fin des années 50, d'autres cinéastes prennent le relais et donnent de l'importance au montage : Godard, Resnais, Bergman (même si chez lui les visages restent hermétiques, contrairement à ceux des personnages de Cassavetes).
Certains cinéastes des années 70 comme Martin Scorsese lui accordent ce même intérêt, tout en essayant de le réconcilier avec la narration classique. L'accent mis sur le montage est également caractéristique de l'école asiatique depuis une vingtaine d'années. On ne note pas assez souvent et fortement l'influence que Resnais a eu et conserve en matière de montage. Il suffit pourtant de regarder les films de Wong Kar-waï ou Gus Van Sant, par exemple, pour s'en persuader. La correspondance de plans entre eux construit des unités sensibles, comme les listes chez les surréalistes, les séries de Monet (cathédrales), ou de Rohmer au cinéma. Ce sont des fragments sans articulation explicite