Editeur : Carlotta-Films, août 2009. DVD1 : La harpe de Birmanie. DVD2 : Kokoro. DVD 3 : Seul sur l'océan pacifique. Nouveaux masters restaurés. Version originale. Sous-Titres Français. Prix public conseillé : 40 € ou 20 € pour La harpe de Birmanie en édition simple.

Suppléments:

  • Trois préfaces de Diane Arnaud.
  • Une analyse de La Harpe de Birmanie par Claire-Akiko Brisset.
  • Bandes-annonces originales (sauf pour Kokoro)

 

La harpe de Birmanie : Un régiment de l’Armée Impériale japonaise est en déroute au milieu de la jungle birmane plusieurs jours après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Parmi les soldats se trouve Mizushima, un joueur de harpe qui sert d’éclaireur grâce à son instrument. Lors d’une halte, le régiment est cerné par les troupes britanniques et se rend sans violence. Mizushima se voit alors chargé d’une mission, qui échoue. L’homme est porté disparu. Quelques jours plus tard, ses compagnons croisent un moine birman qui lui ressemble étrangement…

Adapté du classique de la littérature japonaise de Michio Takeyama, La harpe de Birmanie est le premier grand succès de Kon Ichikawa à lui conférer une renommée internationale en remportant un prix à Venise. Dans cette fable humaniste, un groupe de soldats trouve, par la force du chant, un esprit de cohésion qui leur permet de refuser la violence. La beauté de la musique d’Akira Ifukube, le rythme lancinant du récit, l’extrême précision du cadre qui magnifie de somptueux décors font de La harpe de Birmanie un chef-d’oeuvre lyrique, plaçant Ichikawa parmi les grands maîtres nippons.

Préface de Diane Arnaud (12mn)

La harpe de Birmanie de Michio Takeyama est paru sous forme de roman en 1948 après avoir été édité en feuilleton dans un magazine littéraire destiné à un jeune public. De ce premier public, il reste, si ce n'est une dimension de conte pour enfant du moins une fable pacifiste et humaniste avec un discours anti-guerre qui prône le rassemblement et ce quelques années seulement après le retrait des forces d'occupation américaines.

Film polyphonique avec la voix du narrateur, celles de la vieille birmane et les deux perroquets, doubles étranges du héros et de ses compatriotes, et le chœur des chansons. Le film balance ainsi entre le corps militaire collectif (le capitaine de la compagnie, chef de chorale dans le civil) et l'individualisation, entre une voie collective vers la paix et une voie personnelle ; entre la vie qui va de l'avant vers la paix et le travail de deuil. Alternance ainsi entre la profondeur de champs marquant l'unité de la compagnie et plans où un visage se détache

La musique est vecteur de la paix. Mizushima l'utilise d'abord sur un plan militaire, pour renseigner son ecouade, puis la chanson et l'accompagnement musical vont toucher le cœur de l'ennemi. Cette communication est toutefois fragile comme avec la chanson derrière les barbelés. Il existe aussi une dimension ironique dans la conversion spirituelle du héros qui repose sur un larcin. C'est parce qu'il a volé des habits qu'il peut profiter d'offrandes (Le déguisement Birman l'avait déjà fait osciller entre le soldat et le civil, entre le Japonais et le Birman)

Mizushima traverse la Birmanie du nord au sud. Ce n'est pas tant un saint homme que quelqu'un qui s'isole du groupe et finit par avoir une idée fixe. Il n'y pas de choc visuel qui soit responsable de sa conversion. La dimension lyrique, soulignée par la musique off marque l'empathie pour les morts. Pour que la lumière se fasse, il faut dépasser l'aveuglement d'une lumière éblouissante qui est celle des horreurs de la guerre pour atteindre à cette sorte de regard musical flottant peut être une référence au dessin animé d'où vient Ichikawa avec ce mélange de merveilleux et d'horreur.

Histoire d'un soldat (23 mn)

Par Claire-Akiko Brisset, Maître de conférences à l'université Paris VII. La campagne de Birmanie commence en 1941 et s'achève avec la défaite du Japon en 1945. Il s'agit de libérer les anciennes colonies occidentales et, à partir de 1943 de réaliser une "sphère de co-prospérite de la grande Asie orientale". La Birmanie ne possède pas de matières premières stratégiques mais elle est une étape vers la conquête de la Chine. Elle coupe la route qui permettait de ravitailler la Chine nationaliste par le sud ouest. La conquête de la Birmanie permet aussi de se rapprocher de l'Inde pour destabiliser cette colonie anglaise. Les Japonais entrent en Birmanie depuis la Thaïlande sans rencontrer de grande résistance et conquierent le pays entre décembre 41 et mai 42 contraignant les Britanniques et les Chinois à une retraite humiliante. Le renversement de tendance n'interviendra qu'en 1944 seulement où la 28ème armée japonaise est défaite.

Kazuo Nakamura, le moine soldat qui sert de modèle au roman et au film, est capturé en 1945. Dans le camp de prisonniers, non seulement il monte une chorale pour interpréter des chansons très populaires comme Hanyû no yado ou Sakura mais il organise aussi des cérémonies en souvenir des soldats morts et des lectures de textes bouddhiques. Né en 1917, appelé en 1938, Kazuo Nakamura se se destine à l'état de moine et pratique déjà dans le célèbre monastère de Eihei-ji. Rapatrié au japon en 1946, il devient bonze où il se consacre surtout à l'éducation des enfants. Il est mort le 17 décembre 2008. Son plus grand drame est d'avoir été élèvé dans les principes du bouddhisme qui défend de tuer, et d'avoir été entraîné dans un conflit effroyable où il devient soldat malgré lui.

Michio Takeyama a basé son feuilleton puis son roman sur le récit d'un témoin de la captivité de Kazuo Nakamura. Il a dédoublé le personnage de Nakamura en créant celui du capitaine Inouye, supérieur de Nakamura (devenu Mizushima), et chef de chœur dans le civil. Cela lui permet d'opposer le destin individuel du soldat et le destin collectif du groupe et d'imposer la gravité du choix final de Mizushima qui reste en Birmanie alors que son modèle est rentré au Japon

Le Japon est occupé par les Américains jusqu'en 1952. La guerre de Corée entraîne les révoltes étudiantes contre le renouvellement du traité de sécurité nippo-américain prévu pour 1960. Sur ce terrain des cinéastes de gauche réalisent des films antimilitaristes avec des productions indépendantes. Rencontrent un succès presque identique, des films de guerre nostalgiques tels Les cinq de la patrouille de Tomotaka Tasaka en 1938, L'aigle du pacifique de Ishiro Honda 1953, Yamashita Tomoyuki, un général tragique de Kiyoshi Saeki où la responsabilité du Japon est évacuée au seul profit de l'exaltation militaire.

La harpe de Birmanie (1954), Feux dans la plaine (1959) de Kon Ichikawa et La condition de l'homme de Masaki Kobayashi sont les trois films phare du groupe que l'on a qualifié d'humanistes de l'après-guerre. On y trouve trois héros écrasés par un conflit qui les dépasse sur trois fronts différents : la Birmanie dans La harpe de Birmanie, la Mandchourie dans La condition de l'homme et les Philippines dans Feux dans la plaine.

Dans cette décennie ambiguë les Majors hésitent à s'engager. La Shoshiku ne s'engage dans La condition de l'homme de Masaki Kobayashi qu'au vu du succès de sa première partie, sortie en 1959. Celui-ci attaque l'amée japonaise de front ce qui n'est pas le cas de Kon Ichikawa. Shôji Yasui qui joue Mizushima se verra confier un rôle secondaire dans La condition de l'homme, comme un clin d'œil de Kobayshia à son aîné. Il n'est ici jamais question des exactions de l'armée japonaise ou britannique. Ichikawa ne condamne pas la guerre japonaise mais toutes les guerres. C'est une épreuve de l'histoire, une tragédie collective. Les soldats, alliés ou japonais, n'ont pas renoncé à leur humanité. Ils restent des êtres moraux et tuent par devoir. L'armée n'a pas corrompu les individus d'où le rôle de la musique.

La musique chorale exprime la vision collective. Le chant "Hanyû no yado" est la version japonaise du fameux "Home, sweet home". Cette chanson extraite de l'opérette "Clari, maid of Milan" de J.H. Payne (livret) et H.R. Bishop (musique) a été créée en 1823 à Coven garden. La chanson est popularisée au Japon car intégrée aux programmes scolaires à partir de 1889. Elle est ainsi connue de tous et sera effectivement chantée par Nakamura et ses camarades dans le camp de prisonniers ainsi que dans le roman. La mélodie est immédiatement reconnaissable par les soldats alliés sur le point de charger la petite troupe. Ils répondent en entonnant "Home, sweet home" signifiant par là à leurs ennemis que la guerre est finie et qu'ils vont pouvoir tous rentrer chez eux.

Il s'agit là moins de nostalgie sentimentale que du rôle possible de la musique comme pont lancé au-dessus des frontières. La musique exprime la cohésion fraternelle de tous ces hommes qui n'ont pas voulu de cette guerre qui les oppose

Mais la musique ne va pas non plus sans mutisme. "Hanyû no yado" est entonnée de nouveau dans le camp de prisonniers pour pallier l'impossibilité de parler, les prisonniers ne sachant si le bonze est Mizushima, la petite troupe chante dans l'espoir que ce jeune moine birman est bien celui dont elle s'inquiète depuis des mois. Mizushima répond alors à ses camardes en les accompagnant avec une harpe birmane. Il poursuit ce dialogue en jouant "Aogeba Tôtoshi", chanson de la fin du XIX également au répertoire de l'éducation primaire japonaise et, de ce fait, connue de tous. A la fois chant de séparation et éloge du maître, cette chanson permet à Mizushima de signifier à la fois sa reconnaissance vis à vis d'Inouye, le chef de la petite troupe et la décision qu'il a prise de rester en Birmanie.

Eclaireur confronté aux charniers auxquels a échappé le reste de son escouade, Mizushima se pose la question de sa responsabilité morale (et non politique) dans la guerre. Déguisé successivement en Birman et en moine, il deviendra les deux. Son destin personnel qui associe renoncement et deuil l'oppose au destin collectif qui s'engage à retourner au Japon et à participer à la reconstruction

Kobayashi dénoncera tout ordre transcendant. Ichikawa propose ici une issue spirituelle au conflit intérieur et moral traversé par son héros. La terre birmane est celle du bouddhisme Theravâda, plus proche de la parole du bouddha que ne l'est le bouddhisme japonais en général depuis l'introduction du bouddhisme au sixième siècle. Les japonais ont toujours et fascinés par ses terres au plus près du bouddhisme originel. le destin du soldat Mizushima est vu comme un retour symbolique aux origines spirituelles du bouddhisme japonais.

 

Kokoro : En se rendant sur la tombe d’un ami, Nobuchi, un professeur retraité, retrouve un étudiant admiratif avec lequel il se lie d’amitié malgré la différence d’âge. Compréhensive en apparence, son épouse Shizu est jalouse du temps passé par Nobuchi seul ou avec son élève…

Adapté d’un chef-d’oeuvre de la littérature japonaise signé Natsume Soseki, Kokoro est l’un des films les plus marquants que Kon Ichikawa a tournés pendant sa période faste à la Nikkatsu, et fut réalisé juste avant La Harpe de Birmanie. Mélodrame funèbre construit de non-dits et de gestes contenus, cette étude psychologique centrée sur la réclusion intime embrasse subtilement la thématique homosexuelle.

Préface de Diane Arnaud (13mn)

Avec ce film Ichikawa passe des comédies aux tragédies. Il s'agit de l'adaptation d'une œuvre littéraire au titre éponyme, le cœur comme le seront L'étrange obsession (1957 d'après Tanesaki), Le pavillon d'or (1959 d'après Mishima) et beaucoup d'autres. Ichikawa fait preuve d'une attention à la souffrance existentielle sans sentimentalisme, style que le fera qualifier par Max Tessier d'entomologiste. Son regard sans partie pris sur des personnages énigmatiques le rapproche de Camus dont il voulu adapter L'étranger et de Robbe Grillet dont il recherchera également la collaboration sans que les projets n'aboutissent. Cette écriture sur les pages blanches des personnages, ce maintien d'un masque de souffrance ou d'étonnement, rapprochent Ichikawa de Bresson.

Le film est un huis clos qui a pour contexte historique la fin de l'aire Meiji, 45 jours après la mort de l'empereur. La maladie de l'empereur est liée à la maladie du père de Hioki et le suicide du général est un écho de celle du héros

Le film démarre sur une dispute entre les époux. Mariés depuis 13 ans, le mari veut visiter seul la tombe de son ami. Le fantôme de son ami mort prend la place de la maîtresse dans les histoires de jalousie. Le film tentera d'expliquer l'attachement excessif de Nobushi à Kaji. Les flash-back font revivre le passé du héros quand il était jeune. Ce dévoilement du passé aide à comprendre les problèmes du héros. Hioki apparaît à la place de Kaji et la lettre à Hioki explique pourquoi Kaji s'est suicidé.

 

Seul sur l'océan pacifique : En 1962, Kenichi Horie, un jeune Japonais, s’embarque seul dans une aventure hors-norme. Ayant construit en hâte un modeste voilier de 6 mètres de long, il quitte le port d’Osaka. Son objectif : traverser en solitaire l’océan Pacifique pour se rendre à San Francisco…

Inspiré de l’exploit de Kenichi Horie, premier Japonais à s’être mesuré seul à l’immensité de l’océan Pacifique, Seul sur l’océan Pacifique est l’un des films les plus bouleversants de Kon Ichikawa. Grâce à une utilisation éblouissante du format Cinémascope et à l’intensité de la musique composée par Toru Takemitsu (La Femme des sables), Kon Ichikawa livre une ode poignante et profondément humaine.

Préface de Diane Arnaud (12mn)

Il s'agit d'un film d'aventure retraçant une odyssée amorcée à Osaka le 12 mars 1962. Le film garde cependant un ton léger qui le classe, comme La vengeance d'un acteur, à l'opposé des films sombres d'Ichikawa.

La mise en scène soutient la démarche radicale mais ironise sans cesse. L'ironie est perceptible de bout en bout depuis le début en forme de faux film noir car si l'expédition est hors la loi, elle n'a rien de criminelle jusqu'à la scène où le jeune héros, fort pudique, ne se déshabille pas entièrement à l'extérieur du bateau alors qu'il est entièrement coupé du monde .

Ichikawa établit un parallèle entre la démarche du héros et la démarche créatrice. Au départ la toute puissance du héros/créateur est mise à mal par l'absence de vent mais il suffit qu'il demande un typhon pour qu'il soit exaucé au plan suivant. La construction en flash-back qui raconte la préparation minutieuse du voyage pendant cinq ans évoque aussi la détermination bien connue d'Ichikawa qui aime tout contrôler.

L'alternance entre séquences où l'on suit le héros et celles qui expliquent le voyage étape par étape permet la séquence très émouvante où le héros, dont l'embarcation est sur le point de chavirer, se remémore sa mère lui disant "Si jamais tu crois que tu va mourir fait appel à moi."

Il s'agit moins pour le héros de gagner l'Amérique que de fuir un Japon qui abuse du contrôle et de la hiérarchie. Ceci transparaît dans les scènes d'altercations avec le père où il est hors de question pour le jeune héros de reprendre l'affaire familiale et de suivre la loi du père. La séquence de la liste des provisions pour le voyage évoque une installation dérivée du pop art. Le film est en tout cas plus proche du Nouvel Hollywood (l'évocation d'un prédateur marin fait penser aux Dents de la mer) que de la Nouvelle Vague.

 

 
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Trois films de Kon Ichikawa