Histoires du cinéma
La chute des feuilles (Otar Iosseliani, 1966)
Le miroir (Andrei Tarkovski, 1974)

Dans un contexte de guerre froide et de désinformation, la diffusion de films d’un genre nouveau sous un habillage hollywoodien, comme Quand passent les cigognes de Mihail Kalatozov, primé à Cannes en 1957, a servi de vitrine pour le pouvoir soviétique. Pointant les nouveaux traîtres dans la société, ces œuvres de l’après-guerre incarnent à leur manière un stalinisme de type différent et cimentent d’autres valeurs de cohésion sociale. En tant que contre-société, le cinéma contribue aussi à amorcer peu à peu un effondrement graduel du système stalinien si l’on pense à une comédie musicale prémonitoire d’El´dar Rjazanov de 1956, La nuit du carnaval, satire de la bureaucratie.

Après la disparition de Staline et la prise du pouvoir par Khrouchtchev , le cinéma se fait davantage l’expression de la société que du régime. L’Union des cinéastes, créée après le XXe Congrès de 1956, pourra servir ultérieurement de contre-pouvoir. Les cinéastes, majoritairement, ne rentreront pas en dissidence comme certains écrivains de cette époque mais certains parmi les plsu importants devront émigrer à l'étranger et particulièrement en France pour continuer leur oeuvre.

La carrière de Tarkovski, brève du fait de la maturation et de la réalisation très lente des films et de sa mort prématurée, doit beaucoup aux festivals cinématographiques européens, L'enfance d'Ivan obtient le Lion d'or du festival de Venise 1962. Puis Cannes accueillit en 1969 Andrei Roublev. Avec son prix de la critique internationale, le film fit connaître son auteur dans le monde entier. En 1972, Cannes lui descerne un Prix spécial du jury pour Solaris et Le miroir, est présenté quatre ans plus tard lors de l'éphémère festival de Paris, dont il fut un des événements. En 1980, Stalker, le film-surprise du festival de Cannes, y remportait un grand succès critique. Les Soviétiques n'autorisèrent pas le cinéaste à venir en France pour la sortie du film, deux ans plus tard. Par contre, ils le laissèrent partir vers l'Italie en 1982 pour préparer Nostalghia, coproduction italo-française avec participation soviétique. Pour le cinéaste, l'exil commençait. Il resta en Italie avec son épouse et collaboratrice Larissa et se battit pour que puisse le rejoindre le reste de sa famille, ce qui se produira début 1986, avec le soutien de cinéastes, intellectuels et hommes politiques occidentaux, mais surtout à cause de l'arrivée de Gorbatchev aux affaires.

Le georgien Otar Iosseliani entré au V.G.I.K., la prestigieuse école de cinéma soviétique, où ses maîtres sont Alexandre Dovjenko et Mikhaïl Tchiaoureli sera également régulièrement censuré et devra aussi émigrer en France à partir de 1982 pour que ses films ne soient pas constamment retenus par la censure soviétique. Avril (1961), moyen métrage d’une cinquantaine de minutes, travail de fin d’études, met en scène des personnages rien moins que positifs ce qui, à l’aune du réalisme socialiste, est jugé intolérable par les autorités du cinéma, qui interdiront le film jusqu’en 1974. Son premier long métrage, La chute des feuilles (1966), chronique nonchalante de la vie en Géorgie au temps des vendanges, est à nouveau contesté (et « retenu » jusqu’en 1968) parce qu’il révèle, avec humour, l’existence de trafiquants, le peu d’entrain des travailleurs à accomplir leur tâche et le ridicule des touristes « étrangers » – des Russes – en visite guidée dans les chais.

Plaidoyer en faveur d’une culture menacée, L’ancienne chanson géorgienne ne fut pratiquement jamais montré. Il était une fois un merle chanteur, tourné en 1970, ne sera "libéré" qu’en 1974 et présenté à Cannes par la Quinzaine des Réalisateurs. Son "merle chanteur", un percussionniste, est un doux rêveur, insaisissable, toujours ailleurs. Et le film le suit avec sympathie, flâneur et insolent comme lui. Quant à Pastorale, il ne sortira d’U.R.S.S. qu’en 1982, au Festival de Berlin où il obtient le Prix de la critique internationale. Parabole sur le rôle émancipateur de l’Art – quatre musiciens bouleversent le quotidien d’un village géorgien – ce film sans véritables ressorts dramatiques servit de prétexte aux responsables du cinéma soviétique pour éloigner, à sa demande, un artiste décidément irrécupérable.

C'est à Serguei Paradjanov que les autorités soviétiques réserveront le sort le plus dur. Pourtant son premier long-métrage Les chevaux de feu (1964) est perçu comme un signe de renouveau dans le classicisme du cinéma soviétique et remporte de nombreuses récompenses internationales, notamment le 1er Prix du Festival de Mar del Plata. Paradoxalement, c'est à cette époque que commencent pour lui les difficultés avec les autorités... peut-être liées avec ses prises de position en faveur d'intellectuels ukrainiens dissidents.

En 1968, Serguei Paradjanov s'installe à Erevan et travaille avec la communauté arménienne à la réalisation de Sayat Nova, couleur de la grenade. Le film, récit à la fois historique, poétique et baroque, sur la vie du poète arménien du XVIIIe siècle Sayat Nova, est très vite retiré de l'affiche en raison de son anticonformisme, esthétique, loin du réalisme socialiste de rigueur, et idéologique, les allusions au nationalisme arménien étant par trop évidentes. Dès la sortie de son film en 1969, Paradjanov est pratiquement condamné au chômage. Ses différents projets sont, soit refusés, soit interdits. Par la suite, tous ses projets de films sont refusés et ses prises de positions publiques contre l’arrestation de journalistes et d’intellectuels ukrainiens le marquent d’une croix rouge. Remontée par Youtkevitch, une nouvelle version, censurée, est présentée à Moscou en 1971... pour être retirée après deux semaines d'exploitation ! De graves ennuis attendent alors le cinéaste.

En décembre 1973, il est arrêté et accusé de "trafic d'icônes et de devises", d'"incitation au suicide", d'"homosexualité"... ce dernier délit le condamnant, en avril 1974, à cinq ans de camp de travail, malgré des troubles de la vue et une maladie cardiaque. On annonce son suicide en 1976 alors que son état de santé est alarmant. L'opinion internationale s'émeut et entreprend de nombreuses démarches auprès des autorités soviétiques pour obtenir la libération immédiate de Paradjanov. La rumeur de sa mort persiste et en août de l'année 1977, les milieux arméniens parlent du suicide du détenu dans sa cellule... Les nouvelles les plus contradictoires circulent. On apprend bientôt, pourtant, que Serguei Paradjanov a été libéré le 30 décembre 1977, par suite d'une remise de peine. "Libre", il s'installe en Géorgie, dans sa maison natale et tourne clandestinement Le signe du temps (1979), court-métrage de sept minutes qui témoigne de sa présente détresse et où il décrit sa vie quotidienne et celle de ses amis.

De par l'interdiction d'exercer son activité de cinéaste, il ne survit que grâce à l'aide d'amis. Il souhaite obtenir un visa pour la France... qui lui est refusé malgré les pressions de nombreuses personnalités artistiques françaises. Paradjanov est de nouveau arrêté le 11 février 1982, avec l'accusation de corruption. Jugé par le tribunal de Tbilissi en octobre, il est libéré en novembre de la même année.

En 1984, il réalise La Légende de la Forteresse de Souram, puis en 1985, Arabesques sur le thème de Pirosmani. Réalisé en 1988, Achik Kerib sera son dernier film. Malade, épuisé par des années de prison, il meurt en 1990 des suites d'un cancer en plein tournage de Confession d’après Lermontov.

Après la crise des années d'après guerre, alors que le nombre de films de fiction réalisés annuellement était tombé à 9 en 1951, à partir de 1952 la production reprend (24 en 1952, 45 en 1953, 75 en 1955, au-dessus de 100 à partir de 1956 et environ 150 à la fin des années 60). Le nombre de salles augmente, de nouvelles écoles de cinéma et de nouveaux studios sont créés notamment dans les républiques périphériques. La décision de créer une Union des cinéastes est prise en 1957 et à partir de 1959 le festival international du film de Moscou est organisé régulièrement tous les deux ans.
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