Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Rembrandt

2025

Genre : Drame social

Avec : Camille Cottin (Claire Lescure), Duris Romain (Yves Lescure), Céleste Brunnquell (Salomé Lescure), Denis Podalydès (Grégoire), Bruno Podalydès (Terrence), Joel Ödmann (Gunnar), François Orsoni (Jérôme), Davide Faranda (Orazio), Myriem Akheddiou (Anne). 1h47.

Yves Lescure a 49 ans. Il est depuis 23 ans ingénieur nucléaire à l'ENF, tout comme sa femme, Claire. En ce matin du 24 janvier 2024, ils sont en visite à Wester Point, l'EPR de Bristol, dont la mise en service est prévue fin 2030. Claire fait le point sur les turbulences prévues dans les réacteurs nucléaires lorsque la divergence sera ordonnée à l’été 2024. Elle informera alors ses collègues anglais et chinois de leur réalité. Jérôme, son patron, la félicite tout en trouvant que leur partenaire chinois de l'EPR numéro 2 de la centrale chinoise de Taishan (province du Guangdong) tarde à fournir les mêmes informations. Celui-ci menace de quitter la table mais Claire ramène tout le monde à la raison.

L’après-midi du 25 janvier, Yves et Claire visitent la National Gallery en attendant que leur fille, Salomé, les rejoignent. A 16 heures, Yves qui s'était absenté un court moment pour répondre à Jérôme au téléphone, ne retrouve pas Claire dans les différentes pièces du musée alors que Salomé est arrivée à l’heure convenue. Ils s’inquiètent et ne voient revenir Claire qu'à 18h00 à la fermeture des salles du musée.

Ils vont ensuite tous les trois dîner dans un restaurant pour fêter les 21 ans de Salomé. Celle-ci veut arrêter ses études de biologie pour faire de la photographie. Ses parents sont contre, préférant qu'elle termine son cursus. Salomé décide qu'elle arrêtera dès la fin de ses partiels et ne se prive pas de critiquer son père sur la lâcheté dont il fit preuve adolescent.Tout se termine néanmoins par des embrassades et des cadeaux. Salomé s'inquiète de voir sa mère inhabituellement saoule. Yves explique le trouble de Claire par le souvenir de la première fois tenu la main il y a 26 ans dans ce restaurant justement. Claire rentre titubante mais fait intensément l'amour avant de s'endormir.

Dans la nuit, Claire a la vision du vieillard dans un fauteuil vu à la National Gallery, les mains de Saint Paul et le regard de et ses mains ainsi que de regard de et le visage de Hendrikje l'appellent à l'action.

Claire se réveille tôt pour revoir les Rembrandt dès l'ouverture à 9h00 avec Yves. Celui-ci est perplexe, elle a toujours trouvé Rembrandt sinistre, « Rembrandt, il peint dans un bunker". "Un crime" voila ce que je vois, dit Claire avant d'enlacer le tableau, de paniquer ainsi la sécurité du musée et de s’évanouir. Yves la ramène à Paris.

A Saclay, Claire montre une vidéo à Gunnar, le thésard dont elle suit les travaux et qui va bientôt se marier. La vidéo est celle du témoignage du marin Frank Joffrey confronté à une imprévisible vague scélérate de 20 mètres. Gunnar est perplexe sur l'intérêt d'une implication dans les enjeux climatiques dont il n’est pas expert. Claire affirme pourtant qu'on s'interdit de penser en marge de la marge avec une horizon à 2035 au lieu de celui de la la fin de l'existence de centrales construites aujourd'hui.

Ils rencontrent Anne, la climatologue du plateau de Saclay et Orazio, le chercheur en systèmes complexes. Ils évoquent « Le cygne noir », l’extrême des extrêmes celui qui échappe à toute simulation du système. Gunnar décide de suivre Claire dans ses recherches.

Claire et Yves reçoivent leurs amis chez eux, les frères Grégoire et Terrence et son amie Apolline. Celle-ci est inquiète de la centrale de Zaporijia menacée par les bombes. Grégoire est confiant , notamment par l'épaisseur de l'enceinte de confinement. Il déclare qu'il est plus sûr de vivre près de Fukushima que de Roubaix ou Perpignan. Yves s'inquiète auprès de Terrence de l'attitude absente de sa femme. Le soir avec elle, il tente vainement de partager les commentaires sur l’art de Rembrandt. Claire les dédaigne : "Les tableaux fallait que je les touche ; que je rentre dans leur chair; que je sois avec eux."

Les jours passent. Claire court dès le matin dans la nature. Yves enseigne et demande à ses élèves ce que signifie qu'un atome à une demi-vie notamment pour 80 kg de plutonium 239, dont la demi-vie est de 24 0000 ans. Il démontre qu'à la 6e demie-vie, dans 144 000 ans, il en restera encore, 1,25 kg. Or 80kg c'est ce que contenait Fukushima. Son cours à peine terminé, Yves reçoit un appel de Claire le convoquant pour une réunion le soir à Saclay avec ses collègues.

Claire et Anne, la climatologue, commentent un powerpoint que déroule Gunnar sur trois vagues scélérates qui peuvent s'abattre sur le nucléaire durant le siècle à venir. D’abord 2029 l'année du Derecho, ligne d'orage rapide lié à des vents violents, nuit du 4 août, 60% du parc nucléaire arrêté, 1er black out. C’est ensuite 2060, année glaciaire car les courants du gulf stream sont à l'arrêt. Avec la glace, pas de circulation d'eau ni d'accès à la maintenance : les centrales sont arrêtées. En 2100 une faille sous-marine touche un site d'enfouissement, l'eau nocive arrive jusqu'à Cherbourg, provoquant une perte de contrôle de la centrale nucléaire et son explosion.

L’auditoire est consterné. Pour Grégoire, le nucléaire c'est une ligne, une conscience. Il suffit de faire preuve de prudence et de lucidité. Mais pour tous, les conséquences de leurs travaux sur les deux prochaines générations interrogent. Claire stupéfait encore davantage son auditoire lorsqu'elle décide de tout effacer de sa présentation pour ne pas jouer avec les peurs. Pour Jérôme, leur patron, cette soirée n'a jamais existé. Yves est meurtri de ces travaux qu'elle lui a cachés : soit, tu dénonces soit tu ne fais rien. On ne démissionne pas du nucléaire, conclut-il.

Au mariage de Gunnar en Norvège, Claire confie que la situation est difficile avec son mari. Gunnar leur conseille une exposition, Le monde d'après, qui propose d'évaluer un nouvel écosystème induit par la fonte des glaciers, et l'apparition de nouvelles formes de vie qu'elle induit. Claire parle de sa rencontre avec les trois Rembrandt : elle a senti leur corps et ce qu'ils lui disaient ; ils lui parlent mais sans phrases et sans mots. Elle a ressenti une lumière qui coulait de leurs lèvres, une chaleur qui ne la quitte plus. Claire est muette lorsqu'elle en discute avec Salomé qui l’interroge : c'est quoi cette connerie de tableaux qui te parlent.

Lors d'une fête chez un collègue, Claire se réfugie dans le jardin avec un bébé. Yves est alerté par la consternation de ses collègues apprenant la fuite dans Mediapart d'informations confidentielles en liaison avec les documents présentés par Claire notamment l'épaisseur de l'enceinte de flamm3. l'informateur se fait appeler Rembrandt.

Lors du retour en voiture, ils évitent de justesse un accident tant Claire est en colère. Sur l'aire d'autoroute, Yves cherche à comprendre : "je ne me satisfait pas d'une demi-vie" dit-elle tout en ajoutant "Il y a bien un mot". Mais alors qu'approchent des gendarmes, elle fuit pieds nus et trouve refuge chez Odette, une maison isolée près de Saclay et la centrale nucléaire de Bugey. Pendant ce temps, Yves est interrogé après 15 jours de disparition de Claire. On lui montre la vidéo du 25 janvier qui semble à l'origine de tout.

Si Claire mange avec Odette, la lecture d'un livre de témoignage sur Tchernobyl l'isole de plus en plus dans une radicalité qui la conduit à détruire son compteur électrique à la pioche.

Une nuit, Yves vient la trouver , lui expliquant que la gendarmerie lui a laissé 10 minutes pour lui parler. Elle a raison, affirme-t-il. Il est retourné à la National Gallery, salle 22, ou le tableau du Vieil homme avait disparu, transporté dans un laboratoire du Sud de Londres où il semble atteint d'un mal incurable. En soulevant le vieil homme, Claire a déclenché l'alarme générale sur une possible attaque mondiale des tableaux.

Claire est mise en examen et en liberté conditionnelle avant son procès prévu en 2026. Yves est en congé sans solde. Le couple a retrouvé son entente. Yves bricole et Claire s'investit dans les recherches autour du glacier vu dans l'exposition où des chercheurs recensent les espèces nouvelles. Avant d'y retourner le lundi suivant Claire glisse un mot dans la poche du pantalon de son mari. Ainsi la semaine suivante Yves est heureux du moral de Claire et Salomé qui l'appelle depuis Londres. En cherchant une cigarette dans son pantalon, Yves trouve le mot de Claire. Cette lettre qui lui parle d'amour lui livre aussi le mot que les tableaux ont soufflé à Claire et qui a tout changé pour elle : humilité.

Mêlant les registres du fantastique, du documentaire scientifique et du drame sentimental, le film souffre du manque d'incarnation dans ses deux acteurs principaux et de dialogues et symboles parfois trop lourds et explicites. C'est d'autant plus dommageable qu'il possède d'évidentes qualités de mise en scène, notamment par la façon de faire parler des tableaux pour les relier au thème principal du film : la nécessité de sortir de l'entre-soi scientifique et d'envisager des ruptures possibles dans notre façon de penser. Le tout avec un maître mot, tiré de Saint Paul, l'humilité.

Trois tableaux qui parlent sans phrases

Après Van Gogh et Picasso, Rembrandt est l'un des peintres les représentés au cinéma. Il l'est dans des biopics : Rembrandt (Alexandre Korda, 1936), Rembrandt (Hans Steinhoff, 1942), Rembrandt Fecit 1669 (Jos Stelling, 1977), Rembrandt (Charles Matton, 1999) mais aussi dans la mise en scène de son tableau le plus célèbre ainsi : La ronde de nuit (Gabriel Axel, 1978), La ronde de nuit (Peter Greenaway, 2007) et la magnifique partie qui lui est consacré dans Passion (Jean-Luc Godard, 1982).

Plus rare donc la mise en scène des tableaux postérieurs à 1642 alors qu'il reste encore 37 ans à peindre pour Rembrandt. C'est pourquoi le choix de Pierre Schoeller, qu'il dit dicté par une émotion personnelle, interroge :

An old man in an armchair
1652
111 × 88 cm
Portrait of Hendrickje Stoffels 1654-1656
101.9 × 83.7 cm
An Elderly Man as Saint Paul
1659
102 × 85.5 cm

Est affirmé dès le générique le rôle d'encouragement à agir de Hendrikje par l'insert sur ses yeux. Dans la nuit, elle est la dernière des trois à intervenir, en contrechamp au visage de Claire. Lors de la seconde visite, c'est elle qui, par le changement de focale, semble encourager Claire à se rapprocher du vieil homme.

Le vieil homme dans un fauteuil est la victime du "crime", du crime d'écocide sans doute. C'est lui qui interpelle en premier Claire dans la chambre, c'est de lui qu'elle se rapproche avec compassion, c'est lui qui va mourir.

Saint Paul est le tableau vu en majeur dans la salle 22, lorsque le couple se rate une première fois et lorsque la lumière est éteinte sur la salle 22. Puis ses mains dirigent celles de Claire dans la nuit. Enfin, il approuve par sa présence dans la profondeur de champ le geste de compassion de Claire. Il sera aussi la dernière vision, brouillée mais lumineuse, de Claire avant de s'évanouir après avoir reposé le tableau.

L'humilité face aux certitudes

La présence tutélaire de Saint Paul est due à son enseignement majeur tel qu'il l'exprime dans le célèbre chapitre 2 de son épître au Philippiens :

Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes.
Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres.
Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : Le Christ Jésus,
ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu.
Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes.

C'est une humilité semblable à la kénose du Christ que Saint Paul propose. Ce terme théologique vient du grec kenos, qui veut dire vide. Il dit que le Christ, qui était de condition divine, n’a pas considéré comme une force à saisir d’être l’égal de Dieu, mais qu’il s’est abaissé, vidé, en prenant la condition d’esclave en mourant sur la croix. Entre le Christ, de condition divine, et l’être humain Jésus de Nazareth, il y a un vide, un abaissement, une humilité. C'est la même humilité que Rembrandt applique à sa peinture et ses gravures si on en croit la thèse de Claire Charrier 1 consacrée à ce sujet.

Pierre Schoeller ne manque pas d'associer le premier plan du film sur la centrale et le dernier mot du film prononcé par Claire, en position agenouillée face au glacier, avec le nom de Rembrandt, comme la façon d'envisager notre rapport au progrès technique : l'humilité. 

Claire est vidé des mots qui lui permettrait d'entraîner les autres dans son combat. Elle ne peut opposer d'abord que sa démission. On trouve trace aussi du renoncement à l'évidence dans la façon qu'a Claire de se saisir du fusil de chasse dans la maison qu'elle loue auprès d'Odette. Ce qui apparaît alors comme l'inévitable "fusil dans le placard", théorie comme quoi dans un film, si l'on montre un fusil dans un film, c'est pour qu'il serve plus tard. Là, point du tout. C'est la pioche qui sert à "mettre fin aux souffrance du compteur", un détournement plein d'humour.

Pierre Schoeller n'oppose pas au progrès un recul absolu dans la décroissance sans électricité. Grâce à Yves, Claire sort de son isolement et change de voie pour analyser les nouveaux écosystèmes nés de la fonte des glaciers.

Rompre avec les certitudes

L'humilité conduit ainsi à une rupture vis à vis de l'entre-soi. Ce thème ne cesse d'être développé, à commencer par Salomé qui quitte la biologie pour la photographie ; qui reproche à son père d'avoir été lâche en ne rompant pas avec ses clients de l'OAS lorsqu'il avait 19 ans.

L'entre-soi est particulièrement critiqué avec le duo, heureusement comique, des frères Podalydès (Grégoire et Terrence sont tellement frères qu'il n'ont pas de nom de famille). Cette nécessité n'empêche pas un excellent documentaire scientifique. On parle de divergence (la première réaction en chaîne engagée dans le cœur du réacteur prévu à l'été 2024 pour Flamanville 3 et qui le sera effectivement le 2 septembre). On évoque L'EPR numéro 2 de la centrale chinoise de Taishan (province du Guangdong) qui a battu en 2023, le record mondial de production d'électricité en une année par un réacteur nucléaire et qui donne lieu ici à un savoureux exemple de philosophie chinoise avec la parabole de l'oeuf et de la pierre. Est aussi évoqué avec Gunnar le projet Solaris (centrale solaire spatiale) piloté par l'Agence spatiale européenne (ESA), alternative au nucléaire. C'est sans doute la première fois que l'on a droit dans un film au beau déroulé d'un powerpoint futuriste sur les conséquences des aléas climatiques en 2029, 2060 et 2100. Le cours sur la désintégration en demi-vie est aussi très pédagogique. La réalité virtuelle dans l'exposition du Jour d'après est très esthétique.

Un défaut d'incarnation

Reste l'histoire d'amour qui est censée fournir du lien aux dimensions fantastiques et pédagogiques. Yves, bien que Claire lui échappe, lui manifeste un amour continu et compréhensif cherchant absolument à savoir ce qui a pu la faire changer de voie et lui apporte, au prix d'un nouveau voyage à Londres, la clé qui lui permet de sortir de son isolement. Sa position est d'habitude celle des femmes de cinéma vis-à-vis d'hommes engagés dans des processus paranoïaque.

L'interprétation est toutefois entachée par une quasi-absence de Romain Duris vis-à-vis d'un rôle. Il semble réciter les paroles plus que les vivre. Camille Cottin assume le rôle ingrat de celle qui, pressée de toutes parts, ne peut rien dire au rique d'apparaitre comme folle. Pierre Schoeller, qui ne manque pas de références, glisse ainsi des allusions à Docteur folamour et Eyes wide shut tout comme les chaussures abandonnées par Claire renvoient possiblement à La comtesse aux pieds nus. Sans doute est-ce là un rôle trop écrasant. Et c'est finalement Céleste Brunnquell en Salomé qui se révèle le seul personnage naturel du film.

Jean-Luc lacuve, le 25 septembre 2025, après le ciné-club au Café des Images

Sources :

1
Patricia-Laure Thivat (dir.) : Biographies de peintres à l'écran. Editeur : Presses Universitaires de Rennes. Collection : Le Spectaculaire Cinéma, novembre 2011. 322 pages au format 17 x 24 cm. Illustrations couleur et noir et blanc. 20 €.
Claire Charrier : Du sublime dans l’œuvre gravé de Rembrandt. Éditeur : Presses universitaires de Rennes. Collection : Aesthetica : 31 mars 2022. 380 pages au format 17 x 21 cm, 85 illustrations dont 16 en couleur. 26 €


Retour