Le Golem de Paul Wegener

1920

Genre : Fantastique

(Der Golem : Wie er in die Welt kam - coréalisé avec Carl Boese). Avec : Paul Wegener (Le Golem), Albert Steinrück (le grand rabbin Loew), Lyda Salmonova (Miriam), Ernst Deutsch (le jeune apprenti de Loew), Hans Stürm (le grand rabbin Yehoudah, chef de la communauté juive), Otto Gebühr (L'empereur), Lothar Müthel (Le chevalier Florian), Loni Nest (La petite fille). 1h24

Prague, XVIe siècle. Le grand rabbin Loew lit dans les étoiles qu'un grand malheur menace la communauté juive. Il en avertit le rabbin Yehoudah qui rassemble le peuple pour une grande prière. Rien n'y fait : L'empereur Rodolphe II publie un décret exigeant le départ des juifs loin du ghetto qu'ils occupent aux portes de la ville. Le chevalier Florian est chargé de porter ce décret. Il tombe amoureux de Miriam, la fille de Loew. Celui-ci, philosophe et alchimiste, fabrique dans son laboratoire une créature d'argile dotée d'une force prodigieuse qui pourra être animée, à partir d'un mot magique, obtenu en invoquant les puissances du mal. Loew tente de convaincre Florian et à travers lui l'empereur dont il dessina l'horoscope de leur accorder un délai de grâce. Florian revient avec de bonnes nouvelles : un délai supplémentaire jusqu'à la fête des roses. Il en profite pour obtenir ce jour-là un rendez-vous secret avec Miriam.

Loew se décide à invoquer Astaroth pour obtenir la formule secrète permettant d'animer le Golem. Un cercle de feu se dessine autour de lui, et la tête du démon surgit, donnant le mot magique en lettres de fumée. Le mot AEMAET (vérité en hébreu et un des noms de dieu) est alors placé dans un bouton creux en forme d'étoile qui, enfoncé dans la poitrine du Golem, lui donne vie. Loew vérifie qu'il maîtrise la créature en lui faisant accomplir quelques tâches domestiques.

Mais c'est pour la fête des roses, à laquelle il est invité par l'empereur, qu'il destine le Golem. Loew doit amuser l'empereur de ses tours de magie. Le Golem est la première attraction mais cela ne suffit pas. Il propose à la cour d'animer une fantasmagorie, ancêtre du cinéma, qui racontera l'histoire juive à condition que personne ne rie sous peine d'une catastrophe. La figure du juif errant déclenche l'hilarité et Loew en profite pour faire s'écrouler le palais. L'empereur le supplie de les sauver et Loew ordonne alors au Golem de voûter les poutres du palais pour les protéger. Reconnaissant, l'empereur annule son décret.

Loew revient triomphant de la fête des roses et annonce la bonne nouvelle à son peuple. Déjà cependant, il constate que le Golem cherche à se rebeller et retire l'étoile bouton contenant la formule afin que le Golem redevienne inanimé.

Durant son absence, Florian s'est introduit dans la chambre de Miriam et est devenu son amant. Le retour inopiné de Loew et de son jeune aide l'empêche de partir. Alors que Loew s'en va recueillir les témoignages de gratitude de son peuple, le jeune aide, amoureux de Miriam, découvre que quelqu'un est enfermé avec elle derrière la porte. Fou de jalousie, il ranime le Golem et lui demande d'enfoncer la porte et de chasser l'intrus.

Le Golem détruit la porte et prend en chasse Florian tout en déclenchant involontairement l'incendie de la maison de Loew. Florian se réfugie au sommet de la maison, dans l'observatoire astronomique de Loew. Il est rattrapé par le Golem qui le jette du haut de la tour. Miriam, qui les a suivis, est emportée par le Golem qui la traîne par ses cheveux à travers la ville.

Le feu s'est étendu de la maison de Loew à une bonne partie de la ville et la communauté demande une nouvelle fois à Loew de les sauver par ses pouvoirs magiques en conjurant la menace du feu. Celui-ci réussit à éteindre le feu et rejoint sa fille que le Golem a abandonnée. Ils sont rejoints par le jeune aide qui envoie Loew recueillir une deuxième fois les hommages dus à ses talents de magicien. Le jeune aide promet à Miriam qu'il ne dira pas un mot de son aventure avec Florian. Le corps de celui-ci a d'ailleurs disparu dans l'incendie. La jeune fille, reconnaissante, accepte l'amour du jeune apprenti de son père.

Le Golem recherche la liberté et enfonce les énormes portes du ghetto juif, s'apprêtant à répandre la terreur dans Prague. Devant la porte joue un groupe d'enfants. Alors que tous les enfants s'enfuient, la plus jeune, une fillette innocente, lui tend la pomme de son déjeuner. Le Golem, attendri, la prend dans ses bras. En jouant, la fillette retire l'étoile bouton et le Golem s'écroule sans vie.

Loew et les habitants s'inquiètent de la disparition du Golem et accourent aux portes du ghetto pour constater que les enfants ont emmené des fleurs autour du Golem inanimé. Une troisième fois, la communauté juive rend grâce à Dieu de les avoir protégés et ramène le corps du Golem à l'intérieur de la cité.

Œuvre emblématique de l’expressionnisme allemand, au même titre que Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920) et Nosferatu (Murnau, 1922), Le Golem de Paul Wegener est aussi le précurseur de Frankenstein (James Whale, 1931).

La version de 1920

Popularisé en Allemagne par une nouvelle de Gustav Meyrink publiée en 1915, le thème du Golem fait l'objet de plusieurs adaptations cinématographiques. Déjà intitulée Der Golem, la première voit le jour la même année que le roman. On en attribue la paternité à Henrik Galeen, futur collaborateur de Murnau sur Nosferatu et réalisateur du deuxième Étudiant de Prague (1926), et à Paul Wegener, qui interprète lui-même la créature d'argile. Malheureusement, cette version de 1915 a disparu.

Mais Paul Wegener ne tarde pas à s'atteler à un deuxième film sur le sujet, et met en scène, avec Rochus Gliese, Le Golem et la Danseuse en 1917. Il ne s'agit plus vraiment d'un film d'horreur, mais plutôt d'une comédie. Paul Wegener endosse à nouveau le costume du Golem, alors que Lyda Salmonova, déjà présente dans le premier opus, joue la danseuse en question - en fait, une prostituée.

Le Golem version 1920, est donc la troisième tentative de Paul Wegener. Plus sombre et plus sérieuse que le film de 1917, cette version s'attache à revenir aux origines du mythe comme l'indique le titre complet : Le Golem : comment il vint au monde.

Un grand film expressionniste

Le Golem est avec Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920) l'un des rares films à posséder les caractéristiques esthétiques majeures de l'expressionnisme en peinture que sont la déformation de la ligne et des couleurs au profit d'une affirmation exacerbée du sentiment de l'artiste.

Au rang des déformations de la ligne, on rangera les décors du ghetto dessinés par Hanz Poelzig et construits sous la direction de Kurt Richter. Ils ressemblent à un labyrinthe de ruelles étroites et d'escaliers, circulant autour de hautes maisons biscornues aux toits pointus et sont l'expression du sentiment de persécution et donc de repli sur soi de la communauté juive. Le décret de Rudolph II est en effet terrible : "Nous n'ignorerons pas plus longtemps les accusations qui pèsent sur les juifs, eux, qui ont crucifié notre seigneur, ignorent les fêtes chrétiennes, convoitent les biens de leurs concitoyens et pratiquent la magie noire et donnons ordre que la communauté juive ait quitté son quartier appelé ghetto avant la nouvelle lune. "

La déformation des couleurs est indéniable avec la version colorisée que, pour notre part, nous déplorons. La copie servant à la restauration est une copie non colorisée de 1936 envoyée par la UFA au Musée d'art moderne de New York. Le titre de cette copie était resté intact, les 16 intertitres et six inserts ont été restaurés à l'identique par le musée du cinéma de Munich d'après une copie conservée au gosfilmofond à Moscou. Ceux absents de l'original s'inspirent d'une note de 1931 qui précédait le générique lors de la première au cinéma de la UFA à Berlin en 1920. La colorisation n'a été réalisée que in fine d'après une version italienne conservée à la cinémathèque italienne à Milan sous la houlette de la cinémathèque de Bologne… que l'on a connue plus inspirée.

Plus important que ces déformations de lignes et de couleurs, caractéristiques partagées avec la peinture, le jeu typé des acteurs et surtout, l'opposition de l'ombre et de la lumière comme reflet des combats de l'esprit mettant en jeu une dialectique du bien et du mal, une confrontation qui se joue au sein du plan.

Certes le monstre possède une dimension maléfique. Mais il est loin d'être aussi terrifiant que Astaroth dans la séquence où le rabbin l'oblige à prononcer la formule secrète. Un cercle de flammes le protège ainsi que son assistant et la tête du démon surgit, donnant le mot magique en lettres de fumée. Cette origine maléfique, le Golem en montre un aspect dans son terrible rictus lorsque Loew essaie, d'abord vainement, de lui retirer le bouton-étoile. Mais c'est bien plutot un être épris de liberté qui se révèle dans le plan qui suit la destruction de la porte du ghetto. De même, son éveil à l'amour est-il trop intermittent pour qu'il s'attache à Miriam. Sa démarche est celle d'un être malhabile et il possède la même innocence primitive que celle du fou interprété par Conrad Veidt dans Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920), ou de Brigitte Helm dans Metropolis.

En ce sens le Golem est fort proche du Frankenstein, de Mary Shelley. Le Golem symbolise aussi l'inconscience des hommes à créer des créatures dont ils sous-estiment la part d'humanité qui, niée par eux, transforme leur créature en monstre.

Jean-Luc Lacuve, le 7/6/2009


Dans la culture hébraïque, la première apparition du terme Golem se situe dans le Livre des psaumes : "Je n'étais qu'un Golem et tes yeux m'ont vu" (139, 16). C'est alors un être inachevé, une ébauche. Dans la kabbale, c'est une matière brute sans forme ni contours. Dans le Talmud, le Golem est l'état qui précède la création d'Adam.

Selon d'autres sources, le rabbin qui l'a conçu était Le Maharal de Prague nommé Loew (de l'allemand Loewe : Lion). Son but aurait été de défendre sa communauté. Il lui aurait donné la vie en inscrivant AEMAET (vérité en hébreu et un des noms de dieu) sur son front et en introduisant dans sa bouche un parchemin sur lequel était inscrit le nom ineffable de Dieu (le tétragramme Yud Hé Vav Hé).

Pour le tuer, il aurait fallu effacer la 1ère lettre (le aleph) car EMEAT signifie mort. Certains racontent que son créateur est mort, écrasé par la masse de sa créature - qui tentait de détruire son créateur - alors qu'il réussissait à l'anéantir. Le Golem serait alors redevenu ce qui avait servi à sa création : de la terre glaise.

Selon la tradition le corps du Golem se trouve toujours au grenier de la grande synagogue de Prague, qui serait d'ailleurs toujours scellé et gardé. Un kabbaliste s'y serait risqué, il y a deux siècles et en serait ressorti en disant "Il ne faut pas y rentrer. Je n'aurais pas dû y aller".

L'apprenti sorcier de Walt Disney ou Innocence (Ghost in the Shell II), film d'animation de Mamoru Oshii, sorti en 2004, fait référence au Golem dans la scène de la maison de poupée via les inscriptions Aemaeth et Maeth.