Alexandra

2007

(Aleksandra). Avec : Galina Vishnevskaya (Alexandra), Vasily Shevtsov (Denis), Raisa Gichaeva (Malika). 1h30.

Un train blindé à la frontière russe. Des soldats vérifient les papiers d'une veille femme et la font monter dans un wagon bientôt rempli de soldats. Ils partent pour la République de Tchétchénie dans un campement de régiments russes dans la région de Grozny. Alexandra Nikolaevna vient rendre visite à son petit-fils, l'un des meilleurs officiers de son unité.

Le train arrive au petit matin et Denis, le petit-fils d'Alexandra est en opération et ne peut l'accueillir. C'est dans un char d'assaut qu'Alexandra et son escorte arrivent au camp.

Au matin, elle découvre son petit-fils endormi dans un lit voisin du sien. Ses pieds sont écorchés d'avoir marchés dans de mauvaises chaussures. Ils s'embrassent mais ne parviennent pas à discuter de cette guerre auquel Denis ne croit plus.

Alexandra est venue voir comment fonctionne l'unité de son petit-fils qui a obtenu pour elle un droit de visite de la part de son commandant. Il lui montre des soldats nettoyant leurs armes sans grande conviction, un char d'assaut vétuste et l'arme magique qu'est la Kalachnikov.

Denis repart avec ses éclaireurs et démineurs sur le terrain. Le commandant un peu agacé veut faire surveiller Alexandra par un jeune soldat qui n'a pas l'autorité suffisante pour se faire accepter de la veille femme. C'est donc seule qu'elle va sur le marché faire deux trois courses. Elle y rencontre Malika, une femme tchétchène de son âge qui parle russe. Celle-ci lui propose l'hostilité quand elle constate la fatigue d'Alexandra.

Le fils de la voisine reconduit Alexandra au camp. Celui-ci lui demande si elle a la possibilité d'intercéder pour que cesse cette guerre ou le peuple tchétchène s'use à combattre. Alexandra lui demande de faire appel à son intelligence plutot qu'à elle.

Alexandra discute avec les gardiens du camp et passe la nuit sur le banc devant la guérite. Denis revient mais il a tout juste le temps d'évoquer avec elle l'histoire de leur famille. L'inflexibilité d'Alexandra pour sa fille, la mère de Denis. Il doit repartir pour cinq jours au combat et demande à Alexandra de rentrer chez elle. A la gare les femmes tchétchènes disent au revoir à Alexandra. Celle-ci invite Malika. Pourtant quand le train s'en va vers la Russie, Malika regarde obstinément dans l'autre direction.

Sans combat et sans coup de feu, Alexandra est bien pourtant un film de guerre. Un film qui marque la perte de l'innocente simplicité autoritaire d'Alexandra, la grand-mère, symbole de l'âme russe, devant le carnage des destructions et l'abandon de la fierté du peuple russe

Grand-mère et petit-fils

Chez Sokourov, les couples ne vivent que dans l'attente d'une inévitable séparation, ceux de Mère et fils (1997) ou de Père, fils (2003). Ne restent que des êtres solitaires accablés par la perte (la mort d'un proche, d'un amour) ou confrontés à l'horreur (le crime et la guerre), lancés dans l'immensité d'un paysage, d'une ville, de l'Histoire qui les dépasse et dont ils portent seuls la marque.

Leur errance est tragique, leurs voyages sans destination, mais leur enfermement n'a rien d'un amour dépité pour le vide. Le dénuement, la pauvreté dans lesquels ils existent sont toujours à la hauteur de l'intensité de leurs expériences sensorielles. Sokourov leur donne, c'est son unique offrande, un cadre, une place entre la nature et l'art qu'ils occupent en aventuriers humbles et fatigués. Alexandra, épuisée par son voyage n'en restera pas moins toute la nuit près la guérite à discuter avec les soldats et s'endormira sur un banc près d'eux.

Car Sokourov est l'homme d'une seule et grande idée. Comme un leitmotiv glaçant, il y a la mort qui rôde, la perte à venir d'une présence magnifiée, même frêle et maladive. Cinéma sensuel et hypnotique, suspendu à un gouffre, tourné vers sa limite, vers l'instant crucial où tout disparaît, tout s'épuise. Comme rarement dans l'histoire du cinéma, la fabrication et l'expérience du film ressemblent ici à un acte préparatoire : un travail de deuil qui viendrait avant l'heure dite.

Alexandra incarne l'âme russe, aujourd'hui bien vieille et malhabile à monter sur un char. Ses enfants, son petit-fils et ses soldats se laissent aller, plus personne ne vient les visiter, ils ne croient plus à leur mission et quittent le camp pour un no man's land de guerre à laquelle, ils semblent ne rien comprendre.

Sokourov a la force d'un condamné lucide, conscient du déroulement tragique du temps, chantre d'une tristesse nécessaire qui autorise tous les lyrismes et toutes les flamboyances. La beauté ne resurgit plus que par flash dans l'esprit d'Alexandra lorsqu'elle se réveille et voit la beauté d'un visage entr'aperçu dans la journée. Souvent appuyés d'une musique lyrique entre marche funèbre et adagio mélancolique, les moments les plus intenses du film disent le carnage inutile de cette guerre, la destruction d'un coté, l'abandon de la fierté de l'autre.

Un film engagé

Alexandra voudrait restaurer l'ordre ancien. Mais Denis lui rappelle aussi que ce fut celui dont souffrit sa mère sous l'autorité sans amour d'Alexandra et de son mari. L'autorité des grands-parents à conduit les pères à l'insensibilité meurtrière dont son aujourd'hui victimes les petits-fils

Peut-être la vieillesse est-elle propice à l'adoucissement. Mais ce n'est pas à l'âme russe que les Tchétchènes doivent s'adresser. Celle-ci, comme le lui a affirmé Malika est faite de tristesse, de nostalgie et d'une instabilité propice à de cruels changements d'alliance. Cette âme bien différente de celle des caucasiens, joyeuse et légère. Ainsi lorsque le jeune tchétchène lui demande d'intercéder pour que la guerre s'arrête, elle lui demande de s'adresser plutôt à son intelligence.


Guerre entre deux peuples qui pourraient être amis s'ils respectaient la différence de leurs âmes respectives, Alexandra se clôt sur un plan qui donne la position de Sokourov sur cette guerre. Malika regarde obstinément de l'autre coté lorsque qu'Alexandra retourne en Russie. Difficile de faire plus sobre et plus fort pour revendiquer l'indépendance des peuples.

Jean-Luc Lacuve le 17/10/2007

 

critique du DVD
Editeur : France Télévision, juillet 2008. 20 euros.
DVD  Alexandra d'Alexandre Sokourov

 

 

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Genre : Film de guerre
Thème : Guerre de Tchétchénie
Voir : édition DVD